Accordez-moi la parole

Accordez-moi la parole

En deux mots
Après une enfance difficile, Raphaëlle rêve de construire une famille aimante. Mais quand son mari la quitte, elle entraîne son fils dans la mort et se retrouve derrière les barreaux. Réfugiée dans la lecture, elle décide de contacter une romancière.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Une mère infanticide a-t-elle droit au pardon?

Dans son nouveau roman, Vinciane Moeschler suit une femme emprisonnée pour le meurtre de son fils et qui décide de contacter une romancière. Le début d’une relation très particulière.

La vie de Raphaëlle Lombardo a tout d’un chemin de croix. Dès son enfance, elle a subi la violence d’un père qui frappait son épouse avant de s’en prendre à ses enfants. Si à 20 ans, son décès l’a délivrée d’un lourd fardeau, elle n’en a pas moins gardé un lourd traumatisme. Et quand, à son tour, elle se met en couple, elle ne veut pas écouter les conseils de sa mère qui voit dans cette union la reproduction du schéma qui lui a été fatal.
Les premières années semblent lui donner tort. Le mari de Raphaëlle est attentionné et promet de l’aider dans son ménage. Les grossesses vont s’enchaîner et la situation se dégrader. Face au poids de ses responsabilités, le mari démissionne et laisse son épouse gérer le chaos. Elle se raccroche alors à son petit dernier, le bébé d’amour que personne d’autre ne serrera plus dans ses bras, car dès la préface on comprend qu’elle se retrouve en prison pour un infanticide.
Derrière les barreaux, elle lit et découvre le premier roman de Salomé. Une œuvre qui lui donne envie de contacter cette romancière à succès et de lui proposer de lui raconter son histoire.
La relation qui s’installe est alors l’occasion de reprendre depuis le début le «parcours criminel» sous le regard bienveillant du directeur de la prison, toujours persuadé que ses détenus devraient tous avoir droit à une seconde chance.
Vinciane Moeschler, comme dans Alice et les autres, son précédent roman qui traitait le cas d’une personne souffrant d’un trouble dissociatif de la personnalité, aime explorer les marges de notre société, creuser derrière le fait divers. En remettant en perspective un geste aussi extrême que celui de donner la mort à son propre enfant, elle nous pousse à la réflexion et à nuancer une condamnation quasi inéluctable. Mais l’intérêt de ce roman est double. Il nous propose aussi une nouvelle plongée dans l’univers carcéral. Depuis Surveiller et punir de Michel Foucault, la question du rôle de la prison reste toujours en débat. La détention reste d’abord et avant tout un moyen d’isoler les délinquants et les criminels de la société. Mais elle semble oublier la préparation des détenus, une fois leur peine purgée, à retrouver une place parmi les hommes. Avec l’exemple de Raphaëlle, mais aussi de l’une de ses codétenues, on comprend que cet aspect des institutions pénitentiaires reste à améliorer.
Ajoutons-y l’effet-miroir introduit par la mise en scène d’une romancière. Salomé, en s’interrogeant sur son rôle, en racontant les difficultés qu’elle rencontre avec son texte, en cherchant des parallèles avec sa propre histoire, le couple qu’elle forme avec Lucas et son rôle de mère, joue avec subtilité la part introspective du livre. Ajoutons-y l’expérience accumulée depuis plus d’une décennie maintenant avec le travail effectué en asile psychiatrique, à commencer par l’animation d’ateliers d’écriture.
Comme dans toute son œuvre, Vinciane Moeschler joue d’une plume sensible, toute en nuances, pour nous parler de l’une de nos valeurs cardinales, l’humanité.

Accordez-moi la parole
Vinciane Moeschler
Éditions du Mercure de France
Roman
208 p
EAN 9782715261174
Paru le 09/03/2023

Où?
Le roman n’est pas géographiquement situé.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Salomé est une jeune romancière à succès. Alors qu’elle commence l’écriture de son prochain livre, Raphaëlle Lombardo surgit dans sa vie. Maman à la tendresse qui dérape, elle peine à faire grandir ses enfants. Elle est l’épouse que le conjoint abandonne, la fille qu’on a mal aimée. Son petit dernier, son «bébé d’amour», était sa dernière chance. En commettant l’interdit, elle rejoint le cercle tragique des criminelles et réclame la parole : être jugée plutôt que réduite au silence.
À contre-courant de la maternité idéalisée, Vinciane Moeschler dresse le portrait d’une femme que personne n’a voulu voir sombrer. En abordant de manière frontale un sujet qui dérange, elle questionne les limites d’un acte qui assassine nos repères. Un roman inclassable, terriblement puissant.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le carnet et les instants (Estelle Piraux)

