La douloureuse naissance d’un génie

Ludwig et Beethoven (Mikaël Ross – Editions Dargaud)

Près de 200 ans après sa mort à Vienne en 1827, Ludwig van Beethoven demeure assurément l’un des compositeurs les plus connus de l’histoire de la musique. Ses sonates, concertos et symphonies font aujourd’hui partie du patrimoine universel, à commencer bien sûr par son « Ode à la joie », devenu l’hymne de l’Union européenne. Mais sait-on vraiment qui était l’homme derrière la « Lettre à Elise »? Pour le découvrir, la BD « Ludwig et Beethoven » nous ramène aux sources du mythe. Plus précisément à Bonn en 1778, à une époque où celui que l’on appelle alors Luddi n’a que sept ans. Dès les premières pages, on se rend compte que l’enfance du jeune Beethoven est loin d’être rose. Contrairement à ses frères Kaspar et Nikolaus, qui sont joyeux et insouciants, le petit Ludwig a la mine grave et renfrognée, comme s’il était déjà un adulte, comme s’il pressentait le destin à la fois glorieux et tragique qui l’attend. Il faut dire que Luddi est à la fois le souffre-douleur des autres enfants de son âge, qui le surnomment « Pète-au-vent », et celui de son père Johann, un musicien raté et alcoolique. Criblé de dettes, celui-ci rêve de faire de Ludwig un petit prodige musical et de parcourir avec lui toutes les cours d’Europe, comme l’avait fait le père de Mozart avec son fils Wolfgang. Johann van Beethoven est rarement sobre, mais il conserve tout de même suffisamment de lucidité pour repérer que son fils a un talent extraordinaire pour la musique. Dès qu’il se met derrière un piano, la laideur se transforme en beauté et la misère cède la place pendant quelques minutes à la rêverie et au voyage. Même les créanciers de Johann sont prêts à oublier ses dettes lorsqu’ils entendent jouer le petit garçon. Le problème, c’est que Johann sombre de plus en plus profondément dans l’alcool, au point que son épouse finit par le mettre à la porte. Ce n’est donc pas de lui que viendra le salut du petit Ludwig, mais de la bienveillante famille von Breuning, qu’il rencontre tout à fait par hasard. Les membres de cette famille bourgeoise sont, eux aussi, envoûtés par le don musical du jeune homme. Luddi devient même le professeur de piano d’Eléonore, la jeune fille de la maison. Inspirés par les idéaux des Lumières, les von Breuning ouvrent leurs portes et leurs coeurs au jeune Beethoven, lui permettant d’enfin trouver un cadre plus propice à son développement. Grâce à eux, le jeune compositeur entre en contact avec le comte Waldstein, qui lui demande de composer un ballet équestre, puis avec Joseph Haydn, qui deviendra plus tard son maître à Vienne. Petit à petit, Luddi gravit ainsi les échelons vers la gloire. Hélas, son ascension va de pair avec de plus en plus de problèmes de santé: des maux de ventre quasiment permanents et des acouphènes.

La douloureuse naissance d’un génie

Pas facile de s’attaquer à un monument tel que Beethoven! Plutôt que d’opter pour une biographie classique et linéaire, qui aurait certainement été un peu ennuyeuse, l’auteur allemand Mikaël Ross a choisi de se concentrer sur une partie de sa vie, en démarrant son récit dans l’enfance du compositeur pour le terminer au moment de son premier concert triomphal. Ce choix permet à Mikaël Ross de se focaliser sur la naissance d’une légende, en soulignant les nombreux obstacles que Beethoven a dû surmonter avant d’être enfin reconnu. L’alcoolisme de son père, sa condition sociale et familiale difficile, ses échecs amoureux à répétition, sa santé fragile: tous ces facteurs auraient pu empêcher le monde de connaître un jour la musique de Beethoven. Mais au final, rien n’est parvenu à entraver son destin, même pas la surdité, qui ne va pourtant faire que s’aggraver au fil des ans, jusqu’à devenir quasiment totale durant les dernières années de sa vie. Il est fascinant de découvrir comment le compositeur allemand est parvenu à surmonter son enfance cabossée et ses origines modestes pour devenir la nouvelle coqueluche de Vienne, grâce à son talent bien sûr, mais aussi grâce à plusieurs rencontres déterminantes. Pour raconter cette histoire, Mikaël Ross s’appuie bien sûr sur une documentation solide, en nourrissant son récit de nombreux détails véridiques, mais il n’hésite pas aussi à y ajouter sa touche plus personnelle, en mélangeant les éléments véridiques avec des éléments fictionnels. Cette approche lui permet de donner beaucoup plus de vie aux personnages de « Ludwig et Beethoven », à l’image de ce qu’avaient réussi à faire Julie Birmant et Clément Oubrerie dans l’excellente série « Pablo », qui raconte la jeunesse bohème de Picasso à Paris. Graphiquement aussi, Mikaël Ross parvient à rendre son Ludwig extrêmement vivant et expressif. On ressent ses délires fiévreux quand il est contaminé par la variole, on souffre avec lui quand ses maux de ventre le terrassent, on tombe raide dingue amoureux comme lui de la cantatrice Magdalena Willmann. Tout cela grâce à un dessin nerveux et plein de mouvement, qui fait penser un peu à Christophe Blain. Mais c’est surtout quand Luddi s’installe derrière un piano que la BD prend subitement une autre dimension. Quand Beethoven joue ses compositions, le temps s’arrête, de même que ses souffrances. Le dessin de Mikaël Ross s’échappe alors des cases et se pare de nouvelles couleurs, comme pour mieux souligner à quel point la musique peut permettre à chacun d’entre nous d’échapper à la grisaille et d’être libres. Voilà un message qui reste forcément d’une grande actualité!


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