Toutes les familles heureuses - Hervé Le Tellier ***

Dans Toutes les familles heureuses, Hervé Le Tellier se livre  et livre sa famille : sa mère, son géniteur, son beau-père qui lui a donné son nom et lui a servi de figure paternel, ses grands-parents, sa tante, sa famille élargie, celle qu'il a construite, celle qui a failli.

Toutes les familles heureuses - Hervé Le Tellier ***Au détour de courts chapitres introduits par des citations d'auteurs, chaque partie éclairant un membre de ce cercle plus ou moins élargi, Hervé Le Tellier use d'une plume incisive, honnête, directe. Sans chercher le grand déballage à tout va, l'auteur n'hésite pas à questionner son enfance, son adolescence, son âge adulte, à égratigner ces personnalités, toutes décédées ou séniles pour ne pas prendre ombrage d'une parole ainsi libérée, pour que l'auteur s'autorise à parler. À travers ces figures pittoresques, l'auteur reparle de la France qui ne divorçait pas mais où les adultères et seconds foyers étaient légion, où les relations sororales ou fraternelles restaient très conflictuelles à la limite de la haine et de l'envie. 

Dans Toutes les familles heureuses, Hervé Le Tellier se dévoile donc et indique certaines étapes de son cheminement : il en manque. Mais comme l'auteur a la pudeur de ne pas tout centrer sur lui, il laisse la place aux autres et quels autres ! Les figures du côté maternel (mère, tante et grand-père) sont une grande découverte et forment des personnages romanesques. Entre richesses, secrets, folie, seconde vie, double ou triple vie, revers de fortune, c'est Dallas avant l'heure !
Et puis il y a un moment d'une infinie tendresse, un moment précieux dans ce livre de souvenirs, qui tarde à éclore parce qu'il faut du temps, de la confiance, parce que les mots se cherchent, se pèsent parce que les taire rendrait Toutes les familles heureuses incomplet, parce que ce moment a construit l'adulte Hervé le Tellier, parce que Rebecca - Piette mérite cet écrin littéraire. 

Toutes les familles heureuses se lit vraiment très bien et représente un instantané de la France des années 1930- 1990. Si au début de sa narration, Hervé Le Tellier ne cesse de se traiter de "monstre sans cœur", la suite et les faits factuels qu'il décrit et qu'il choisit indiquent aussi le recul salvateur qu'il a dû opérer pour ne pas souffrir ou moins souffrir. Sa plume est impeccablement dosée.

Sans avoir eu la même famille, j'ai compris le monde qu'expose Hervé le Tellier, les relations tendues, cette France d'en haut qui a eu aussi des bas, ces incompréhensions familiales, ces faux-semblants, cette volonté du "toujours plus". J'ai retrouvé un peu de l'univers parisien de Françoise Sagan et de Patrick Modiano

Il est toujours difficile de parler de soi ou de sa famille sans rendre le lecteur intrusif, sans paraître geignard : Hervé Le Tellier réussit l'exercice et on sent qu'il fut difficile pour un écrivain qui aime se cacher derrière ses créations, derrière ses fictions, dans les exercices littéraires qu'il s'impose habituellement.

Les dernières lignes de Toutes les familles heureuses, reprises en quatrième de couverture, concluent la quête de son auteur : "Mais en mettant des mots autour de mon histoire, j'ai compris qu'un enfant n'a parfois que le choix de la fuite, et qu'au péril de sa fragilité, il devra à son évasion d'aimer plus fort encore la vie."

Éditions Le Livre de Poche


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