Le Cœur battant de nos mères de Brit Bennett

Par Livresque78

Comment grandir et devenir une femme épanouie quand on a été une petite fille à qui une Maman a fait défaut ? Comment appréhender sereinement la maternité quand on n'a pas eu la chance d'être le bonheur de sa mère ? Avec Le Cœur battant de nos mères, Brit Bennett entrecroise plusieurs destins d'adolescents, dont le principal point commun est ce rapport ambigu avec la mère. Il ne s'agit pas d'un procès ou d'une espèce de fresque socio-historique, c'est juste le parcours de Nadia Turner dont la mère s'est suicidée, de Aubrey Evans dont la mère a changé régulièrement de conjoints, préférant rester avec un homme qui maltraitait sa fille que de rester seule, de Luke Sheppard, fils de pasteur qui a grandi avec l'idée qu'il devait toujours montrer l'exemple.

Dans cette petite ville américaine, une communauté s'est organisée autour du Cénacle. L'église accueille et soutient les fidèles, mais les juge aussi. C'est en cela que le roman de Brit Bennett dresse un portrait assez acerbe d'une société américaine qui se réfugie derrière le puritanisme pour se montrer finalement très peu charitable.

Voici la quatrième de couverture : Quand Nadia, 17 ans, perd sa mère et avorte en cachette, sa vie est bouleversée. Elle choisit alors de quitter la communauté noire et religieuse qui l'a vue grandir et laisse derrière elle Luke, son amant aux rêves brisés, et Aubrey, sa meilleure amie. Boursière dans une grande université, Nadia fréquente désormais l'élite. Durant une décennie marquée des affres de la vie, les trajectoires des trois jeunes gens vont se croiser puis diverger, tendues à l'extrême par le poids du secret. Dans la lignée d'Elena Ferrante et de Chimamanda Ngozi Adichie, Brit Bennett nous offre un roman lumineux et inoubliable.

Nadia, Luke et Aubrey sont trois âmes pures qui ne demandent qu'à aimer et à être aimées. Mais ces trois jeunes gens doivent composer avec les principes, les passés et les craintes de leurs aînés. Cette lecture, touchante et très prenante, m'a révoltée parce que la violence ici s'exerce en sourdine mais elle est toujours présente. La violence de ces gens qui manifestent contre l'avortement, sans même envisager toutes les raisons qui peuvent pousser des femmes à prendre une telle décision ; la violence du suicide qui laisse une famille en deuil, dans l'incompréhension et dans la colère ; la violence de ces parents qui décident pour leurs enfants sous le prétexte fallacieux de l'expérience ; la violence d'un secret qui va bouleverser trois vies alors qu'il aurait pu être avoué et libérer ainsi les protagonistes.

Les trois jeunes gens sont très attachants pour des raisons différentes. Nadia est une jeune femme forte, qui doit faire semblant d'être pleine d'assurance pour ne pas s'effondrer, elle qui doit veiller sur son père, grandir et mener la vie que sa mère aurait voulu pour sa fille, et pour elle-même. Aubrey est une jeune fille brisée qui apprend à se reconstruire et croit en la force que peuvent donner une foi et une communauté. Luke est un jeune homme qui a tout pour lui, sauf qu'il n'a pas le droit de faire ce dont il a envie, parce qu'il ne peut pas exprimer ce dont il a envie.

Le temps passe, les chemins bifurquent pour les uns et les autres, mais la vie dans une petite ville a ça de fort : elle réunit toujours les êtres, elle reconvoque toujours le passé, même quand il est destructeur. Les destins sont liés, scellés et si chacun fait ce qu'il peut pour échapper à un avenir qu'il ne peut pas écrire, la liberté a ses limites et les trois jeunes gens vont le comprendre à leurs dépens.

C'est un roman que j'ai adoré pour toutes ces raisons et pour le style fluide de l'autrice. On se reconnaît dans beaucoup de choses, et en même temps, on remercie le destin de ne pas avoir les vies de ces personnages. C'est un roman fort et sourd à la fois, dont je me souviendrai longtemps.

Priscilla