Août 61 de Sarah Cohen-Scali

Août 61 de Sarah Cohen-Scali

Aujourd’hui. Benjamin Kaye vient d’être arrêté à Calais, dans un camion en compagnie de migrants. Mais Ben est âgé, a des papiers en règles, que faisait-il là ? C’est à l’hôpital qu’on le conduit car il paraît désorienté. Ben en effet souffre de la maladie d’Alzheimer et dans sa tête, c’est Beniek qui parle désormais…

Beniek est juif, est adolescent. Il a connu les camps de concentration allemands, les marches de la mort, il y a perdu toute sa famille. Au sortir de la guerre il est pris en charge par une institution parmi tant d’autres orphelins. Arrive alors Tuva, une petite fille blonde aux yeux bleus, aussi volubile que lui est muet de ses terreurs passées et de son admiration. Entre eux l’alchimie est immédiate, ils deviennent inséparables, confidents, jusqu’à ce que le destin les sépare. Beniek est envoyé en Angleterre pour une nouvelle vie, tandis que Tuva doit rejoindre sa mère naturelle en Norvège. Elle est une enfant du Reich, fille d’une aryenne et d’un nazi, née dans un Lebensborn.

C’est en 1961 que Beniek et Tuva se retrouvent, à Berlin où elle vit désormais avec ses grands-parents paternels Ulrich et Louisa, tandis que lui a rejoint une tante rescapée de l’holocauste à Paris. Août 1961, ce seront quelques jours de retrouvailles intenses, de bonheur, d’évidence amoureuse. Août 1961, c’est également la date de la construction du mur de Berlin, qui scelle leur ultime et déchirante séparation, Tuva ayant choisi de croire en un avenir socialiste plus juste, Beniek retournant à l’occident, à sa nouvelle vie en tant que Ben, de l’autre côté du mur désormais infranchissable. Mais Tuva ne rentre pas seule, car une vie est née en elle, une fille, Lili, qui restera le fil incassable entre ces deux êtres que tout sépare.

Au fil des narrateurs, Ben à différents âges de sa vie, Tuva aussi, on découvre des destins liées, des vies mêlées et décousues, des histoires avec en toile de fond l’Histoire de l’Allemagne au fil des décennies, de la fin de la seconde guerre mondiale à aujourd’hui. Des petits bonheurs et de grandes déchirures, quelques vies sauvées pour tant de destins brisés.

Puis c’est une femme qui prend le relais, une femme qui rend visite à Ben à l’hôpital mais qu’il ne reconnaît pas, une femme qui garde le mystère de son identité jusqu’au bout, et qui déroule pour Ben, pour Beniek, la fin de l’histoire. Le sort de Tuva et Dieter, la vie de Lili et d’Helmut. La fin de l’histoire de Ben, jouet bien malgré lui des sursauts les plus effroyables de l’histoire européenne.

Dans ce roman, l’auteure s’attache à reconstituer le « puzzle de la mémoire » de Ben, son histoire éprouvante et émouvante, les joies et les peines immenses des êtres qui lui sont chers, tout en distillant toute l’horreur des régimes totalitaires. Avec beaucoup d’habileté, elle nous dresse les portraits, parfois incomplets, d’hommes et de femmes qui ont juste essayé de vivre, d’être heureux, nous les rend attachants dans leur humanité et rendant d’autant plus effroyables les peines subies.

J’ai lu ce livre avec avidité et retenue, ai été touchée par l’écriture et la fragilité du récit. Les souvenirs de Ben nous sont délivrés par petites touches, parcellaires du fait de la maladie. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec toutes ces vies effacées par la guerre, par les actes criminels commis et dissimulés par la machine totalitaire, tous ces destins et ces fins qu’on ne peut qu’imaginer faute de traces. Ce roman est pour moi une très belle oeuvre littéraire et une formidable dénonciation de tous les régimes qui aliènent l’humanité, au nom de principes et d’idéaux pervertis. Une leçon d’histoire et d’humanité, une leçon pour ne pas oublier, ni oublier de penser.

J’ai aimé aussi découvrir cet envers du décors de la RDA, trop peu raconté il me semble, mais non moins triste et révoltant que l’horreur nazie. A travers la fiction, les données inanimées des livres d’histoire prennent toute leur réalité.

A lire sans hésiter ! Pour les adultes mais aussi les lycéens.

Sarah Cohen-Scali, née en 1958, est une écrivaine française vivant à Paris.

Août 1961 est paru en septembre 2019 chez Albin Michel (19€). 

Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à me suivre sur Facebook !

wallpaper-1019588
Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois