Carnet de mémoires coloniales, Isabela Figueiredo

Carnet de mémoires coloniales, Isabela Figueiredo

Carnet de mémoires coloniales, Isabela Figueiredo, traduit du portugais par Myriam Benabroch et Nathalie Meyroune, éditions Chandeigne, 2021, 236 pages.

Dans ce récit biographique Isabela Figueiredo revient sur son enfance à Lourenço Marques, devenu Maputo depuis l’indépendance du Mozambique en 1975. Elle y aborde le thème du colonialisme par le prisme de l’enfant qu’elle était, fille d’un blanc profondément colon, profondément raciste.

Elle, à qui on avait confié la mission de dire la vérité, de dire ce que les Noirs faisaient aux Blancs, dans un pays que les Blancs souhaitaient gouverner, à l’image de l’Afrique du Sud, elle, donc, démontera, dans ce livre, le colonialisme. Elle ira à l’encontre de tout ce que son père représentait, et elle le fera après sa mort.

Si je n’ai pas adhéré tout de suite à l’écriture, aux répétitions incessantes des premiers chapitres autour de la sexualité, dans un langage cru, j’ai peu à peu pris conscience que ce que j’avais là, sous les yeux, était important. C’était la vision d’une enfant face au mépris des adultes pour les Noirs, vision et culpabilité, et honte parfois aussi, car malgré tout l’image du père (plutôt ambigüe) s’impose… Et puis la petite fille laisse la place à l’adolescente qui comprend de mieux et mieux ce qui se joue sous ses yeux.

Ce livre a une qualité indéniable, celle d’être un témoignage authentique sur un pan de l’Histoire colonialiste.

« Mon père croyait en un mouvement de Blancs, en un autre mouvement de Blancs, après le 7 septembre. Qui l’emporterait enfin, qui serait financé par l’Afrique du Sud ou la Rhodésie. Il fallait chasser le pouvoir noir de la ville et le renvoyer dans sa brousse, d’où il avait surgi, d’où il était originaire, et le dresser ou le massacrer. L’un ou l’autre selon ce qu’il méritait. Une Afrique de Blancs, oui, une Afrique de Blancs, me répétait-il sans cesse.

Parce que cette Terre, voyez-vous, était à mon père. Mon père était tout le peuple mozambicain. Il le vivait avec force et rage. Il le clama jusqu’au dernier jour, écumant de fureur, refusant de baisser la voix devant un Noir, de lui montrer ses papiers, ses titres de transport, de le vouvoyer, de lui tendre la main en signe de son acceptation de son autorité. Avec ou sans indépendance, un nègre était un nègre, et mon père fut un colon jusqu’à sa mort. »

« Qu’on ne vienne pas me parler du colonialisme si doux des Portugais… Qu’on ne vienne pas me raconter des contes de fées. »

La préface de Léonora Miaro est passionnante mais je crois qu’il est préférable de la lire après le texte d’Isabela Figueiredo, comme la plupart des préfaces (qui devraient être des postfaces), pour laisser le texte vierge de tout commentaire se glisser en nous, et donc le comprendre avec nos ressentis, nos émotions.

« Par sa description du racisme quotidien tel qu’elle put l’observer, Isabela Figueiredo montre combien une réflexion sur la blanchité est indispensable à tous pour dépasser enfin l’histoire de la violence qui s’est jouée entre Européens de l’Ouest et peuples du monde assujettis par eux. La suprématie blanche, on l’a vu avec l’évocation du père de l’auteur, travaille à déshumaniser celui qui s’en saisit pour entrer en contact avec les autres. »

Livre lu dans le cadre du prix des lectures européennes de Cognac.


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