Bientôt dans ma PAL ? #13

Dans l’esprit des Premières Lignesj’ai envie de partager avec vous un autre rendez-vous hebdomadaire : celui de livres qui me tentent, et qui rejoindront (peut-être ?) bientôt ma PAL. Et ce n’est ni en fonction des sorties littéraires, ni des différents challenges ou prix : juste ceux qui me parlent au moment où ils me tombent sous la main…

Les Aérostats

d’Amélie NOTHOMB

Je ne savais pas encore que Donate appartenait à la catégorie des gens perpétuellement offensés. Ses reproches me plongeaient dans la honte.
– On ne laisse pas une salle de bains dans un tel état, me dit-elle.
– Pardon ! Qu’ai-je fait ?
– Je n’ai touché à rien. Il faut que tu te rendes compte par toi-même.
J’allai voir. Ni flaque d’eau sur le sol, ni cheveux dans la bonde.
– Je ne comprends pas.
Elle me rejoignit en soupirant.
– Tu n’as pas étiré le rideau de douche. Comment veux-tu qu’il sèche en accordéon ?
– Ah oui.
– Et tu n’as pas refermé le berlingot de shampoing.
– Mais c’est le mien.
– Et alors ?
Je refermai ce que pour ma part je n’appelais pas le berlingot mais tout simplement le shampoing. Manifestement, je manquais de savoir-vivre.
Donate m’apprendrait. Je n’avais que dix-neuf ans. Elle en avait vingt-deux. J’étais à l’âge où ce genre de différence paraît encore significatif.
Peu à peu, je m’aperçus qu’elle se conduisait ainsi avec la plupart des gens. Au téléphone, je l’entendais rétorquer à ses interlocuteurs :
– Trouvez-vous normal de me parler sur ce ton ?
Ou :
– Je n’accepte pas que l’on me traite de cette manière.
Elle raccrochait. Je demandais ce qui s’était passé.
– De quel droit écoutes-tu mes conversations téléphoniques ?
– Je n’écoutais pas, j’ai entendu.
La première fois que je me servis de la machine à laver, ce fut le drame.
– Ange ! appela-t-elle.
J’arrivai, pressentant le pire.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? interrogea-t-elle en montrant le linge que j’avais suspendu où je le pouvais.
– J’ai fait une machine.
– On n’est pas à Naples, ici. Mets ton linge ailleurs.
– Où ? On n’a pas de séchoir.
– Et alors ? Est-ce que j’étends mes affaires n’importe où ?
– Tu le peux.
– Ce n’est pas la question. Cela n’a aucune tenue, voyons. Et je te rappelle que tu es chez moi.
– Je paie ma colocation, non ?
– Ah. Donc toi, sous prétexte que tu paies, tu as tous les droits ?
– Sérieusement, que suis-je censée faire de mon linge mouillé ?
– Il y a une laverie au coin de la rue. Avec des séchoirs.
J’enregistrai l’information, bien décidée à ne plus jamais me servir de son lave-linge.

On arriva bientôt dans la quatrième dimension.
– Peux-tu m’expliquer pourquoi tu as déplacé mes courgettes.
– Je n’ai pas déplacé tes courgettes.
– Ne nie pas !
Ce « Ne nie pas ! » me fit éclater de rire.
– Il n’y a pas de quoi rigoler. Viens voir.
Dans le réfrigérateur, elle me montra les courgettes, à gauche de mes brocolis.
– Ah oui, dis-je. J’ai dû les déplacer pour entreposer mes brocolis.
– Tu vois ! s’écria-t-elle d’une voix triomphante.
– Il fallait bien que je mette mes brocolis quelque part.
– Pas dans mon tiroir à légumes !
– Il n’y en a pas d’autre.
– Le tiroir à légumes, ça m’appartient. Ne l’ouvre pas.
– Pourquoi ? demandai-je stupidement.
– C’est ma pudeur.
Je retournai dans ma chambre pour cacher l’hilarité que m’inspirait son propos. Cela dit, elle avait raison : il n’y avait pas de quoi rigoler. Donate était chiante au dernier degré et je n’avais pas le choix : la colocation était de loin la plus avantageuse que j’avais trouvée.

Bientôt dans ma PAL ? #13

4ème de couverture :

« La jeunesse est un talent, il faut des années pour l’acquérir. »

Éditions Albin Michel – Broché – Kindle – 19/08/2020

J’ai hâte de retrouver la plume de cette auteure que j’affectionne particulièrement… Vous aussi ça vous tente ?

Dans tous les cas, bon week-end et… bonne lecture !


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois