Le grand désherbage

L’idée mûrissait en moi depuis longtemps, procrastination repoussant d’année en année l’inéluctable. Et puis cet article lu dans Le Monde (daté du 31/12/2020 pour ceux qui aiment la précision) est venu mettre un nom sur mon malaise : je devais faire de la place dans ma bibliothèque, ce que dans le monde des bibliothécaires français on appelle un « désherbage ». Désherber il fallait, désherber j’allais faire.

Tremblement de la glotte, déglutition difficile, j’ai enrobé du regard les rayonnages débordant de livres, serrés les uns contres les autres, en double couche, à l’horizontal pour boucher l’espace entre le haut des livres et l’étagère du dessus : « Mes chéris, papa va devoir se séparer de certains d’entre vous. Oh ! Je vous aime tous, mais l’appartement est trop petit pour tout le monde. Vous me comprenez ? » Ces lâches n’ont rien répondu, me laissant solitaire devant mon cas de conscience.

Jusqu’alors, faire ce ménage n’était qu’une idée en l’air, désormais j’avais la volonté de m’y atteler et les questions et problèmes sont immédiatement apparus :

A qui donner mes livres ? Une évidence, ces ouvrages se devaient d’avoir une seconde vie, d’être lus par d’autres. Ma bibliothèque municipale n’accepte pas les dons – ce que je n’ai jamais très bien compris, peut-être en raison de lois ou règlements ? – mais ils m’ont donné les coordonnées d’une association littéraire locale qui accepte ces livres, les revend lors de sa braderie annuelle, les fonds récoltés servant à organiser des conférences et autres activités littéraires.

J’avais une adresse, restait le problème logistique. Quand je parle de don de livres, il ne s’agit pas de quelques exemplaires remplissant un carton, mais de plus d’un millier de romans ! Vous êtes assez familiers de ces objets pour en mesurer le volume et pire encore, le poids ! Pour des raisons personnelles, je n’avais pas la possibilité de me déplacer, il fallait que le receveur vienne chez moi avec ses propres cartons et s’occupe de la manutention entre mon quatrième étage et son véhicule. Obstacle levé, l’association acceptait cette condition. Par contre il leur fallait une liste préalable de mes bouquins.

Ce n’était pas un vrai problème, juste un boulot supplémentaire. Depuis plusieurs décades, je gère mes lectures dans un fichier Excel : tous les livres y sont consignés, ceux que je conserve, ceux que j’emprunte à la bibliothèque, ceux que j’ai lus mais déposés dans des boites à livres. Un système de couleurs identifiant chaque cas. Restait à extraire ceux que j’envisageais de donner lors de ce désherbage, puis l’opération terminée, réintégrer cette liste dans mon fichier originel en transvasant ces livres possédés en livres donnés.

Enfin, je me suis attaqué concrètement au délestage. J’ai sorti un à un les exclus de mes rayonnages, pour les empiler au sol en tristes tas, dans l’attente de l’arrivée de leur nouveau propriétaire. Une extraction riche en émotions car dans beaucoup de ces livres, de petites fiches où j’avais pris des notes et des articles de journaux ont été retirés de leurs pages. Feuillets jaunis par l’usure du temps, souvenirs ravivés. A la vue et au toucher de ces bouquins j’ai aussi modifié mes choix de conserver ou donner, ce qui m’a obligé à revoir mon ficher Excel.

J’ai profité de l’occasion pour nettoyer mes étagères, ce n’était pas un luxe, la poussière témoignait que mes crus étaient bien vieux pour certains. Une cure d’amaigrissement pour ma bibliothèque et une nouvelle vie pour moi, la dernière partie, celle où l’âge nous dicte qu’il est temps de se séparer du superflu.

En théorie, les livres à conserver étaient clairs dans mon esprit, mais en pratique l’affaire l’a moins été. Alors, qu’ai-je conservé, qu’ai-je donné ? Pour ne pas vous retenir plus longtemps, ça fera l’objet de mon billet du week-end prochain… si vous le voulez bien, évidemment !

Ma bibliothèque avant le grand désherbage :

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