L'escadron suprême : le programme utopie

L'ESCADRON SUPRÊME : LE PROGRAMME UTOPIE
Commençons par le minimum indispensable à savoir, pour comprendre ce que nous vous proposons de lire. L'Escadron Suprême est un groupe de super-héros appartenant à Marvel Comics, qui évolue sur la Terre-712, dont les membres sont clairement des avatars maison de la célèbre Justice League de chez DC Comics. Secondement, cet album fait suite à une saga réalisée par Jean-Marc De Matteis, avec les Défenseurs, où les membres de l'Escadron sont manipulés et sous l'emprise mentale de l'Overmind, au point d'être poussés à instaurer une véritable dictature en lieu et place des Etats-Unis d'Amérique. Grâce à l'aide du Docteur Strange, Hyperion et les siens finissent par triompher, mais la confiance du peuple est sérieusement entamée, et surtout, les dégâts sur le tissu social et économique sont considérables. Presque tout est à refaire, et c'est dans ce contexte que démarre notre histoire écrite par Mark Gruenwald, avec la démission du président américain Kyle Richmond, qui s'avère aussi être Nighthawk, le "Batman" de l'Escadron. Le désaccord du milliardaire est total, lorsqu'il apprend que ses collègues envisagent de redresser le pays à leur manière, c'est à dire en décidant pour la population ce qui est bénéfique pour elle, ce qui lui sera permis, ce qui ne le sera plus. Non seulement une question de lois, de constitution, mais aussi de morale, qui devient alors l'apanage de super-héros, qui s'arrogent la possibilité de tracer eux-mêmes une frontière entre le bien et le mal. Le programme Utopie commence par la suppression de toutes les armes à feu, aussi bien détenues par l'armée, que par les simples citoyens. C'est ensuite la décision la plus invraisemblable : modifier les schémas cérébraux des criminels pour que leur propension à faire le mal disparaisse, et en faire de bons et agréables citoyens. Nighthawk est si choqué par ce qu'il entend qu'il envisage même un instant d'assassiner son leader, Hyperion, alors que que celui-ci s'adresse à la nation. Hyperion, c'est Superman, un type invulnérable (si ce n'est une sensibilité mortelle à une roche extra-terrestre) et propre sur lui, un justicier qui incarne la bonté et la force dans le même corps. Les autres membres les plus influents sont Power Princess, Whizzer, le Docteur Spectrum, Amphibien, l'Archer Doré, et sa "compagne" Alouette, ou encore l'Aigle Bleu et l'inventeur de petite taille, Tom Pouce. L'intuition géniale de Gruenwald est donc quelque chose de révolutionnaire pour l'époque. En seulement douze numéros, le regretté scénariste américain va dépeindre des héros douteux, fragiles et parfois même carrément méchants. Des personnages qui, jusque-là s'étaient montrés intègres et qui au contraire ont basculé d'un coup d'un seul, affligés par la jalousie, la colère, la frustration et bien d'autres sentiments très éloignés des stéréotypes du super-héros, auquel le lecteur avait été habitué jusqu'alors. L'ESCADRON SUPRÊME : LE PROGRAMME UTOPIE

Pouvant compter sur une liberté créative difficile à obtenir sur d'autres séries de la Maison des Idées (certes c'est plus facile quand le récit se déroule dans un univers parallèle, son influence sur la continuité Marvel devant être pratiquement nulle) Gruenwald en profite pour violer d'autres tabous. D'abord, au bout de quelques pages, tous les membres du groupe, pour gagner la confiance des habitants de la planète, renoncent à leurs identités secrètes, puis, dans un crescendo dramatique, plusieurs de ces justiciers perdent la vie (la mort de l'un d'entre eux est même causée par un "accident", une intervention mal calibrée de la part d'un coéquipier, qui en voulant bien faire contribue à commettre l'irréparable). Le meilleur de l'humanité finit par côtoyer le pire. Les intentions sont bonnes, c'est indéniable, mais quand on est fondamentalement humain, alors qu'on possède des pouvoirs qui nous placent au delà de cette condition humaine, la corruption peut s'immiscer par les plus minces interstices. Avoir la volonté de changer le monde (sans son consentement), en avoir même les capacités apparentes, est-ce bien raisonnable quand on ne parvient pas à se changer soi-même? Quand le doute est si pernicieux qu'un héros ne s'estime plus digne de poursuivre sa mission? Quand un autre par amour commet un des viols métaphoriques les plus abjects de l'histoire de la bande dessinée? C'est ainsi que fonctionne la destructuration du mythe du super-héros, qui allait être l'apanage des grands auteurs britanniques de la fin des années 80 (Moore, Gaiman...). Certes des artistes comme Dennis O’Neil et Neal Adams (avec le duo Green Arrow Green  Lantern en plein road trip social au coeur des Etats-Unis) ou Frank Miller (Daredevil et son western urbain) avait déjà initié le mouvement, mais ici nous sommes face à autre chose. Le niveau de pouvoir est si total qu'on flirte avec le totalitaire. Le voile du bien fondé ne masque qu'à peine une effluve fascisante, les contours inquiétants d'une société où une oligarchie dotée de pouvoirs formidables guide et oriente un peuple dont on attend avant tout les remerciements, et l'obéissance. Les héros sont fragiles, ils peuvent être mesquins, on en voit aussi qui sont violents, rageurs, jaloux, et les passions sont mauvaises conseillères, quand on accède à ce niveau de responsabilité. Gruenwald ouvre la voie à Mark Waid, Mark Millar, Garth Ennis, anticipe tout ce qui va suivre, aidé dans un premier mouvement par un Bob Hall qu'il serait temps de réévaluer sérieusement. Son trait parfois plus anguleux et nerveux que convenu se base sur la puissance expressive et sur les émotions des personnages, presque au détriment d'une attention anatomique canonique. Mais ça marche, et les planches vivent réellement. C'est ensuite Paul Ryan qui prend la suite. Avec moins de personnalité, moins d'originalité, mais toujours une lisibilité et une capacité à mettre en scène tout ce beau monde, sans fausse note, qui rend l'ensemble encore plaisant bien des années plus tard. John Buscema pour sa part ne réalise qu'un seul épisode. On ne peut donc qu'applaudir à pleines mains l'initiative de Panini Comics de rééditer cette saga fondamentale, parue au départ dans Spidey n°87 à 99, dans un grand format Deluxe soigné avec une traduction méritoire et une qualité d'impression indiscutable. Un bel objet, mais surtout une belle épopée, probablement parmi les plus sous-évaluées de toute l'histoire des comics de super-héros. Si vous n'avez jamais lu l'Escadron Suprême, il est urgent de remédier. Je vous le promets, vous y prendrez un réel plaisir. 

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