A crier dans les ruines d’Alexandra Koszelyk

Par Livresque78

A crier dans les ruines est un roman qui porte magnifiquement son titre. Ce texte est un chant d'amour, un amour si fort qu'on ne peut l'exprimer qu'en criant. C'est un roman beau et fort que nous a écrit Alexandra Koszelyk. J'ai immédiatement été prise d'affection pour la jeune Lena, son insouciance, son amitié forte avec Ivan, là-bas, tout près de Tchernobyl, à Pripiat.

Voici la quatrième de couverture : Tchernobyl, 1986. Lena et Ivan, deux adolescents amoureux l'un de l'autre, voient leur vie bouleversée par l'explosion de la centrale. Si Lena, croyant Ivan mort, part avec sa famille en France, Ivan, qui n'a pas pu quitter la zone, attend son retour. Déracinée, la jeune fille tente d'oublier son passé. Vingt ans plus tard, elle fait le chemin inverse, et repart en Ukraine.

Un magnifique cri d'amour donc. A Ivan d'abord. Les deux jeunes gens se rencontrent enfants, à une époque où ils ne vivent que l'un par l'autre, l'un pour l'autre et où tout le monde trouve cela touchant. Ivan et Lena se connaissent, se comprennent, se créent un monde à leur image qu'ils ont du mal à quitter. Quand la catastrophe de Tchernobyl éclate, les deux origines sociales scellent deux destins opposés : la jeune bourgeoise fuit Pripiat avant même le décret national et arrive à émigrer en France tandis que le fils de berger se voit conduit dans des camps de transit puis un appartement à Kiev. Pourtant, chacun reste attaché à cette part de lui-même qui continue de vivre en l'autre, par des lettres, des objets. L'enfance, puis l'adolescence, l'âge adulte enfin, auront beau apporté avec eux la colère, le temps et la désillusion, ils n'effaceront jamais l'amour.

Mais ce n'est pas tout. A crier dans les ruines est un chant d'amour lancé aux racines, l'Ukraine. Alors que ses parents parviendront à s'occidentaliser car ils ont emmené avec eux tout ce qui était leur essentiel, Lena, privée de son essentiel, refusera toujours de tourner la page. A travers sa grand-mère, à travers son attachement pour tous les exilés, grâce à ses statuettes, à sa fascination pour les ruines, elle reste persuadée que sa place est ailleurs, là où tout a commencé, où tout s'est terminé, où tout est à reconstruire. Elle s'acharnera à garder de ce pays les images de bonheur non ternies par la catastrophe nucléaire. C'est une quête profondément intime qui nous est décrite, celle d'une enfant à qui on a volé la vie et qui se rendra compte au bout d'un certain temps qu'il lui faut la récupérer.

Cette histoire est également un chant d'amour à la nature, contre les dérèglements humains. Face à la folie du nucléaire, à l'inconsidération des hommes, les descriptions de Pripiat, au retour de Léna, ont quelque chose de bucolique. J'ai été très sensible à cette touchante ode à la nature qui reprend ses droits, à cet éloge des arbres, de la sève et des animaux qui ont vaincu la radioactivité.

Enfin, et ce sera mon dernier argument pour vous inviter à découvrir cette œuvre, j'y ai lu un hymne vibrant au pouvoir de la littérature. Prisonnière de son passé, exclue par sa langue et sa culture, Lena se plonge dans les livres. Elle parvient, grâce aux mots des autres (et ils sont nombreux : Camus, Platon, Kundera, Sophocle, Barbey d'Aurévilly...), à comprendre ses maux à elle. Alors que le silence et les tabous ont fait de sa vie une pièce sans âme, Lena trouve ailleurs l'expression de la foi, de l'appartenance, de la révolte et de l'amour. C'est la raison d'être de la littérature, selon moi, et j'ai trouvé que c'était présenté de façon subtile et très touchante.

Bref, je crois que le message est passé. Ce fut un réel coup de cœur ! Ne me remerciez pas de vous donner d'autres idées de titres à glisser sous le sapin, c'est un plaisir !

Priscilla