Chercher Sam

Chercher Sam

En deux mots
Mathieu est désormais sans-abri. Il erre dans les rues de Montréal à la recherche de sa chienne Sam, perdue dans un moment d’inattention. Une errance qui va lui permettre de faire quelques rencontres importantes, mais qui est surtout l’occasion d’une introspection éclairante sur les drames qui ont jalonné sa vie.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Chacun cherche son chien

La Québécoise Sophie Bienvenu avait connu un joli succès avec ce roman que les éditions Anne Carrière ont eu la bonne idée de publier de ce côté de l’Atlantique. N’hésitez pas à suivre Mathieu dans les rues de Montréal, à la recherche de sa chienne Sam.

Mathieu cherche un endroit où passer la nuit. Il est un «itinérant», comme on dit à Montréal. Les Québécois ont toujours eu le sens du mot juste, celui qui ajoute du sens et de la poésie là où les Français cherchent l’efficacité de l’acronyme, comme SDF. Soulignons donc d’emblée que l’une des grandes forces de ce roman, c’est justement sa langue. Ici l’oralité et le parler québécois donnent au récit un ton à nul autre pareil. Rassurons à ce propos tous ceux qui imaginent devoir lire ce roman un traducteur franco-québécois à la main. On comprend parfaitement cette langue imagée, on la «traduit» à l’aide du contexte et, si vraiment on éprouve le besoin d’une explication de courtes notes de bas de page éclairent certaines expressions. Mais revenons à Mathieu. Si l’on découvre bien plus tard comment il y fini dans la rue, on comprend d’emblée qu’il a déchiffré la sociologie de sa condition. «Les itinérants, tu peux leur donner de l’argent, tu peux leur faire un sourire, ou même leur demander comment ça va, mais tu peux jamais, jamais, jamais les toucher. Parce que t’as beaucoup trop peur que notre misère s’attrape.»
Une misère qui désormais lui colle à la peau et qu’il partage avec sa chienne Sam. Le pitbull lui offre chaleur et affection, sans aucun doute ce dont il manque le plus. Et s’il doit avoir une chance de se reconstruire, ce sera grâce à elle. Alors quand il la laisse seule pendant deux minutes et qu’il ne la retrouve plus en revenant, on imagine la catastrophe que cela représente pour lui.
Désormais, il n’a qu’un seul but: chercher Sam.
Avec Mathieu, on arpente alors les rues de Montréal dans une sorte d’urgence que le style rend parfaitement. On partage sa quête, on espère qu’au détour d’un carrefour c’est la truffe «frouillée» (froide et humide) de Sam qui émergera. Mais après les premières heures, on comprend la difficulté de la tâche. Car aux dangers que courent tous les animaux dans la grande ville, il faut ajouter la mauvaise réputation des pitbulls et les razzias qu’opèrent les organisateurs de combats de chiens. Ce que va découvrir Mathieu fait froid dans le dos. Et ce qu’il livre au lecteur au fil de son introspection sur sa famille et sur l’enchaînement de circonstances qui l’ont mené dans la rue est tout aussi bouleversant, de sa rencontre avec Karine alors qu’il avait 16 ans jusqu’à sa vie de solitaire huit ans plus tard. Sans père, sans mère, sans femme, sans enfant.
Dans sa préface à l’édition canadienne, la romancière et éditrice Marie Hélène Poitras révèle que Sophie Bienvenu a recueilli Mathieu et son chien: «Dans la vraie vie, Sophie l’a aidé à payer les soins vétérinaires de son chien; il s’est confié à elle, lui a raconté son quotidien, ses écueils et petites joies.» Une tranche de vie qui a nourri ce roman dans lequel l’émotion est à fleur de peau et qu’on feuillette le cœur de plus en plus serré. En espérant qu’effectivement, «un jour, Sophie dirigera le chœur des voix qu’elle aura fait naître. Les loups et les chiens des quartiers paumés hurleront à la lune en écho à ce chant. Sophie présidera alors la plus belle chorale qui soit: celle de la parole libérée.»

Chercher Sam
Sophie Bienvenu
Éditions Anne Carrière
Roman
176 p., 18 €
EAN 9782380822861
Paru le 7/04/2023

Où?
Le roman est situé à Montréal.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Mathieu vit dans la rue. Sam, sa chienne, l’aide à continuer. Quelque chose le tue, qui n’est pas le froid ou l’indifférence des autres. Quelque chose l’empêche de respirer. Quand Sam disparaît dans les rues de Montréal, Mathieu part à sa recherche et, sans le vouloir, ouvre la porte à ses démons. Chercher Sam s’intéresse aux survivants. Dans une langue à la fois crue et tendre, Sophie Bienvenu déboîte puis remonte le délicat assemblage de poupées gigognes qui constitue la mémoire humaine, jusqu’au cœur, jusqu’à la plus petite raison d’espérer.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
La Presse (Chantal Guy)
Radio-Canada
Actualitté (Hocine Bouhadjera)
Blog Hop sous la couette
Blog Trouble bibliomane (Marie Jouvin)
Blog Pause lecture avec Kikine

