Résine – Ane Riel

Résine – Ane Riel

Résine - Ane Riel - Edition du Seuil, Collection Cadre Noir, 04 Mars 2021.

Coup de cœur pour ce premier roman d'une auteure danoise, qui m'a envoûtée. Un récit sombre, poignant et attachant.

La famille Haarder vit sur la presqu'île d'un pays du Nord, dans le plus complet isolement. Jens transmet à sa fille, Liv, la passion qu'il a hérité de son propre père pour la nature, et surtout pour la résine, substance naturelle miracle qui peut " guérir, tuer et préserver les corps ". Mais terriblement affecté par la mort de son propre père et par celle de son fils, le frère jumeau de Liv, Jens, devient taciturne et paranoïaque, " cassé " comme les innombrables objets qu'il collectionne. Il sombre peu à peu dans la folie, entrainant avec lui sa famille qu'il veut absolument protéger contre un monde extérieur qu'il juge hostile et dangereux. Il va vivre reclus, barricadé derrière une montagne d'objets. Son épouse, Maria ne sort plus, devient énorme et reste alitée, entourée de livres et de cahiers de notes. Liv est déscolarisée et sort uniquement la nuit pour voler de quoi survivre. Par amour pour son père, Liv devient alors complice de ses dérives.

Nous suivons Liv, adolescente déscolarisée à l'existence sordide et abjecte, de notre point de vue, car n'ayant pas conscience de la réalité du monde extérieur, Liv est heureuse là où elle est. L'amour que lui portent ses parents lui suffit, la communion avec la nature en marge de la vie sociétale la comble. A l'âge où tout ado lambda découvre ses premiers émois. Liv vit elle aussi " ses premières fois ", à commencer par le meurtre de sa grand-mère assassinée par son propre père... L'homme avait de bonnes raisons de le faire : protéger sa famille du monde extérieur, car la vieille dame menaçait de venir chercher Liv pour l'emmener vivre en ville. La mère de Liv assiste impuissante à la descente aux enfers de sa famille : devenue impotente, privée de parole, elle s'exprime par des notes qu'elle adresse à sa fille, ne sait si elle doit considérer sa vie comme un conte de fée auprès d'un mari aimant ou comme un roman d'horreur tant sa folie les aspire.

L'écriture " douce " nous berce, mais nous entraine peu à peu sur une pente glissante : le monologue de Liv qui raconte son enfance possède le ton juste, candide, naïf parfois. En sécurité auprès de sa famille, portée par leur amour le plus pur, la jeune fille ne voit pas l'horreur des actes commis par son père, un homme qui cherche uniquement à protéger les siens. L'auteure joue sur cette ambivalence et nous prend au piège : elle nous explique l'histoire de Jens, son vécu avec ses propres parents, le traumatisme lié au décès de son père qu'il vénérait. Donc on finit par comprendre les blessures de cet homme désireux de vivre en marge de la société et qui souhaite coûte que coûte protéger sa famille. a des allures de conte survivaliste qui n'est pas sans me rappeler, par le style, Préférer l'hiver d' Aurélie Jeannin. J'ai été attirée par la couverture: la poupée démembrée évoque évidemment l'enfance brisée, et je m'attendais à un thriller scandinave d'une autre nature, j'ai été surprise de trouver ce type de récit, toutefois pour le côté sombre, nous sommes habilement servis: je n'ai jamais rien lu de tel, et j'ai été fascinée par l'imagination de l'auteure. Le récit est prenant, tragique, subtil, parfois inégal peut-être mais inédit assurément !

Je remercie Pierre Krause de Babelio, ainsi que les Editions du Seuil pour cette excellente lecture.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois