Au long des jours

En deux mots
En novembre 1977 une comédienne de 18 ans rencontre un chanteur populaire de 35 ans son aîné. C’est le coup de foudre et le début d’une liaison particulière. Nathalie Rheims se souvient de cette période passionnée.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

«La main dans la main, par les rues nous irons»

Dans son nouveau roman, Nathalie Rheims raconte sa rencontre avec Marcel Mouloudji et leur liaison à la fin des années 1970. L’occasion de revivre cette période intense et de rendre hommage à un artiste aussi talentueux que tourmenté.

Il arrive que certains textes s’imposent d’eux-mêmes, comme portés par une impérieuse nécessité. Nathalie Rheims travaillait sur un roman lorsqu’elle a ressenti comme une évidence le besoin de poursuivre l’exploration de sa vie. Après avoir raconté son initiation amoureuse à 14 ans avec un homme mur dans Place Colette – qu’aucun éditeur ne pourrait publier aujourd’hui sans s’exposer au lynchage – elle se devait de raconter sa liaison avec Marcel Mouloudji.
C’est dans sa loge qu’elle rencontre le chanteur, dont jamais elle n’écrira le nom. Accompagné d’un ami, il était venu féliciter la jeune comédienne de 18 ans pour sa prestation aux côtés de Maria Casarès dans La Mante polaire. «Il me tendit la main, et me dit qu’il avait beaucoup aimé le spectacle. Que ma présence l’avait à la fois ému et impressionné. Je n’en revenais pas d’entendre ces mots, si gentils, manifestement sincères, et remplis d’une douceur insaisissable.»
Après avoir réussi le concours d’entrée au Conservatoire, et réussi ainsi à quitter le milieu scolaire qu’elle détestait, elle était parvenue à décrocher ce rôle, sorte de bréviaire pour la gloire.
Elle avoue à son admirateur qu’elle adore ses chansons, que «Faut vivre» est sa préférée, et lui promet qu’elle viendrait assister à son tour de chant à la villa d’Este. Mais elle sait déjà qu’un coup de foudre vient de tonner, malgré leurs 35 ans d’écart.
C’est après ce spectacle, en novembre 1977, qu’ils déambulent dans Paris, se racontent leurs vies respectives, se prennent la main et finissent par s’embrasser.
Commence alors pour l’amoureuse une exploration intensive de la vie et de l’œuvre de cet artiste aux talents multiples. Elle se plonge dans ses livres, écoute tous ses disques, découvre son enfance difficile auprès d’une mère qui finira internée en asile psychiatrique. À 12 ans, il rencontre Jean-Louis Barrault et fait ses débuts sur scène. Au fil des rencontres, il va alors toucher non seulement au théâtre, mais aussi au cinéma, à la peinture, à la littérature et à la chanson. Au moment où commence sa relation avec la narratrice, il vient de perdre ses trois pères adoptifs: «Raymond Queneau, son protecteur chez Gallimard, était parti le premier, le 25 octobre 1976, Marcel Duhamel, son protecteur dans la vie, ne tarda pas à le suivre, le 6 mars 1977, et enfin Jacques Prévert, son ultime père, le 11 avril 1977».
Prévert et le groupe Octobre qu’il fréquenta longtemps avant d’être admis au sein du clan Sartre, de faire corriger ses textes par Simone de Beauvoir.
L’occasion pour le lecteur de constater alors combien Paris comptait de talents et combien les arts se nourrissaient les uns des autres. C’est aussi à cette source que la jeune comédienne, passionnée par la chanson française, vient s’abreuver. Même s’il n’a rien d’un pygmalion, le nouvel homme de sa vie est riche d’une belle expérience, a connu bien des hauts, mais aussi des bas et avance dans la vie avec le regard vif, mais teinté de mélancolie. Il sait combien sa liaison est fragile, qu’il doit composer avec une femme jalouse et qu’il ne peut offrir un avenir à sa nouvelle conquête.
Il ne reste désormais qu’à profiter des quelques rencontres furtives. Il ne reste que l’amour. Intense et sincère, même s’il n’est vécu que par brèves séquences.
Nathalie Rheims raconte cet épisode de sa vie avec la fraîcheur de ce moment. Sa plume est vive, plein d’allégresse. Elle nous fait partager ses découvertes en plongeant dans la vie et l’œuvre de Mouloudji comme dans une folle farandole. Et c’est avec ce même bonheur qu’on se laisse entraîner avec elle.

Au long des jours
Nathalie Rheims
Éditions Léo Scheer
Roman
176 p.,17 €
EAN 9782756114040
Paru le 11/01/2023

Où?
Le roman est situé en France, principalement à Paris.

Quand?
L’action se déroule en 1977 et les années suivantes.

Ce qu’en dit l’éditeur
Au départ de ce 23ème livre, Nathalie Rheims redécouvre, au fond d’une boite, un Polaroid pris par sa sœur Bettina à la fin des années 70. Sur cette photo, on voit Nathalie à l’âge de 18 ans, aux côtés d’un homme plus âgé, aux cheveux noirs et bouclés, qui affiche un large et irrésistible sourire. Il nous semble d’ailleurs reconnaître son visage…
L’écrivain sent alors remonter en elle les émotions qu’elle a traversées au cours de sa relation amoureuse, qui aura duré un an, avec cet artiste hors du commun. Ce texte n’est pas un récit biographique, mais bien un roman, puisque l’approche littéraire de Nathalie Rheims est à la fois subjective et impressionniste, et que jamais le nom de cet homme n’est prononcé. Et pourtant, il est là, derrière chaque ligne, irradiant l’écriture de sa présence magnétique, pareil à celui qu’il est resté dans nos mémoires, symbole de cette époque si lointaine et pourtant si proche, où l’esprit de révolte et l’âme poétique régnaient sur les cœurs.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Victor de Sepausy)

Les premières pages du livre
« Le trac, la gorge serrée. Sur le clavier, mes mains tremblent. Pourquoi raconter cette histoire?
Celle de ma relation précoce avec Pierre, dans Place Colette, n’avait-elle pas suffisamment fait parler d’elle ?
Avec ce récit de ma première liaison, sorti il y a huit ans, j’ai eu le sentiment d’être miraculeusement passée entre les gouttes. L’initiation sexuelle d’une jeune fille de quatorze ans qui assume sa démarche, refusant de se présenter comme victime, aujourd’hui, aucun éditeur ne pourrait la publier sans s’exposer au lynchage.
Alors, qu’est-ce qui me pousse à révéler la suite de ma vie la plus intime, d’en écrire le chapitre suivant? J’avais dix-huit ans, un âge où la question du consentement ne se pose plus, sinon autrement.
Pourtant, ce n’est pas ça qui m’a donné envie de replonger, une fois de plus, dans les recoins invisibles de ma mémoire.
Un roman, un vrai. Je viens de passer plusieurs semaines à tenter d’en écrire un. Mais à quoi bon?

Pourquoi inventer une fiction alors que le réel me fait signe? Tel un serpent, il s’enroule autour de ma mémoire sans plus laisser de place à l’imagination.
En fait, je me moque de ce qui n’a pas été vécu. Ce serait si facile de renoncer à vivre pour ne pas mourir. Je lance ce défi à tout ce qui n’a pas eu lieu, pour mieux affronter ce qui a véritablement pris corps. Ce n’est qu’une question de dosage entre la vérité pure et la matière évanescente de nos souvenirs.
À une époque où la grisaille a fini par nous envahir, où le passé a plongé dans l’obscurité ceux qui ne furent que des étoiles filantes, à l’image des réverbères allumés, la nuit, le long des quais de Seine, quelle serait la trace d’une vie ?
La jouissance d’un secret bien gardé, c’est la certitude de ne jamais être capturée par une image, jetée en pâture au regard de tous.
*
Le silence. Puis les trois coups. Un bruissement sourd montait depuis l’immense salle du Théâtre de la Ville. Plongée dans le noir. Nous étions en 1977.
C’était à la fin de ma première année au Centre dramatique de la rue Blanche. J’avais entendu parler d’une audition importante qui devait avoir lieu bientôt. Déjà, pour moi, avoir réussi le concours Au long des jours d’entrée de cette École nationale supérieure était un bonheur inégalable.
J’aurais préféré arrêter mes études avant la terminale. Je détestais l’école, je me trouvais nulle, je m’y sentais malheureuse en tout, sauf en français et en histoire, mes deux passions de toujours.
Mais rien à voir avec l’exaltation que me procurait le théâtre. À quelques mois du bac, j’en avais parlé à mon père. Il avait hésité et, après avoir réfléchi, il avait fini par me lancer ce défi: « Si tu réussis à entrer au Conservatoire, je t’autorise à arrêter le lycée. »
À l’âge de 15 ans, trois ans plus tôt, je m’étais déjà inscrite à un cours. Je répétais dans ma chambre durant des heures. Pierre m’avait initiée au sexe, mais il m’avait aussi ouvert le chemin de ce métier magique, qui ne peut exister que sur scène.
Je me sentais portée par un désir qui me dépassait.
À la fin du premier tour du concours d’entrée de « la rue Blanche », nous n’étions plus que cinquante candidats sur les six cents présents sur la ligne de départ.
Au deuxième tour, quinze jours plus tard, il fallait se confronter à ce qu’on appelle la « scène imposée », en l’occurrence, un monologue d’Elvire dans Dom Juan :
Ne soyez pas surpris, Dom Juan, de me voir à cette heure et dans cet équipage.
Méchant contre-emploi, car j’étais plus proche de l’Agnès de L’École des femmes. Pour la scène de mon choix, je décidai de jouer Églé dans La Dispute de Marivaux.
Trois jours après, je découvrais mon nom parmi ceux des dix-sept survivants. J’étais prise
dans la prestigieuse classe de Michel Favory, que j’admirais tant. Le monde m’appartenait, c’était le plus beau jour de ma vie !
J’appelai mon père pour lui annoncer la bonne nouvelle. Après un court silence, il s’exclama :
« Ben alors, c’est la quille ! »
Mais c’était beaucoup plus que ça. C’était toutes les quilles de la Terre, le grand air, celui de la liberté.
Et me voici donc, jeune actrice, dans ce couloir du Théâtre de la Ville, assise sur ma chaise comme une présumée coupable, avant l’audience du tribunal, au milieu de toutes ces filles qui attendaient, elles aussi, que l’on décide de leur sort.
Déjà, passer une audition devant Jorge Lavelli, qui mettait en scène une pièce de Serge Rezvani, La Mante polaire, sur la vie de la Grande Catherine Au long des jours de Russie ; mais je savais qu’en plus, c’était Maria Casarès qui devait interpréter le rôle-titre.
Le metteur en scène cherchait une comédienne qui jouerait deux rôles : celui du « guide » des étudiants, au lever du rideau, puis, plus tard, Catherine enfant incarnant les rêves de la future impératrice. Trois filles avaient déjà été appelées, chacune était restée environ un quart d’heure.
Celles qui ressortaient de la salle étaient assaillies de questions par les autres, qui attendaient leur tour. Moi, je n’écoutais rien, je restais concentrée, le cerveau vide.
Vingt minutes plus tard, j’entendis quelqu’un prononcer mon nom. J’attrapai ma veste et mon sac. L’assistante ouvrit une porte qui donnait sur l’immense salle de théâtre.
Le trac commençait à monter. Je découvris un espace, dans la pénombre, éclairé seulement
par une lampe accrochée à un immense tréteau de bois posé sur des trépieds au milieu de la salle. Je distinguai cinq silhouettes installées derrière cet échafaudage improvisé. La scène ressemblait au pont d’un gigantesque navire voguant dans la nuit.
L’assistante me fit signe de rejoindre la scène.
Je montai les quelques marches qui séparaient les ténèbres du paradis, puis j’entendis un homme que je ne parvenais pas à reconnaître, à contre-jour, me demander avec un fort accent latino-américain de me présenter.
Je me lançai. Qui j’étais. D’où je venais. Ce que j’aimerais faire. Je les entendais rire, en face.
Il m’ordonna alors de lui réciter un poème.
J’avais choisi « Les Bijoux » de Baudelaire. Ensuite, il me dit de ramasser une brochure posée sur le sol du proscenium et de lire le premier monologue de la première page. Je m’exécutai.
Puis le silence. J’entendis seulement des chuchotements. Les secondes passaient aussi lentement que des heures. Soudain, un : « Bon, on arrête là ! » me prit par surprise.
Je restai debout sur la scène comme une poupée inerte.
C’est alors que je sentis quelqu’un s’approcher de moi dans le clair-obscur.
« Je vous prends. Pour le reste, voyez avec mon assistante. »
J’avais beau ne pas avoir conscience de l’enjeu, ni des personnalités qui m’entouraient, je me sentis comme soulevée par une émotion irrésistible. Nul besoin de percevoir précisément ce qui m’arrivait, je le vivais comme l’aboutissement de ces quatre années d’initiation à la vie adulte.
Depuis le temps, ma relation avec Pierre s’était progressivement estompée, comme si j’avais fini par faire le tour de ce que j’avais osé appeler un «détournement de majeur», et que la véritable passion qu’il avait fait naître en moi, celle du théâtre, avait fini par prendre le dessus.
Je commençais à avoir une certaine expérience de ce milieu si fermé. En quatre ans, avant même de réussir ce concours d’entrée, je m’y étais sentie comme en famille, sans me poser de questions sur ceux avec qui je partageais la scène, comme si tout était allé de soi.
J’avais commencé par jouer au Théâtre Montansier de Versailles. Je n’avais alors que 15 ans. C’est Marcelle Tassencourt, la directrice, qui m’avait repérée dans la classe de Périmony. Elle m’avait proposé de les rejoindre, elle et son mari, Thierry Maulnier, figure intellectuelle de l’entre-deux-guerres et de la Libération. C’était pour
Le Médecin malgré lui, où je serais Lucinde. J’avais aussi joué dans Le Tartuffe, interprété par Roger Hanin. Nous étions partis avec la troupe en tournée à travers la France, mais comme je n’avais pas l’âge requis, c’est lui qui avait signé le document par lequel il s’engageait, pour le temps de la tournée, à devenir mon tuteur. Il avait pris son rôle très au sérieux. À l’issue de chaque représentation, il me raccompagnait à l’hôtel, puis, après m’avoir embrassée sur le front, il me disait : « File dans ta chambre ! »
Une fois dans mon lit, j’imaginais les grandes tablées, faites de rires, d’anecdotes et de vin. J’étais trop jeune pour les partager avec eux, mais cela ne m’empêchait pas d’être Marianne, chaque soir, avec passion.
J’étais en immersion dans le théâtre. Ce qui me laissait de moins en moins de temps pour le reste de ma vie. Juste après mon entrée à la rue Blanche, La Mante polaire m’avait semblé être une étape décisive.
Le fait de partager des moments avec un «monstre sacré» comme Maria Casarès m’apparaissait à la fois sublime et très simple, presque banal. Je ne comprenais pas vraiment ce que je vivais, ni avec qui. Je me laissais guider par mon instinct.
Je me tournai vers les mots avec avidité, ils étaient devenus ma nourriture quotidienne, mon principal repère dans cette destinée que je faisais mienne. Au début, j’avais principalement été éblouie par ceux de Molière ou de La Fontaine.
Puis, progressivement, le périmètre s’était élargi, et je m’étais mise à devenir curieuse de tous les grands textes, classiques comme contemporains.
*
La chaleur devenait plus intense, je la recevais comme une brûlure. Nous étions au début de l’été. Les répétitions de La Mante polaire avaient commencé sous le grand dôme niché au sommet du Théâtre de la Ville. C’était une vaste salle dont le parquet faisait résonner le moindre de nos pas. Nous étions tous pieds nus pour mieux en ressentir les vibrations.
Maria Casarès était présente chaque jour, avec ses éclats de rire, les cigarettes qu’elle grillait les unes après les autres au point de faire flotter dans l’air un paysage de brume. J’ai encore d’elle, en tête, tous les instants de grâce où son beau visage formait une œuvre d’art. Ses cheveux coupés très court et sa silhouette lui donnaient l’air d’une adolescente qui aurait déjà vécu mille vies.
Nous répétions ensemble, ce jour-là, une scène où il s’agissait de se tenir par les mains, au centre du dôme, et de tourner sans s’arrêter durant de longues minutes, juste en nous regardant.
Au départ, cela pouvait ressembler à un jeu d’enfant, mais, progressivement, ses yeux, fixés sur moi, m’envoûtaient. L’intensité de son regard faisait remonter en nous les siècles passés. À la fin de la ronde, je disparaissais dans les coulisses, symbolisant ainsi la fin de l’enfance de la Grande Catherine. Maria restait alors seule en scène.

