Le Démon de la Colline aux Loups

Le Démon de la Colline aux Loups

En deux mots:
Duke est en prison, alors il prend le temps de nous raconter son histoire, même s’il estime ne pas avoir les mots pour dire ce qu’a été sa vie. Au sein d’une famille nombreuse, il a été victime d’un père violent et pervers avant de pouvoir s’échapper. Mais son lourd traumatisme, le Démon, ne l’a pas quitté pour autant.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

«Comme un arbre pourri avec ses racines dans le marais de l’enfance»

Première grande révélation de cette rentrée, Dimitri Rouchon-Borie a réussi avec Le démon de la colline aux loups un premier roman aussi prenant que glaçant. Une belle réussite!

Le narrateur de cette terrible histoire est en prison pour longtemps. Et comme le temps, c’est tout ce qui lui reste, il s’en sert pour lire et écrire, pour retracer son histoire, quand Fridge, son compagnon de cellule, dort. Celle d’un homme qui est «comme un arbre pourri avec ses racines pour toujours dans le marais de l’enfance». Un marais bien glauque, comme cette pièce avec une couverture posée sur le carrelage sur laquelle se pelotonnent les six frères et sœurs, se tenant chaud dans l’obscurité. Ce n’est qu’après avoir pris des coups de leurs père et mère qu’ils franchiront la porte, qu’ils pourront sortir. Quand les services sociaux contraignent les parents à scolariser les enfants, une lueur d’espoir semble briller dans les yeux de celui qui découvre qu’il s’appelle Duke. Il découvre un monde, une institutrice prévenante, un docteur qui prend soin de lui et de ses blessures et même deux gendarmes qui sermonnent les parents. Mais ce répit sera de courte durée. Aux coups de son père s’ajoute une punition bien plus douloureuse, le viol. Dès lors Duke souffre, mais s’endurcit. Il ne veut pas que sa sœur, qui le réconforte, subisse le même sort. Alors il s’érige en rempart. Alors, il raconte ce qu’il subit. Alors, après un séjour à l’hôpital qui est comme un paradis sur terre, son père est arrêté et incarcéré. Les enfants sont alors placés en famille d’accueil, mais aussi séparés, ce qui cause un nouveau traumatisme. Duke se retrouve chez Pete et Maria et leurs deux fils, les jumeaux David et Bob. Il passera plusieurs années au sein de cette famille. C’est avec eux qu’il vivra l’épreuve du procès et la condamnation de ses parents.
«J’ai compris cette chose-là c’est qu’ils s’occupaient de moi et tant qu’ils le faisaient je pouvais compter sur eux c’était comme museler un fauve en fui faisant des caresses. Je sentais bien que j’avais à l’intérieur une trace qui ne partait pas c’était la déchirure de l’enfance c’est pas parce qu’on a mis un pont au-dessus du ravin qu’on a bouché le vide. J’avais le manque des frères et sœurs et je n’osais pas demander parfois on voyait des juges ou des éducateurs et pas un ne me parlait de Clara ou de la Boule est-ce qu’ils pensaient à moi? Petit à petit j’avais commencé à m’intéresser à la solitude qui était une sorte de permanence au-dedans et à la fin on revient toujours à ce qui est constant mais je ne savais pas encore si c’était une porte fermée ou une porte à ouvrir je le tournais comme ça dans ma tête.»
Malgré, ou peut-être à cause de cette affection qu’ils lui portent, Duke décide de partir, sans vraiment savoir où. Il avale les kilomètres et décide finalement d’aller voir la mer. Sur la plage, il «aimante» Billy, une junkie avec laquelle il trouvera refuge dans un squat. C’est alors que ses ennuis vont commencer, que la spirale infernale de la violence va l’entraîner…
Dimitri Rouchon-Borie est la première révélation de cette rentrée. Il a trouvé une langue, un «parlement» comme il dit, qui colle parfaitement au récit, mélange de sentiments qui n’arrivent pas à s’extérioriser et de naïveté qui donnent au final encore davantage de force et de gravité au roman. Comme a si bien su le faire Jean-Paul Dubois avec Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon – un titre qui aurait aussi parfaitement convenu à ce roman – on s’attache à ce détenu. On le regarde se démener avec son histoire et avec son Démon. On espère avec lui que le prêtre qui vient lui rendre visite lui apportera un certain réconfort, mais on se rend vite compte que la spiritualité ne parviendra qu’à lui laisser entrevoir une autre vie. «Je crois que c’est ma souffrance qui m’a tué depuis longtemps je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort. Et cette mort profonde c’est elle qui est en train de monter en moi et de conquérir tous mes organes je le sais je ne peux que l’accepter et c’est ainsi. Et c’est aussi sans doute ma souffrance qui a fait le lit du Démon et qui a causé la mort de tous ces gens que j’ai tués. J’ai lu aussi cette phrase où elle dit que l’âme s’égare parce qu’elle est obsédée par ses douleurs alors elle pense qu’elle est la solution enfin le remède alors qu’en fait quand l’âme essaie de se soigner toute seule elle fait pire et encore pire merde alors. Je crois que ce qu’il faut c’est tout abandonner à Dieu et avoir faim de lui mais je n’ai jamais appris cet appétit ni aucun autre je n’ai plus rien désiré quand j’ai tout perdu.»
Un roman noir, un roman dur, mais qui laisse transparaître une jolie lumière que l’on pourrait appeler l’humanité. Dans cet univers proche de celui du Franck Bouysse de Buveurs de vent, le primo-romancier ferre le lecteur dès les premières pages. D’abord intrigué puis horrifié, révolté puis compatissant, il aura bien de la peine à lâcher le récit avant la fin. Et une fois la dernière page tournée, il en redemande encore!

Le démon de la colline aux loups
Dimitri Rouchon-Borie
Éditions Le Tripode
Premier roman
238 p., 17 €
EAN 9782370552570
Paru le 7/01/2021

Où?
Le roman n’est pas situé géographiquement.

Quand?
L’action se déroule à notre époque.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un homme se retrouve en prison. Brutalisé dans sa mémoire et dans sa chair, il décide avant de mourir de nous livrer le récit de son destin.
Écrit dans un élan vertigineux, porté par une langue aussi fulgurante que bienveillante, Le Démon de la Colline aux Loups raconte un être, son enfance perdue, sa vie emplie de violence, de douleur et de rage, d’amour et de passion, de moments de lumière… Il dit sa solitude, immense, la condition humaine.
Le Démon de la Colline aux Loups est un premier roman. C’est surtout un flot ininterrompu d’images et de sensations, un texte étourdissant, une révélation littéraire.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
Page Wikipédia du roman
Libération (Frédérique Roussel)
Blog Cultures sauvages 
Blog Les Miscellanées d’USVA 
Blog Tu vas t’abîmer les yeux 

Les premières pages du livre
« Mon père disait ça se passe toujours comme ça à la Colline aux Loups et ça s’était passé comme ça pour lui et pour nous aussi. Maintenant je sais que ça s’est arrêté pour de bon. La Colline aux Loups c’est là que j’ai grandi et c’est ça que je vais vous raconter. Même si c’est pas une belle histoire c’est la mienne c’est comme ça.
La Colline aux Loups j’aime pas en parler d’habitude. Le Démon est né là et c’est là qu’il m’a pris. Mais si je devais taire tout ça à jamais j’aurais l’impression qu’il a volé mon âme pour de bon et bien plus encore mon histoire. J’espère que vous saurez vous montrer miséricordieux ou quelque chose comme ça parce que j’ai un parlement qui est à moi et pendant tout ce temps ces mots c’était ma façon d’être moi et pas un autre. Et comme j’ai pas fait l’école longtemps à cause du père, du Démon, de la mère et des autres, il manque des cases dans mon entendement des choses.
À qui j’écris ce journal alors je ne sais pas. Peut-être à moi-même et à celui que j’étais avant le Démon.
Les gens n’ont pas de premier souvenir. Comme Fridge qui dort à côté dans la cellule il n’a pas de premier souvenir, Il dit j’en sais rien moi qu’est-ce que ça peut fiche et il se frotte les bords de la bouche comme pour lisser une moustache il a pas un poil. Fridge il est avec moi depuis que je suis avec lui dans la cellule avec dix ou douze ans de prison à faire mais il dit qu’il les fera pas parce que l’avocat lui a dit qu’il les fera pas. Fridge se souvient de plein de choses mais pas de son premier souvenir. C’est comme si personne n’était foutu de savoir à quel moment on a tous eu la première pensée de quelque chose et pourquoi ça s’efface et peut-être que c’est mieux que ça reste pas nous plomber la cervelle avec trop de choses.

Quand Fridge dort, j’écris, sinon il me cause et il veut lire par-dessus mon épaule. Une fois je lui ai craché dans l’oreille. J’ai demandé au chef des livres à la bibliothèque et j’ai eu droit de les sortir et de les garder et j’ai un dictionnaire et un manuel de grammaire pour les nouveaux arrivants. Les psys, ils ont toujours dit d’écrire pour la thérapie mais moi je ne savais pas quoi faire d’un stylo maintenant j’ai même une machine et je peux prendre le temps parce que le directeur, dit que le temps je n’avais plus que ça.
Je ne suis pas inquiet parce que l’éternité j’avais déjà senti quelque chose comme ça avec le Démon. C’était une chute qui ne finissait pas dès le départ et je savais qu’une partie de moi était partie d’ici et n’était plus sur terre enfin pas comme on le dit pour les gens ordinaires. Je dis pas que je suis pas ordinaire je dis que j’ai hérité du Démon et que c’est comme quand les dieux descendent chez nous sauf que là c’est le diable. Je sais pas de quoi il est fait mais il avait déjà été appelé par mon père il ne savait pas ce qu’il faisait et je n’avais pas mon mot à dire. Je me souviens que dans mon enfance quand j’ai pu sortir une fois et respirer la nature j’avais vu un cocon qui allait faire un papillon et je sentais que j’étais un cocon aussi mais pour une histoire qui serait salement moche et je m’étais pas trompé de beaucoup.

Quand j’écris je ne mange pas parfois c’est Fridge qui prend mon plateau et moi j’écris et ça me suffit j’aime pas mettre du gras sur la machine et je devrai la rendre propre m’a dit le directeur.
Je ne sais pas si j’étais prêt à revivre la Colline aux Loups même si je l’ai quittée ou si elle m’a quitté je suis comme un arbre pourri avec ses racines pour toujours dans le marais de l’enfance. Le psy avait dit qu’il fallait remonter remonter remonter il l’avait dit trois fois de remonter le temps pour retrouver des choses qui font des blocages. Qu’est ce que j’avais ri, Des blocages. Je repense à ce que j’ai fait. Des blocages. Mais après je m’étais mis à y penser et à me dire qu’à ma mort je sais pas qui je trouverais de l’autre côté alors peut être que je devais commencer à songer pas vraiment à un pardon non ce serait trop fort mais le psy avait dit rédemption. Comment t’écris rédemption Fridge et lui il répond avec ma bite. Je pouvais pas parler avec Fridge.
C’est bête à dire mais la Colline aux Loups au départ je ne savais pas que C’était la Colline aux Loups vu que j’habitais dans la maison qui était dessus et que je n’en étais jamais sorti encore. On était là et on ne savait pas qu’on était dedans. Si je dis on c’est parce qu’il va falloir que je vous parle des frères et sœurs et ça ça ne va pas être facile pour moi de les raconter car je ne sais pas où ils sont aujourd’hui et ça me fait un mal au-dedans qui ressemble à rien d’autre. J’étais né entre les deux premiers et les trois derniers alors j’ai toujours dit qu’on était cinq parce que ça se calculait mieux si je n’existais pas dans l’addition et à l’école j’utilisais une calculatrice quand j’y allais mais pas pour faire les exercices juste pour appuyer sur les touches et c’est aujourd’hui que je saurais enfin m’en servir. Je n’ai plus rien à calculer de la famille c’est l’avantage d’être seul. »

Extraits
« J’ai cru que mes parents avaient mis une autre volonté en moi qui me dicterait ma vie mais maintenant je sais que j’ai fait des choix même si je n’ai pas tout décidé. Il faut comprendre que c’est trop dur de demander à un enfant qui a enduré d’avoir en plus la force de faire les bons choix c’est comme si vous demandiez à l’éclopé de marcher mieux que les autres. »

« On meurt par la faim, on meurt par la soif, on meurt par la douleur, on meurt par amour. C’est le livre sur le Purgatoire qui le dit je crois c’est une dame qui l’a écrit je ne sais pas si elle est connue. J’ai bien lu quand elle parle de la souffrance qui est un moyen de mort et c’est vrai. Je crois que c’est ma souffrance qui m’a tué depuis longtemps je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort. Et cette mort profonde c’est elle qui est en train de monter en moi et de conquérir tous mes organes je le sais je ne peux que l’accepter et c’est ainsi. Et c’est aussi sans doute ma souffrance qui a fait le lit du Démon et qui a causé la mort de tous ces gens que j’ai tués. J’ai lu aussi cette phrase où elle dit que l’âme s’égare parce qu’elle est obsédée par ses douleurs alors elle pense qu’elle est la solution enfin le remède alors qu’en fait quand l’âme essaie de se soigner toute seule elle fait pire et encore pire merde alors. Je crois que ce qu’il faut c’est tout abandonner à Dieu et avoir faim de lui mais je n’ai jamais appris cet appétit ni aucun autre je n’ai plus rien désiré quand j’ai tout perdu. » p. 73

« Je suis resté chez Pete et Maria des années et tout allait bien car leur façon de fabriquer des habitudes me protégeait du Démon. J’ai compris cette chose-là c’est qu’ils s’occupaient de moi et tant qu’ils le faisaient je pouvais compter sur eux c’était comme museler un fauve en fui faisant des caresses. Je sentais bien que j’avais à l’intérieur une trace qui ne partait pas c’était la déchirure de l’enfance c’est pas parce qu’on a mis un pont au-dessus du ravin qu’on a bouché le vide. J’avais le manque des frères et sœurs et je n’osais pas demander parfois on voyait des juges ou des éducateurs et pas un ne me parlait de Clara ou de la Boule est-ce qu’ils pensaient à moi? Petit à petit j’avais commencé à m’intéresser à la solitude qui était une sorte de permanence au-dedans et à la fin on revient toujours à ce qui est constant mais je ne savais pas encore si c’était une porte fermée ou une porte à ouvrir je le tournais comme ça dans ma tête. » p. 129

À propos de l’auteur
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Dimitri Rouchon-Borie © Photo DR

Dimitri Rouchon-Borie est né en 1977 à Nantes. Il est journaliste spécialisé dans la chronique judiciaire et le fait divers. Il est l’auteur de Au tribunal, chroniques judiciaires (Manufacture des livres, 2018). Le Démon de la Colline aux Loups est son premier roman. (Source: Éditions Le Tripode)

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