Les cicatrisés de Saint-Sauvignac – Jean-Philippe Baril Guérard, Sarah Berthiaume, Mathieu Handfield et Simon Boulerice

Les cicatrisés de Saint-Sauvignac – Jean-Philippe Baril Guérard, Sarah Berthiaume, Mathieu Handfield et Simon Boulerice

Titre : Les cicatrisés de Saint-Sauvignac

Auteurs : Jean-Philippe Baril Guérard, Sarah Berthiaume, Mathieu Handfield et Simon Boulerice

Date de parution : novembre 2021

Editions Bouclard

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Bienvenue dans la petite ville de Saint-Sauvignac au Québec, une bourgade fictive où les journées monotones se succèdent. Hormis la plantureuse poitrine de la belle Chelsea, les distractions sont plutôt rares. Jusqu’à ce que le journal local annonce la construction d’un nouveau complexe aquatique afin de revitaliser le quartier de l’autre côté du chemin de fer. Les enfants n’ont alors qu’une hâte : descendre la «Calabrese», une glissade d’eau à pic renommée.

Mais, le jour de l’ouverture du parc aquatique, un clou mal positionné, transperçant le plastique turquoise, est à l’origine d’un drame blessant 118 enfants. À la suite de cet incident, tout dérape et l’existence de ces cicatrisés en est bouleversée.

Quatre saisons composent ce court roman surprenant, chacune d’elle ayant été écrite par un auteur différent. Quatre voix, quatre élèves de Saint-Sauvignac présents lors de l’accident prennent tour à tour la parole. Des protagonistes marginaux que j’ai trouvé attachants, même l’égocentrique Cédrik, pour lequel j’ai éprouvé un pincement au cœur lorsque j’ai découvert le sort qui lui était réservé.

Dès les premières lignes, le ton est donné (je vous laisse juger par vous-même).

« Il y a toujours une fille qui a des gros seins avant les autres, dans une école. À Saint-Sauvignac, c’est ma sœur. Les seins de ma sœur sont parmi les plus belles affaires qui ont jamais poussé à l’intérieur des limites de la ville. Les mauvaises langues pourraient dire que la compétition est presque nulle, étant donné que, depuis des années, ils ont décidé d’arrêter d’investir dans l’aménagement paysager et ont remplacé tous les parterres de fleurs par des mosaïques en garnotte. Mais ça serait de la mauvaise foi. Parce que la vérité, c’est que les seins de ma sœur pourraient entrer en compétition avec n’importe quel végétal luxuriant de n’importe où sur la planète. Les seins de ma sœur, c’est les jardins de Babylone suspendus dans une brassière. Même éclosion délirante de fruits, de fleurs, de sève chaude qui pulse. Même victoire improbable contre la gravité. »

La prose est crue, drôle, et le ton décalé.

Une intrigue déjantée où les adultes en prennent pour leur grade et dans laquelle les cicatrisés sont victimes de discrimination. Une mise à l’écart qui leur portera préjudice mais sera aussi source de bénéfices.

En dépit des huit mains qui composent ce récit, l’ensemble garde une unité et les mots québécois qui parsèment ce texte ne gênent aucunement la compréhension de cette histoire singulière qui se dévore.

« Le jour où j’ai failli perdre ma petite virilité, je m’étais levé à 6 heures du matin. J’avais rêvé toute la nuit que je perdais mon pénis. Pas comme un fruit qui tombe d’un arbre. Non. Plus comme une peau qui pèle, après un violent coup de soleil. Oui, c’est ça : une peau qui pèle. J’avais rêvé toute la nuit que je perdais mon pénis couche par couche. Mon pénis pleumait, jusqu’à devenir un vagin. Une succession de peaux de banane, comme des poupées russes. Oui, c’est ça : des poupées russes. Pis dans la dernière pelure, la plus petite : rien. Je m’étais levé le sourire aux lèvres, persuadé d’avoir un vagin entre les jambes. En me touchant l’entrejambe, j’avais bien remarqué que mon pénis était toujours là, à sa place habituelle. Là où il avait toujours été. J’avais été déçu pas à peu près. Je m’étais levé tristement, pour aller faire pipi. J’avais croisé mon père aux toilettes. Il paniquait. Il pensait qu’il venait d’uriner du sang. Il était allé réveiller ma mère, pour qu’elle l’amène à l’hôpital. Mais ma mère l’avait calmé en lui disant qu’il avait calé la moitié du bol de betteraves au souper. Mon père se vidait pas de son sang. Non. Il pissait juste du jus de betteraves. »

Les quatre romanciers dépeignent l’adolescence et son rapport à la sexualité avec justesse tout en y ajoutant une dose d’absurde absolument jouissive. Et derrière ces lignes légères, on décèle quelque chose de plus profond, de touchant.

Un texte québécois savoureux et loufoque qui sort, pour notre plus grand plaisir, des sentiers battus et nous procure une expérience de lecture follement divertissante.

Les cicatrisés de Saint-Sauvignac – Jean-Philippe Baril Guérard, Sarah Berthiaume, Mathieu Handfield et Simon Boulerice


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