À chaque fois que nous reprenions la ronde, je sentais monter des larmes, elles coulaient sur mes joues malgré moi, sans que je puisse les retenir. Serge Rezvani était lui aussi présent avec, à ses côtés, Lula, sa muse, sa femme tant aimée. Ils étaient inséparables, greffés l’un à l’autre. C’était, pour moi, une source d’étonnement : comment deux êtres pouvaient-ils s’aimer autant ? Cela ne ressemblait pas au comportement des adultes que j’avais rencontrés jusque-là.
Autour de nous, la distribution d’acteurs et de techniciens était exceptionnelle. Ils étaient nombreux, mais chacun était, dans son domaine, un monument du théâtre. J’étais à la fois émerveillée et inconsciente. La question de ma simple présence au milieu de ces étoiles ne m’effleurait même pas.
J’étais là, voilà tout, et je me donnais tout entière, m’abandonnant aveuglément aux directives, parfois très musclées, de notre metteur en scène.
*
À cette époque, je voyais bien que mes amies de « bonne famille » étaient principalement occupées par le « Bal des débutantes », les robes qu’elles y porteraient et les jeunes gens, de non moins bonne famille, qui leur seraient présentés.
Cette perspective provoquait, chez moi, une sourde colère, qu’exprimait avec justesse Armande dans les Femmes savantes :
Mon Dieu que votre esprit est d’un étage bas !
Que vous jouez au monde un petit personnage,
De vous claquemurer aux choses du ménage,
Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants,
Qu’un idole d’époux, et des marmots d’enfants !
Je n’aurais pu retrancher un seul mot de l’expression de cette rage qui couvait en moi, à l’idée du rituel des jeunes femmes de la bourgeoisie.
En suivant Pierre, j’avais choisi mon camp. Ce ne serait certainement pas celui qu’on attendait que j’adopte. Je m’étais retrouvée sur les planches comme sur un champ de bataille, et rien n’aurait pu me faire abandonner mon poste. Je le vivais comme une guerre.
Ma rupture avec cette passion triste, recouverte du linceul qu’on appelle le « milieu social », fut brutale et sans retour possible. Je ne pouvais qu’approfondir le fossé qui nous séparait désormais. Je sentais l’appel du large à travers tous les mots, toutes les émotions qu’il me suffisait de cueillir, comme ça, juste en passant.