Les premières pages du livre
« Avant, Sam et moi on se calait dans l’entrée du magasin de tissus qui a brûlé, sur Masson. On pouvait étaler nos shits sans qu’elles partent au vent, ça fait qu’on avait un peu l’impression d’être chez nous. Sam dormait dans le coin, même que les gens s’arrêtaient pour me demander « Y est où ton chien ? » tellement on la
voyait pas de la rue. C’était un bon spot, mais on a pas pu rester là trop longtemps parce qu’ils ont commencé à faire des travaux en dedans, pour mettre je sais pas quoi à la place du magasin de tissus. P’têt’ un resto.
Sûrement un resto.
Avant ça, on était souvent en avant du Poivre et Sel. C’est un bon endroit, mais justement, trop. Une fois, on était même quatre à quêter : moi pis Sam, le vieux avec sa casquette, le gars avec sa guitare pis son chien-loup et un petit Noir qui vendait du chocolat pour son école. Évidemment, le kid nous clenchait tous, fait
qu’on s’est tannés et on a voulu aller se prendre une pointe de pizz en mettant tout notre cash ensemble. Le vieux a essayé de nous crosser, l’autre gars s’est énervé après, le gérant de la place nous a chassés en menaçant d’appeler la police. Dehors ç’a dégénéré. Ils se sont mis à se taper dessus en se traitant d’osties de voleurs. Le chien-loup essayait de pogner les mollets
du vieux, mais comme il était attaché, il se rendait pas, jusqu’à ce que les deux gars se ramassent à terre, où là, il a réussi à lui mordre l’avant-bras. Le vieux s’est mis à gueuler « rappelle ton chien, rappelle ton chien ! ».
Il essayait de fesser dedans, mais ça donnait rien. Il s’est pissé dessus et s’est tourné sur le ventre pour se cacher le visage. Le gars a crié « lâche ! » et son chien a lâché. Il l’a détaché et il est parti en gueulant et en se retournant une couple de fois pour être sûr que ses insultes se rendaient bien où elles étaient supposées.
Le vieux s’est assis, appuyé contre le mur. Il frottait son avant-bras en chignant comme un kid qui s’est fait péter la gueule, alors que c’était lui qui avait cherché le trouble, à la base.
Le peu de monde qu’y avait dans la rue à cette heure-là, en plein après-midi un jour de semaine, s’était attroupé autour pour être sûr de bien voir, d’un coup qu’y en ait un des deux qui tue l’autre, ou quoi. C’est pas tous les jours qu’on a la chance d’être témoin d’un meurtre.
Une fille s’est approchée du vieux et s’est agenouillée à côté: «Monsieur, ça va? Je vais prendre votre bras pour regarder ce qu’il y a, c’est correct?» Les autres trouvaient ça dégueulasse, ça se voyait. Y en avait qui la trouvaient courageuse, y en avait qui se faisaient croire que si elle y était pas allée, ils y seraient allés, eux, mais la vérité, c’est que tous, ils trouvaient ça dégueulasse. Parce que les itinérants, tu peux leur donner de l’argent, tu peux leur faire un sourire, ou même leur demander comment ça va, mais tu peux jamais, jamais, jamais les toucher. Parce que t’as beaucoup trop peur que notre misère s’attrape.

C’était jamais assez propre, chez nous. Ma mère nettoyait tout, tout le temps. J’avais pas le droit de toucher rien parce que je faisais des traces de doigts. J’avais pas le droit de marcher nulle part parce que je faisais des traces de pieds.
— Tu vas-tu le laisser vivre ?
— On voit bien que c’est pas toi qui nettoies sans arrêt.
— Tu nettoies pas, t’essayes d’effacer les traces de vie.
Là, mon père se levait, mettait son manteau et me faisait un signe de tête pour que je l’accompagne. Je courais chercher le mien.
«Non non non, toi tu restes ici avec maman!» que ma mère me disait. Et à mon père: « Tu m’enlèveras pas mon fils, certain.»
Avec le temps, j’ai fini par arrêter d’espérer qu’elle me laisse sortir avec lui. Avec le temps, p’têt’ à cause de sa lâcheté, p’têt’ aussi à cause de la mienne, j’ai fini par le détester.
On est pas encore en novembre, mais il commence à faire vraiment froid, surtout la nuit. Dans le parc, Sam renifle l’air d’une façon weird, pas de la même façon que quand elle repère un écureuil, ou du jus de poubelle.
Comme si ça lui piquait l’intérieur du nez, comme si elle savait que ça s’en venait. Elle me regarde pour me demander si j’ai un plan, pis ben… j’en ai pas, de plan.
Fait que je la pogne par le cou et je lui fais une colle. Ça la rassure pas, mais ça me réchauffe. Un peu. Notre première nuit dehors, j’ai pleuré. Pas vraiment de tristesse. De vide. De qu’est-ce qu’on va faire, maintenant ?
C’était au mois de décembre, mais y avait pas encore de neige. J’avais entendu dire qu’on pourrait p’têt’ dormir à la Maison du Père, alors je suis allé voir, mais ils acceptent pas les chiens, là-bas. Alors je me suis retrouvé sous un porche du centre-ville, dans une ruelle qui sentait les vidanges, le vomi et la pisse. Je me suis calé entre un vieux rack à vélos et le mur, sous l’escalier de secours. Je fixais la porte de garage en face de moi. La nuit la faisait passer du jaune au brun. Quand tout le monde dort, le laid et le pire en profitent pour ressortir. Je voyais pas ça, avant. J’essayais de respirer correctement, comme une femme qui accouche, ou plutôt comme un gars qui court. Inspirer, expirer… pour pas étouffer. Mais ça puait trop, alors je suis parti pleurer. Sam léchait mes larmes et elle me donnait des coups de nez frouillés. Froids et mouillés.

