Abimagique

Abimagique
Abimagique
« C’est la fille coiffée style Halloween. Coupe Morticia Addams, teinture noir de jais, mèches orangées asymétriques. Elle a vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Une femme-enfant, songes-tu, qui dévore des biographies d’empoisonneurs célèbres et s’est affublée des piercings les plus douloureux du marché. De la chair à goth typique. Pourtant, une fois passé les cheveux, les robes vintage, la bague-araignée au ventre de perle, les tatouages sur les mains (un crâne de vampire, un cœur humain) et le maquillage outrancier, tu remarques que son visage est empreint d’une douceur et d’une sensualité maternelles qui semblent trop vulnérables pour participer de ce monde moderne… » Elle a pour nom Abi — diminutif d’Abimagique. Elle est volupté, sensualité, violence aussi, parfois. Le monde court à sa perte, elle en est convaincue, mais elle dit avoir le pouvoir de sauver ce qui peut l’être… Elle est impénétrable. Possible qu’elle soit Cybèle, Magna Mater, femme sorcière tellurique. Possible aussi que le temps soit venu ; celui du sacrifice…
Abimagique
Pourquoi ce livre ? Cela fait déjà quelques années que j’ai découvert les textes de cette collection de qualité et je reconnais que je pioche les livres au hasard sur les étagères de la médiathèque, sans me fier au résumé. Cette fois-ci c’est tombé sur Abimagique et je dois dire que c’est une excellente pioche !
C’est un exercice bien complexe de rédiger un avis sur cette lecture. Certes elle m’a grandement plu, mais ça part dans plusieurs sens, plusieurs genres, avec un voile de mystère qui n’est soulevé qu’à la toute fin… On progresse dans un univers fantastique au sein d’un couple dépareillé. Elle grosse, gothique, magnifique. Lui simple, dans le sens insignifiant. Si on suit les pensées de l’homme, c’est bien la femme dans toute sa splendeur et sa volupté qui est au devant de la scène, tirant les ficelles avec élégance. C’est le récit d’un nid d’amour déséquilibré, avec un parti qui s’implique jusqu’à l’obsession - et comme il le dit si bien lui-même, les rôles homme-femme sont ici inversés. D’abord ode à la femme, une ombre vient recouvrir le tableau quand un ex d’Abi refait surface, livrant des secrets qui font froid dans le dos. Place alors aux doutes, à la manipulation, un peu à la trahison également.
J’ai beaucoup aimé l’évolution des personnages, liée au hasard des rencontres et des incertitudes. La relation suit d’ailleurs cette évolution et je la trouve très touchante par cette crédulité candide du protagoniste et la douceur de la femme, qui cache bien son jeu. Je suis presque frustrée par cette fin très brutale. Certes, je pense que c’était la seule fin possible mais j’aurai voulu en savoir plus sur la suite des événements. La frustration est obligatoire, sachant qu’on a assisté à tout ce processus et qu’on est laissé à l’écart du grand final, pour le meilleur ou pour le pire.
Je me rends compte en rédigeant cette chronique que je ne suis pas sûre que le protagoniste masculin est un nom dans cette histoire. Abi trouve toujours le moyen de l’appeler autrement, tout son meilleur ami Gerald. Je suis curieuse de connaître les intentions de l’auteur, si c’est pour qu’on s’assimile mieux à lui ou à Abi, par l’emploi récurrent du “Tu”, ou si c’est pour une toute autre raison. Dans tous les cas j’aime beaucoup être restée dans cette neutralité. Quant à Abi, il est difficile de se positionner à son sujet. Tantôt ange, tantôt diable, elle a une drôle de définition de l’amour et je considère assez folle, notamment après son énorme colère, une énergie débordante très vite réutilisée au lit. Elle n’est pas totalement antipathique et dégage une certaine fascination, c’est un drôle de mélange qui a bien fonctionné ici, sur si peu de pages.
Comme je le disais, la narration est à la deuxième personne du singulier, si bien qu’on est constamment interpellé par le narrateur. Le lecteur occupe donc la place d’Abi (ce qui peut glacer le sang, héhé). C’est vraiment bien écrit, avec une certaine familiarité vu qu’on est directement dans l’esprit du personnage, sans être totalement familier.
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Sans mentir, le combo plume et intrigue nous pousse vers la fin sans lutter. Dans une atmosphère tantôt attendrissante tantôt sulfureuse, on suit un couple que tout oppose et tout attire, jusqu’à leurs desseins. J’ai grandement aimé ce melting pot des genres et des tons, c’est une des grandes forces du récit. Ce dernier en devient marquant, et appelle même à une relecture dans quelques années !
Abimagique
17/20
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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois