Amok de Stefan Zweig

Par Livresque78

Ma passion pour Stefan Zweig n'est définitivement plus un secret pour vous. Cet auteur autrichien excelle autant dans les longues biographies très renseignées comme Marie-Antoinette, dont je vous parlais ici, que dans les courtes nouvelles, très percutantes, comme Le Joueur d'échecs (que j'avais chroniqué ici) ou ici, Amok. L'amok, " c'est plus que de l'ivresse...c'est de la folie, une sorte de rage humaine...une crise de monomanie meurtrière et insensée, à laquelle aucune intoxication alcoolique ne peut se comparer ". Et c'est ce que va raconter ce médecin rencontré de nuit sur un bateau, ce médecin qui se prive de tout contact humain, depuis qu'il est pris de ce mal, dont il va expliquer l'origine.

Le problème quand on chronique des nouvelles, c'est qu'on ne peut pas trop en dire, pour ne pas trop effeuiller le texte dont la brièveté fait tout le charme. Le narrateur de la nouvelle s'efface pour être uniquement celui qui écoute celui qui a besoin de dire.

Cette nouvelle, c'est une tragédie condensée. La divinité, c'est la dame ; l'homme c'est le médecin ; l'hybris, c'est cette espèce de mélange de fierté, de vexation et de désir qui pousse le médecin au refus initial ; le destin, c'est le temps, la fierté aussi et la fin, c'est la mort.

Dans ces quelques quatre-vingts pages, Stefan Zweig réussit à peindre tout ce que la passion a de fugace et de destructeur, tout ce que l'attirance recèle de menaces, tout ce que la méfiance retire au bonheur. Un mot et tout est trop tard ; et pourtant, tout s'est joué bien avant : un regard et c'était perdu, un rire et ils étaient condamnés.

Le lecteur n'a même pas le temps de ressentir de l'empathie pour le médecin qui, en racontant, prend la pleine responsabilité de tout, ni pour la femme, hautaine et distante, et pourtant, on est pris dans l'engrenage infernal, on ressent l'urgence, la détresse, la folie, et c'est beau, encore...

Priscilla