J’étais encore considérée comme une enfant, et je sentais pourtant grandir en moi la figure de Catherine, impératrice qui parvint à annexer la Pologne et l’Empire ottoman au cours d’un XVIIIe siècle où les Lumières couvaient la Révolution.
Aurais-je un jour la noblesse de Maria ? Il me fallait chercher le chemin vers celle que je désirais devenir, et peut-être quelqu’un me l’indiquerait-il.
Pour l’heure, les textes que je devais travailler ou jouer étaient mes seuls guides. Ma mémoire était devenue aussi puissante qu’un muscle d’athlète. Ainsi, il me suffisait d’entendre une seule fois une chanson pour, instantanément, la connaître par cœur.
Ma sœur m’avait offert, pour mon anniversaire, un tourne-disque Teppaz, instrument indispensable pour toutes les adolescentes depuis les années 1960. Grâce à cet appareil magique, j’avais pu mesurer à quel point ma mémoire était devenue puissante. Je me plongeais avec délice dans le répertoire de la « grande chanson française », de Trenet à Brassens, devenu, entre-temps, ma nouvelle idole.
*
Assise devant le grand miroir de ma loge, je me dévisageais. L’entracte avait pris fin. Qui était cette personne que je voyais dans la glace ? J’avais
Il me regarda encore un instant, puis, après avoir caressé mon visage, il releva le col de son caban, et je le vis disparaître. »

Extraits
« Je vis avancer, vers moi, une silhouette étrangement familière. Il avait le sourire le plus beau, le plus franc, le plus charmant de tous ceux qu’il m’avait été donné d’apercevoir. Il n’était pas grand, habillé tout en noir ; je regardais fixement ses cheveux, qui l’étaient tout autant, d’un noir de jais, denses, épais, ondoyant sous la lumière. Il me tendit la main, et me dit qu’il avait beaucoup aimé le spectacle. Que ma présence l’avait à la fois ému et impressionné. Je n’en revenais pas d’entendre ces mots, si gentils, manifestement sincères, et remplis d’une douceur insaisissable. Je ne savais comment lui répondre, sinon par des « merci », comme si j’avais été transformée en jouet mécanique. Je pris une grande aspiration pour lui dire d’une traite, à mon tour, que j’adorais ses chansons, que « Faut vivre » était ma préférée, que je la connaissais par cœur :
Malgré le cœur qui perd le nord
Au vent d’amour qui souffle encore
Et qui parfois encore nous grise
Faut vivre » p. 26-27

« Et pourtant, je devinais, sans vraiment l’analyser, pourquoi je persistais dans cette reproduction amoureuse pour un homme comme lui. L’envie de conquérir un cœur beaucoup plus âgé me renvoyait à la peur panique, chez moi, d’être abandonnée.
Je savais, avec certitude, que je désirais cette histoire avec lui, quelle qu’en soit la nature, comme si ce désir obsédant de me retrouver dans ses bras me donnait des ailes pour me jeter tout entière dans mon autre passion: la scène. » p. 51

À propos de l’auteur
Au long des joursNathalie Rheims © Photo Philippe Conrad

Nathalie Rheims est écrivain. Au long des jours est son 23ème livre.

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