Les premières pages du livre
Jugée responsable de mes actes, j’ai dû répondre des faits devant une cour d’assises.
Comme la main un peu ferme qui se dépose sur votre épaule, j’ai approuvé.
Accordez-moi la parole. Tout inculpé y a droit, non ?
Je ne souhaitais pas qu’on me prenne pour une cinglée, qu’on me tienne à l’écart.
Privée de ce procès, réduite au silence, je n’aurais pas eu la possibilité de raconter.
Mon histoire.
Cette histoire.
Qui m’a conduite à l’acte le plus indicible qui soit.
Donner sens à l’abominable allait me permettre d’accepter l’enfer que serait ma vie.
Non pas celle qui m’a été proposée à la naissance.
Pas celle que j’aurais souhaitée.
Celle que vous, eux, les autres, ont piétinée.
Celle qui m’a été confisquée parce qu’on m’a laissée trop seule.
J’avais besoin de comprendre, moi aussi.
Comment j’en suis arrivée là.
Lorsque les mots perpétuité, peine capitale ont été prononcés par le juge, l’odeur de ta nuque m’est revenue.
Comme une volupté dérobée à l’interdit.
La déchirure de nos deux corps.
Oui, j’étais soulagée parce que coupable.
J’ai dit pardon.
Juste pardon.

Je me suis liée d’amitié avec un parapluie.
Bleu foncé avec de gros points rouges.
Un rien vulgaire.
Il semblait abandonné dans un coin de rue.
J’ai d’abord observé si quelqu’un venait le réclamer, mais non, alors je l’ai emporté.
Disons que je l’ai emprunté.
J’ai fait comme s’il m’avait toujours appartenu et qu’on avait déjà toute une histoire ensemble.
Une histoire de solitude.
Grâce à lui, je porte un bout de la vie d’une autre, ses goûts, ses souvenirs, ses oublis.
Je dis qu’il est magique parce que quand la pluie glisse sur lui, sa texture donne l’impression qu’il est sec.
Bizarre, perdre un parapluie comme celui-là !
Quelle femme a bien pu faire ça ?
De la négligence sûrement.
Moi, j’ai jamais rien perdu.
Pas même mes enfants dans un supermarché. Pas même.
Depuis je ne le quitte plus.
Quand il fait beau, il m’arrive de le prendre avec moi.
J’ai oublié de te dire, il est blessé, ce parapluie : une baleine pend lamentablement.
C’est pas logique ça, maman, qu’elle m’a répliqué ta sœur.
Qu’est-ce qui est logique dans cette vie ?

Il n’y a pas si longtemps, j’ai commencé une collection.
Pourtant, j’ai jamais été collectionneuse, je trouve ça stupide.
Le même objet, pour quoi faire ?
Les objets, ton père, il n’en veut plus, ça encombre la maison.
Et pourtant, je ne peux pas m’en empêcher : tous ceux que je trouve, je les ramène.
C’est plus fort que moi, un truc viscéral.
Si on était plus riches, je leur réserverais bien une armoire entière.
Ma mère, elle, ce sont les hommes qu’elle a collectionnés.
Comme des perles qu’on enfile sur un collier.
De toutes les couleurs, de toutes les tailles, de tous les styles, de tous les horizons, de toutes les façons, de toutes les odeurs, de toutes les punitions.
Des perles qu’on choisit à la va-vite, qu’on entasse dans un bocal, négligemment.
Des perles qu’on compte : six, sept, huit, quinze, seize, vingt…
Il faudrait une armoire gigantesque.
Toi, tu t’es entiché du violet.
Tu as bon goût, c’est de loin le plus joli.
Quand je le fais tourner sur lui-même comme une toupie, tes yeux de chat le suivent.
Ton premier sourire, je le dois à ce parapluie violet.
Alors je recommence et je recommence, encore.
Souris mon bébé. Souris mon ange. Mon enfant mon bébé mon petit. Mon bébé mon bébé.
Tes bras potelés, ta tête douce, du velours, ta tête.
De la pâte à modeler.
Je pourrais la déformer à force de la caresser.
Tu sens si bon. L’embrun de l’océan, l’odeur de l’herbe coupée, la nature qui s’abandonne. Odeur énigmatique des bébés.
Celle du réconfort. Celle d’un adoucissant, celle d’une pommade à la rose, à la citronnelle, à la vanille.
Glissée là dans les replis du cou.
Viens là, viens là mon cœur.
Que je te touche, que je te respire, que j’en transpire.
Ton corps docile, il s’abandonne, ton corps docile, mon cœur mon cœur.
Tes yeux se noient dans moi, se fondent dans moi, se reflètent en moi, contre moi.
Jamais rassasiée.
Mon cœur mon cœur mon enfant.
Mes seins se tendent, mon lait pour ta bouche ronde, goulue, tendre.
J’effleure tes lèvres, elle m’aspire, ta bouche ronde et douce.
On dirait qu’elle va m’engloutir.
Tes mains à peine formées pétrissent ma peau, ma langue lèche un ongle de nacre.
Tu te blottis et quand tu te blottis, alors le dehors, la rue et le bruit de la rue m’échappent.
Reste notre quiétude.
Mon bébé mon enfant.
C’est comme ça que j’ai toujours imaginé mes petits : au creux de l’intime.
Regardez-moi ça, ces petites pattes qui remuent.
Là, calme-toi, chut… chut…
Là, là, bébé d’amour.

