À double tour

À double tour

En deux mots
À six ans et demi, le narrateur est séquestré par sa mère en compagnie de sa sœur de neuf ans. Leur calvaire va durer près de deux ans. C’est à dix-sept ans, après le procès qui a condamné la tortionnaire, qu’il décide de raconter ce terrible drame.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Séquestrés pendant près de deux ans

Dans son second roman Thomas Oussin a choisi de se glisser dans la peau d’un jeune homme de dix-sept ans qui raconte à froid le calvaire qu’il a vécu à six ans et demi. Avec sa sœur de neuf ans, il a été séquestré pendant plus de 600 jours par sa mère. Glaçant !

Le 4 janvier 1989, la mère du narrateur décide de l’enfermer – lui et sa sœur – dans leur chambre à coucher. Les enfants ont 6 et demi et 9 ans. Ils pensent alors être victimes d’une punition infligée par leur génitrice, devenue de plus en plus irritable après le départ de son mari, parti rejoindre sa maîtresse et ses autres enfants.
En fait leur calvaire va durer près de deux ans. À compter de ce jour funeste, Victor et Amandine vont devoir composer avec un quotidien carcéral aux règles strictes: ne plus faire de bruit, faire leurs besoins dans la poubelle, vivre avec les habits, livres et jouets qui se trouvent dans leur prison. Et n’avoir quelquefois à manger et à boire qu’un jour sur trois, selon les caprices de leur bourreau. Très vite, l’aînée va décider de rationner leur pitance et aussi assurer un minimum d’éducation en apprenant à lire à son frère. Pour cela, elle va se servir d’une version de l’Odyssée d’Homère adaptée aux enfants. Les aventures d’Ulysse deviennent alors la porte vers un nouveau savoir et un moment de distraction bienvenu dans ce lieu confiné, propice aux maladies. «Je n’imaginais pas un instant que mon manque d’hygiène pouvait être à l’origine des fortes démangeaisons qui me ravageaient les bras et la raie des fesses. Je n’imaginais pas que mon corps et mes cheveux étaient infestés de poux. Je n’imaginais pas être en état de sous-nutrition. Ma conscience se limitait à l’enfermement, au silence et à l’obscurité.»
Mais ils ne sont pas au bout de leurs peines, bien au contraire. Après leur avoir coupé l’électricité, ne leur offrant pour toute lumière que celle qui perçait à travers les volets de bois, leur mère va découvrir qu’ils disposent encore d’une lampe-torche. Elle va alors les transférer dans un placard de deux mètres carrés. Ils vont alors devoir apprendre à survivre dans cette cellule. Et profiter de chaque seconde d’éclaircie: «Quelquefois, notre mère, par inadvertance sans doute – j’ai du mal à imaginer que l’inverse puisse être possible – oubliait d’éteindre la lumière de la buanderie. Alors, en dessous de la porte et à travers la serrure, cette clarté qui fendait notre obscurité nous réjouissait telle de la poussière d’étoile.»
Si le lecteur sait dès les premières pages que cette épreuve est désormais un souvenir pour Victor, qui a trouvé refuge chez sa grand-mère, il va découvrir avec effroi les circonstances qui ont permis sa libération et l’arrestation de sa mère.
Bouleversante, cette tragédie a beau être rédigée à froid, des années après l’enfer vécu par les deux enfants, elle n’en conserve pas moins son côté glaçant et une forte intensité dramatique. Thomas Oussin joue avec brio sur le clavier des émotions, entraînant tout à tour le lecteur de la sidération à la révolte, de l’incompréhension à l’empathie. Si les formules n’étaient pas déjà éculées, je dirais volontiers que ce roman se lit d’une traite et qu’il est impossible de la lâcher jusqu’à la dernière page.

À double tour
Thomas Oussin
Éditions Viviane Hamy
Roman
144 p., 14,90 €
EAN 9782381400501
Paru le 1/03/2023

Où?
Le roman est situé en France, dans un endroit qui n’est pas spécifié.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Pendant ces six cent douze jours, le silence et l’obscurité ont été mes seuls amis. Presque les seuls. Victor, dix-sept ans, vit depuis quelques années chez sa grand-mère maternelle, Ma, dont la gouaille vindicative cache l’amour qu’elle lui porte. Un simple geste a fait basculer leur vie : une porte fermée à double tour quand Victor était âgé de six ans et sa sœur Amandine de neuf ans.
Habitués à subir la colère de leur mère, les deux enfants pensent ce jour-là l’avoir contrariée sans raison et n’y prêtent guère attention. Mais quand Victor insiste pour qu’ils sortent de la pièce, sa mère répond qu’elle ne veut plus les voir, sa sœur et lui. L’enfer commence alors. À double tour est un roman noir qui nous tient en haleine et nous révolte. C’est aussi une histoire bouleversante, celle de l’émouvante reconstruction de deux êtres cabossés par la vie.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Mare Nostrum (Christiane Sistac)
Actualitté (Hocine Bouhadjera)
RTBF (Thierry Bellefroid)
Blog The Unamed Bookshelf
Blog Sur la route de Jostein
Blog L’œil d’Olivier

Les premières pages du livre
« Pendant un an, huit mois et quatre jours, j’ai été caché. Presque deux ans d’une vie. C’est long deux ans dans une vie, surtout quand on est un enfant de huit ans. Pendant ces six cent douze jours le silence et l’obscurité ont été mes seuls amis. Presque les seuls. Je continue à utiliser le mot «caché» lorsqu’il m’arrive d’en parler, sans doute dans un élan enfantin de ma part, mais le terme exact, en tout cas employé par mon avocat, c’est «séquestré». J’ai été séquestré. Entre mes six ans et demi et mes huit ans. J’ai toujours eu du mal à comprendre le processus qui m’a amené à être la victime de cette séquestration. D’autant que lors des tout premiers jours, je n’avais pas conscience de cette privation de liberté. J’étais, de mon point de vue, dans une situation à peu près confortable dans ma maison, avec ma sœur et ma mère. Comment imaginer que ce cocon douillet allait être ma prison et que celle qui m’avait mis au monde allait être mon bourreau? Ce qui a été une chance pour moi, c’est que je n’étais pas seul dans cette épreuve. Ma grande sœur a été un soutien constant. Du premier jour d’enfermement à la libération ultime, elle était à mes côtés. Je crois que, sans sa présence, je ne serais sans doute pas là aujourd’hui pour écrire ces quelques lignes. Je lui dois ma vie.

Victor. Voilà le nom qu’elle m’a donné à ma naissance, il y a un peu plus de dix-sept ans à présent. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai appris en cinquième que mon prénom signifiait « vainqueur » en latin ! Quelle ironie ! Je n’avais, pendant ces années de collège, absolument rien d’un vainqueur. J’étais une espèce de morceau de chair, un petit être chétif, à mille lieues du jeune homme que je suis devenu. Même si je sais que le chemin est encore long, je suis conscient que je reviens de loin. J’ai bel et bien vaincu quelque chose ou quelqu’un. Mes angoisses. Mes démons intérieurs peut-être. Cela dit, je n’ai pas tout vaincu ; un masque terne vient par moments affadir mon visage jovial. Mon esprit est traversé d’interrogations qui demeurent et demeureront tout le reste de ma vie.
Cela fait un peu plus de neuf ans que je suis sorti de cet enfer et parfois mes souvenirs se brouillent. Les années viennent déposer leur voile de crêpe sur ces instants. Sans doute mon esprit adoucit il les angles de certains moments et en aiguise-t il d’autres. Je vous demande donc d’excuser le caractère quelquefois fragmentaire de mon propos. Je vous livre ces informations comme elles reviennent à ma mémoire : tantôt elles surgissent avec facilité et simplicité, tantôt je les accouche aux forceps.
Par ailleurs, quand on a six ans et demi, on ne se souvient pas de tout. La conscience du temps se met alors tout juste en place. Il est donc possible que la chronologie des événements que je vais évoquer soit quelque peu approximative. Enfin, du fait de mon bas âge, certains éléments m’étaient totalement inconnus. C’est en recoupant les témoignages de tierces personnes, en lisant les notes d’audience du procès et les différents documents archivés dans le dossier que j’ai pu tenter de reconstituer le déroulement des faits. Et aussi grâce à ma grand-mère. Ah… Ma grand-mère, tout un poème ! Je l’appelle Ma. Elle aussi me parle… Parfois…
« Reconstituer le déroulement des faits », c’est une chose. Les comprendre, c’en est une autre. Vaste programme que d’essayer de trouver des réponses à ces « pourquoi ? ». Pourquoi ma mère a-t elle séquestré ses deux enfants ? Et pendant aussi longtemps ? Pourquoi ne pas nous avoir abandonnés, plutôt ? A-t elle, à un moment, songé à la folie de son acte ? Y songe-t elle maintenant ? Je me demande comment une femme peut en arriver à vouloir oublier, à vouloir soustraire de sa vue, de celle des autres, ses propres enfants. Autant de questions avec lesquelles je vais devoir vivre.

Ma, assise au bout de la table de la cuisine, est occupée à faire ses mots croisés en silence. Je lève de temps en temps le regard et décroche de ma dissert de philo pour l’observer. Elle est concentrée et aspirée par son activité. Comme si de rien n’était, elle se rend aux pages finales pour jeter un œil furtif aux solutions. « Juste pour vérifier », dit elle. Ça m’amuse et je la taquine parfois.
Elle a la respiration profonde et apaisée des gens d’expérience. Sa présence a toujours eu un effet rassurant sur moi, en tout cas depuis que je vis chez elle. J’ai pris l’habitude de faire mes devoirs sur la table de la cuisine, près d’elle, alors même qu’elle avait aménagé un coin bureau dans ce qui est devenu ma chambre.
Au milieu de cette vieille maison à la décoration des années soixante-dix, je me sens bien. Ce n’est pas le lieu de vie rêvé pour un garçon de dix-sept ans, certes, mais c’est chez moi. J’ai cependant mis du temps à considérer cette maison comme la mienne.
Les premiers jours qui ont suivi ma libération demeurent assez flous. Je me souviens de nuits à l’hôpital, d’un nombre incalculable de rendez-vous dans des bureaux : gendarmerie, psychologue, avocat, aide sociale à l’enfance. Ils se ressemblaient tous, je ne les différenciais pas vraiment. Je me contentais de répondre aux questions de ces gens du mieux que je le pouvais, bien souvent sans lever les yeux. J’observais à chaque fois avec une grande attention le revêtement des bureaux qui nous séparaient, les « interrogateurs » et moi. Je finissais par en connaître chaque texture, chaque nervure, chaque égratignure. Ils constituaient pour moi les garants de mon espace vital. Je percevais que toutes ces personnes voulaient mon bien, mais j’étais quelque peu apeuré après avoir passé des mois privé de tout contact social. J’avais surtout, je pense, peur de mal faire, et je vivais ces moments avec une extrême tension, tiraillé par la crainte de commettre une erreur qui aurait déclenché leur colère.
Dans l’attente de savoir qui s’occuperait de moi, j’ai passé, à ma sortie de l’hôpital, plus d’une semaine dans un foyer. Je n’ai gardé des nuits dans ce lieu que l’image de mes petits poings serrant un coussin jaune ainsi qu’une vague impression de sanglots dans la nuit, dont je ne sais a posteriori s’il s’agissait des miens ou des pleurs de mes co-pensionnaires de fortune.
Il fallut d’abord contacter mon père, qui avait disparu du paysage, mais il fut décidé que je n’irais pas chez lui ; je reviendrai plus en détail sur ce point. Ma grand-mère, dans un premier temps, ne voulut pas de moi, me confia-t elle. Elle avait coupé les ponts avec sa fille, ma mère, plusieurs années auparavant et préférait rester en dehors de toute cette affaire. Elle ne me connaissait pour ainsi dire pas et j’étais presque un étranger pour elle. Me prendre chez elle ne serait qu’une source d’emmerdements, pensait elle. Elle avait d’autres chats à fouetter. Pourtant, et j’ignore si son revirement est dû à l’obstination de l’assistante sociale ou si la pitié l’avait assaillie le jour où elle avait découvert mon visage marqué par le poids de l’hébétude, mais elle finit par m’accueillir chez elle. Sa volte-face ne s’arrêta pas là, puisqu’elle prit la résolution de se constituer partie civile, contre ma mère.
Au début, je fus installé dans l’ancienne chambre de mon oncle Joseph, laquelle conservait quelques stigmates de son adolescence comme une cible de fléchettes dessinée directement sur le mur et un poster d’ACDC. Puis très vite, sur les conseils avisés de l’assistance sociale, et grâce à l’aide apportée par un autre de mes oncles, Michel, la chambre fut repeinte et aménagée de manière à convenir davantage à un enfant de mon âge. Selon les experts, il était souhaitable que je m’approprie ce lieu et que je m’y sente en sécurité. Pour ma part, j’avais surtout l’impression de flotter, comme un ballon sans attache, égaré entre deux courants d’air. Je me retrouvais vide, seul, sans ma mère, ce qui était sans doute mieux, mais surtout sans ma sœur qui avait été mon compagnon de jeux, mon unique amie, ma confidente, mon institutrice, pendant ces longs mois. J’avais perdu l’habitude de l’école. Je restais assis sur mon lit à contempler les palmiers verts et bleus imprimés sur la housse de couette. Et j’attendais. Quoi ? Je n’en avais aucune idée. Ma grand-mère, à sa façon, c’est-à dire avec une attitude maladroite et un ton de butor, tentait de me stimuler : « T’as pas fini de rêvasser ? Viens donc m’aider à éplucher les patates ! » « Bouge ton cul de ce tabouret, va jouer dans le jardin ! » « On va faire des crêpes ! » J’ai fini par m’habituer à cette vie. À cette autre vie. À cette nouvelle vie. À cette étroite cour grillagée qui servait de jardin, à cette maison coincée dans une autre époque, aux scènes de chasse représentées sur le papier peint du salon, à ce canevas au-dessus du canapé, à cette petite horloge sous un globe de verre et dont le balancier tournait sur lui-même invariablement. »

Extraits
« Lorsque nous étions là-bas, nous n’avons jamais évoqué l’idée de la mort ou de la maladie. La notion de survie m’était inconnue: peut-être ma sœur en avait-elle conscience. Je n’imaginais pas un instant que mon manque d’hygiène pouvait être à l’origine des fortes démangeaisons qui me ravageaient les bras et la raie des fesses. Je n’imaginais pas que mon corps et mes cheveux étaient infestés de poux. Je n’imaginais pas être en état de sous-nutrition. Ma conscience se limitait à l’enfermement, au silence et à l’obscurité. » p. 65

« Dans ce ciel sombre que représentait notre épreuve, il nous arrivait d’apercevoir des éclaircies. Quelquefois, notre mère, par inadvertance sans doute — j’ai du mal à imaginer que l’inverse puisse être possible — oubliait d’éteindre la lumière de la buanderie. Alors, en dessous de la porte et à travers la serrure, cette clarté qui fendait notre obscurité nous réjouissait telle de la poussière d’étoile. » p. 77

À propos de l’auteur
À double tourThomas Oussin © Photo Christophe Masson

Né en 1982, Thomas Oussin a passé son enfance dans un petit village de la Nièvre auquel il reste profondément attaché. Après une maîtrise de Lettres Classiques obtenue à Dijon, il enseigne le français, le latin et le grec, d’abord à Pantin puis à Paris. Parallèlement à son métier d’enseignant, il suit une formation d’acteur au Cours Florent et joue dans deux longs-métrages. Il s’adonne également au dessin ainsi qu’à l’écriture de scénarios et de chansons. Il est aussi l’auteur de deux romans, Soleil de juin (2021), roman lumineux sur les premiers émois adolescents et À double tour (2023). (Source: Éditions Viviane Hamy)

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