Elle arrivait en tapant des talons sur le plancher. Ça faisait vibrer le bloc entier, même si elle était toute légère. Le chien la suivait de tellement près qu’en regardant vite vite, on aurait cru un genre de centaure ou d’animal bizarre avec un cul de chien et un devant d’humain. «Sam arrête pas de me donner des coups de nez frouillés pour que je m’occupe d’elle!
—C’est quoi ça, “frouillé”?
—Ben! (Elle me regardait comme si j’étais le dernier des imbéciles.) Froid et mouillé: frouillé!
—Ben ouais, je suis con.»
Elle s’approchait pour me caresser le bras, genre mais non mais non (mais un peu quand même), et elle posait sa tête sur mon épaule en soupirant.
«Tu fais quoi?»
–Notre première nuit dehors, le centre-ville était si désert qu’on aurait dit que mes pleurs résonnaient dans tout Montréal, qu’ils rebondissaient d’immeuble en immeuble, de porte barrée en fenêtre fermée… p’têt’ jusqu’à elle. Sam m’a donné sa patte et elle m’a regardé. Dans le noir, je voyais juste ses yeux orange qui reflétaient la lumière d’un lampadaire. J’ai mis ma tête dans son cou et je l’ai tenue comme quand j’étais petit et que je m’endormais en pleurant sans vraiment savoir la raison, en serrant mon ours en peluche. On pourrait croire qu’une fois adulte, j’aurais su pourquoi je pleurais, mais non. Y avait trop de choses, beaucoup trop de choses. Tellement qu’il a fallu que j’en choisisse une. «J’ai plus de maison.» Je sanglotais vraiment, pour la première fois depuis trop longtemps. C’était du sérieux laisser-aller. Y avait personne pour me dire de me ressaisir et qu’y avait pire que moi. Y avait personne pour me dire qu’il était là, alors que je me sentais tellement seul que j’étais vide et sec à l’intérieur. J’ai répété Pourquoi moi? dans ma tête tant de fois que je crois que j’ai fini par le demander tout haut. T’es en train de rater ta vie. Tu pourras pas dire que je t’ aurai pas prévenu. Fuck you, mom. C’est toi qui m’as raté. J’ai reniflé un bon coup. Trop. J’ai failli vomir. Sam s’est couchée à côté de moi. La lumière s’est éteinte. C’est ça notre vie, maintenant. Arrête de pleurer et dors. Je suis là, ça va bien aller.
–Normalement, ma mère était toujours à la maison quand j’y étais. Pas parce qu’elle avait quelque chose à faire, juste pour être là. Je sais pas ce qui s’est passé avec elle, avec moi ou avec nous. Un jour, je regardais la télé la tête posée sur ses cuisses, et le lendemain, elle était devenue comme le bruit du frigo: tu te rends compte à quel point il t’énervait juste quand il arrête. Et quand le bourdonnement repart, ça finit par te rendre fou. P’têt’ que c’était dû aux fausses couches qu’elle avait faites après ma naissance. Mon père disait que c’était ça, en tout cas. Il fallait être gentil avec elle, et patient, parce qu’elle avait beaucoup de peine. Mais ma peine à moi, due au fait que tout le monde se foutait de ma peine, justement, tout le monde s’en foutait. Ça me faisait de la peine, et c’était comme l’histoire de la poule ou de l’œuf. »

Extrait
« La joie dure une seconde. Ces matins-là, on est presque bien, et j’ai presque envie d’en profiter un peu. Mais j’ai trop peur que mon cerveau embarque et gâche tout, alors je ferme les yeux sur le rose et les chats, je me retourne pour bien sentir le sol sous mes os et je sors les deux bras du sac de couchage d’un coup, comme si je plongeais dans un lac gelé. N’importe quoi pour ne pas penser. Sam soupire. Je me rendors. C’est apaisant, un cœur qui bat sous ta main. Même si c’est rien qu’un cœur de chien. »

À propos de l’auteur
Chercher SamSophie Bienvenu © Photo Annik MH de Carufel

Sophie Bienvenu est autrice, poète et scénariste. Écrivaine de l’oralité, elle donne voix à des personnages de la marge. Son premier roman, Et au pire, on se mariera, a été publié à La Mèche en 2011, puis aux éditions Notabilia en 2013. Il lui a notamment valu le prix des Arcades de Bologne en 2013. Chercher Sam, publié en 2014 au Cheval d’août, est un immense succès de librairie au Québec, il est en cours d’adaptation cinématographique.

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