Et dire qu’ils pensaient que tu allais mourir.
Ils insistaient : « Trop petit, votre bébé, madame. Poids inférieur pour… »
Le médecin hochait la tête ostensiblement.
Il constatait, avait des doutes, puis sortait de la salle blanche, ôtait ses gants de silicone et reposait sa blouse immaculée.
Il s’autorisait à mettre une main sur mon épaule.
« Soixante pour cent des grands prématurés gardent des séquelles. Il y a parfois des miracles. Mais bon, 800 grammes, ce n’est pas beaucoup tout de même… Il va falloir être forte, chère madame. »
Il a fallu te mettre sous ces machines. Ces horribles tuyaux.
Comme autant de petits serpents.
Partout dans le corps, les orifices comblés.
Existence si minuscule déjà reliée à des artifices.
Tu ressemblais à un petit cosmonaute, le corps en attente, le corps inachevé et déjà surchargé.
Des veines si fragiles, trop fines, trop invisibles, on ne savait plus où piquer la perfusion.
Impossible fusion.
Impossible corps-à-corps.
Impossible tiédeur.
Ma petite statistique de bébé, ton corps à peine esquissé était déposé sous la couveuse, dans l’expectative d’un avenir.
Déjà, la vie te maltraitait.
Prenez garde de ne pas abîmer mon enfant avec vos mains puissantes, vos mots médicaux disgracieux. Vous le savez, pourtant vous, comme c’est dur à venir au monde, un enfant.

J’ai patienté.
Moi, je savais mon amour mon cœur que tu allais vivre.
C’était une évidence.
Il n’y a qu’une mère pour savoir ça.
L’autre, il était pas là, bien sûr.
Jamais là quand il faut, l’autre.
Ton poids a peu à peu progressé. Tu étais courageux, t’accrocher comme ça à la vie, sans savoir.
850 grammes, 910 grammes, 1 kilo, 1,5 kg, 2 kilos.
Et puis ce jour. On m’a dit : « Votre fils est sauvé, il peut rentrer chez vous. Tout va bien. »
Une phrase anodine, comme quand on demande : comment ça va, aujourd’hui, madame Lombardo ? Merci, TOUT VA BIEN.
Mais moi, j’y croyais pas, je me disais, ils me mentent, ils ne savent plus quoi faire, tu vas mourir là, dans ta couveuse, tu vas pas survivre.
À force, j’avais fini par douter.
Pourtant, tu étais vivant, beau, petit mais grandiose.
La miraculeuse proportion du bébé.
J’ai pleuré.
J’ai appelé maman : « Maman, mon bébé est sauvé. »
Elle a juste dit : « C’est bien, ça, ma fille. »
Elle n’a jamais beaucoup montré ses sentiments, ta grand-mère. Elle était contente je crois.
À la maison, les gosses ont sauté de joie quand ils t’ont vu, si magnifique.
Je vous présente votre petit frère.
Et lui, ben lui, il avait trop bu, alors forcément, il a pas réagi.
Pas réagi.

Je me souviens…
J’ai 7 ans, une peluche en forme de chien. Milou.
Je me démène grotesquement, d’une vie à l’autre.
D’un côté mon père, Giuseppe, le dimanche uniquement et une fois par mois.
De l’autre ma mère et mon beau-père.
Je traîne Milou chez l’un, chez l’autre.
Je traîne aussi David, mon frère cadet.
Ma toute petite histoire n’est rien.
Mon pays vit des moments horribles. Ça saute dans les métros.
À la télé, on voit des gens le visage en sang, ils crient dans les rues.
J’ai 7 ans. Cela m’affecte.
Là où je vis, c’est la province, un bled pourri.
Une mer grise et dure, des marées indéfinies.
Tantôt glaciale, tantôt poisseuse.
Mon beau-père cogne sur ma mère.
Un connard haut sur pattes, des cheveux fins qui s’émiettent.
Il sent la transpiration, ça me dérange.
La vulgarité de son regard me met mal à l’aise.
Il chlingue comme la raie de son cul, son regard.
S’envoie des Carlsberg à n’en plus finir. Un vrai ringard, mon beau-père.
Quand il est bourré, il met à fond une chanson de Rod Stewart.
Il se la pète avec son putain de tatouage dans le dos, un dragon, enfin un truc du genre.
Ma mère, ma mère je l’admire.
Elle est vraiment très belle.
Ma mère.
Qu’est-ce qu’elle fout avec cet hybride ?
Il l’abîme, la coince dans une vie médiocre.
Une putain de vie.
Mérite mieux. Sa douleur a annulé la mienne.
Je veille désormais sur elle.
Je suis ta bouée de sauvetage, ton ange gardien. Je ferai attention pour qu’il ne saccage pas notre vie, maman. Ça s’abîme vite, une vie. Et après, on peut plus rien récupérer, que des lambeaux, des lambeaux.
Maman, tu m’écoutes ?
Elle est belle ma maman.

J’ai 12 ans. Et je ne sais pas nager.
Personne n’a appris dans ma famille, et pourtant on côtoie l’océan à longueur de journée.
Pour une fois, l’eau est cristalline.
Pas une seule vague.
Je voudrais m’y jeter.
Si je m’y jette, je coule.
Tant pis, j’essaie.
Très vite, je sens le poids de mon corps s’enfoncer dans l’eau légère, puis s’enrouler dans les algues.
Tout va trop vite : ma tête pique vers le fond, au lieu de me laisser sombrer, je fais des gestes désarticulés, j’étouffe.
Et pourtant.
J’observe un tas de petits poissons verts, rouges et violets.
Des hippocampes aussi. Des étoiles de mer.
C’est tranquille sous l’eau, beaucoup de silence. Du silence, et c’est tout.
Une sirène me tend la main.
Elle cherche à m’attirer.
Ses cheveux emmêlés forment un léger sillon dans l’eau.
J’arrive, je lui dis, attends-moi.
Voilà que je remonte à la surface.
Je crie, je hurle : j’ai peur.
Ça doit se sentir dans ma voix que j’ai peur. Des mots incompréhensibles, des sons qui ne ressemblent à rien.
Enfin, elle a tourné la tête, ma mère. Mais elle ne bouge pas. On dirait que…
C’est à lui qu’elle fait signe de sauter.
Elle est froide cette eau, alors il fait la grimace.
Il m’attrape, me pousse sur la plage, je respire difficilement.
Elle lui passe la serviette.
Son geste n’est pas précipité, juste mécanique.
Elle lui passe la serviette.
Je grelotte, je crache, je pleure.
C’est rien, qu’elle dit ma mère. T’avais qu’à pas te jeter comme ça dans l’eau. T’es malade ou quoi ?
Lui il me sèche, me frotte.
Ses mains glissent le long de mes jambes.
Elles s’attardent ses mains, jusqu’à mes cuisses.
Elles atteignent mon sexe.
Je connais déjà ce geste.
Ma mère a tourné la tête.
Ma mère regarde ailleurs.
Je voudrais replonger.

Je dois avoir dans les 13 ans.
Je suis mal foutue, des crampes partout.
Elle a pris ma température.
— Raphaëlle, ma pauvre chérie, tu restes au lit, avec une fièvre comme ça !
Ma mère m’a donné des carambars, elle a versé un lait bien chaud avec du miel de sapin dans un bol où Mickey souriait…
Non, Donald, enfin je sais plus… la mémoire parfois…
Une mère aimante, une mère d’agrippement.
— Tu n’iras pas à l’école aujourd’hui. Mais il faudra réviser tes tables.
— Écoute comme je les connais bien, maman, ma petite maman, maman que j’aime : une fois quatre quatre, deux fois quatre huit, trois fois…
Elle a eu un sourire magnifique. Je sentais bien qu’elle était fière.
Et… Non, enfin… Elle a jamais pu dire ça, ma mère !
Jamais pu faire ça.
C’était ma tante, ma tante Sonia, qui m’avait soignée ce jour-là.
L’amour et la haine, ça se ressemble, non ?
Je sais bien que David, mon frère, est le préféré de maman.
Il se fout bien d’elle, mais elle n’a de regards que pour lui.
Il dit : « Cette conne, elle m’emmerde. Fait chier de devoir se taper ses humeurs ! »
Ça la rend triste et moi, j’aime pas quand elle est triste, ma mère.
Je suis là, maman, regarde-moi… Maman ? Laisse-moi t’aimer. Juste un peu.
T’es qu’une cannibale. Me touche pas, Raphaëlle, me touche pas toujours comme ça… Pousse-toi !
N’empêche, elle m’a prêté ses chaussures à talons.
Ses préférées.
J’ai marché avec dans l’appartement.
Évidemment, j’étais pas stable, en déséquilibre constant, j’ai fini par me tordre la cheville.
Tu me prêtes ta robe rouge pour être belle ?
Tu me prêtes un peu d’amour pour avoir moins peur ?
Tu me prêtes un couteau aiguisé pour lacérer le poulet ?
Tu me prêtes un Tampax pour éviter que le sang ne tache ?
Tu me prêtes la quiche du frigo pour que je l’avale ?
Tu me prêtes tes boules Quiès pour m’absenter du ramdam de la vie ?
Tu me prêtes mon frère ?
Je lui dirai de t’aimer.

Le jour de mes 14 ans, pas de bol, mon père meurt.
Un stupide accident de voiture.
Je n’irai plus chez lui les dimanches.
Quand la vie est magnifique, faut la traiter avec beaucoup de précautions.
Faut faire gaffe, c’est tout.

J’ai 20 ans.
C’est rien 20 ans, tout juste un 2 et un 0.
Je suis enceinte.
Mon premier enfant. Je serai mère.
Est-ce que je serai mère ?
— Faudra bien que tu te débrouilles, elle me dit la mienne de mère.
— Je me débrouillerai.
— T’aurais pu attendre un peu. C’est un naze ton mec…
— Tu crois ?
— Un naze, je te dis. Qu’un ouvrier, comme ton père !
— Mais je l’aime.
— Moi j’ai eu ma dose. Maintenant toi qui te fais mettre en cloque par le premier venu. C’est le bouquet !
Elle a vieilli. Elle n’est plus aussi jolie.
Ce lardon, elle en veut pas.
Moi oui.
Je serai une bonne mère.

22 ans et je n’oublie pas que j’ai le bac.
Il est temps d’entamer des études.
Ça tombe bien, j’ai trouvé une crèche à côté de la fac pour ma petite Clémence.

Extrait
« Son crime a bouleversé une génération de lecteurs dont Salomé ne faisait pas partie, parce que trop insouciante à l’époque.
Les avocats, les experts psychiatres avaient plaidé pour un internement psychiatrique, en pointant une non-responsabilité lors du passage à l’acte.
Son discernement était profondément altéré, disaient-ils. Ils avaient prononcé le mot de suicide altruiste: On tue les siens pour les protéger d’un avenir noir, puis on se suicide. Et insisté sur la non-prise en charge d’une dépression profonde. Parlé d’un dysfonctionnement familial. De déni, de l’abandon du mari.
« C’est une mère aimante que vous allez juger et non femme maltraitante. »
Les jurés et la partie civile avaient quant à eux réclamé la condamnation à perpétuité pour préméditation.
« Les conditions concrètes, tant de la personnalité de l’accusée que de son contexte de vie, ne constituent pas des circonstances atténuantes, au regard de la gravité extrême des faits commis. »
Qui est-ce qui penserait à déposer une étoile de mer sur un cadavre. » p. 77

À propos de l’auteur
Accordez-moi la paroleVinciane Moeschler © Photo Céline Lambiotte

Vinciane Moeschler est journaliste, romancière et dramaturge. Elle est l’auteure de nombreux romans, notamment Annemarie S. ou les fuites éperdues, Trois incendies (prix Victor-Rossel en 2019) ou encore Alice et les autres. Elle vit à Bruxelles. (Source: Éditions du Mercure de France)

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois