Donner à voir et transformer la réalité

Donner à voir et transformer la réalité

On a le cœur qui cogne et l'estomac noué après avoir parcouru le terrible livre photographique "Les Enfermés" (Editions Light Motiv, 208 pages). "Les Enfermés", des êtres humains photographiés en divers lieux de privation de liberté, qu'on sait exister mais qui demeurent opaques au grand public. Centres pénitentiaires, maisons centrales, maisons d'arrêt, centres de détention, centres de rétention administrative, centres éducatifs fermés, locaux de garde à vue, hôpitaux psychiatriques... Des lieux qui traitent les humains qui y sont enfermés, hommes, femmes, enfants, bébés, de manière similaire, qu'ils soient condamnés, présumés innocents ou "illégaux".

Les textes sont d'Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) en France et des contrôleurs qui travaillent avec elle. Leurs rapports, recommandations, avis sont glaçants. Leurs extraits s'insèrent, classés par thématiques, enfermement, violences, saleté, oisiveté, occupations, parloirs, intimité, entre les photos extraordinaires de Jean-Christophe Hanché qui a eu accès à tous ces lieux pendant trois ans. Des photos qui ne sont légendées que du type de lieu où elles sont prises. Qui rendent visible l'invisible. "Les Enfermés" reflète ce qui se passe en France mais est-ce différent dans les autres pays?


De temps en temps, les médias s'intéressent à ce qui se passe de l'autre côté des grilles. Trop de rats ici, un délabrement excessif là, un suicide parfois ou une agression de gardien... Mais après? Un rien change parfois, l'essentiel demeure, des conditions de vie indignes, dont tout le monde ou presque se fout royalement. "Les Enfermés" donne très précisément à voir et à comprendre ce qui se passe là. Les observations photographiques de Jean-Christophe Hanché, photographe et contrôleur des lieux de privation de liberté, sont sincères, instructives et choquantes. Ses images magnifiques, même si le mot peut sembler bizarre, sont un parallèle aux terribles mots provenant des extraits argumentés de rapports de visite ou de recommandations en urgence émises par le CGLPL et aux extraits effroyables de lettres envoyées par les détenus au CGLPL.


Dans sa préface, Adeline Hazan qui dirige le CGLPL, rappelle que la première mission de son organisme est de"donner à voir" ce qui se passe dans les lieux de privation de liberté. Elle enchaîne avec sa seconde mission, "transformer la réalité", soit recommander en plus de décrire.

"Cet ouvrage se veut à la fois un vecteur d'information et un levier pour l'amélioration de la situation des personnes privées de liberté."

Adeline Hazan abat également une troisième carte, celle du retour à la vie en société: "A la lumière des images, des constats et des témoignages qu'il trouvera dans ce livre, j'invite le lecteur à se demander si les conditions d'enfermement qu'a connues la France au cours des dix dernières années préparent de manière pertinente un retour des " enfermés " à la liberté."

"Les Enfermés" montre formidablement, et esthétiquement, combien la privation de liberté, peu en importe la raison, entraîne pareillement souffrances, désarroi et dépendance. Grâce à la mise en pages sobre et intelligente qui leur donne toute leur force, textes et photos disent surtout la promiscuité, la saleté, la violence, la solitude, la peur, le découragement. Egalement les occupations, travail, étude, lecture. Entres ces détresses fleurissent quelques rares moments de vie, une séance de gym, une partie d'échecs ou de foot, l'arrivée d'enfants au parloir, un bébé qui dort.


De son travail de photographe, Jean-Christophe Hanché dit ceci:

"Accéder ainsi aux lieux d'enfermement, aussi longtemps que nécessaire, sans restriction d'accès, est une chance rare dans ma profession de photographe. Je me le répétais sans cesse afin de rendre compte de ce que je voyais au plus près, au plus juste, sans en rajouter ni en soustraire.
[...] L'immersion sensible dans la plupart de mes photographies n'est pas due à mon audace ou à un engagement téméraire mais uniquement à tout ce temps, invisible et patient, de rencontre avec les personnes qui deviennent les sujets de mes images.
Si l'enfermement est malheureusement le principal moyen de punir, il n'en reste pas moins le plus excluant. C'est à l'écart du monde que les personnes privées de liberté poursuivent leur vie, rendant leur future réinsertion d'autant plus délicate. [...]
Photographier ces personnes permet de les sortir de l'invisibilité au monde extérieur, de tourner leur situation vers un extérieur salutaire, mettant ainsi en exergue leurs droits fondamentaux."


Le livre photographique "Les Enfermés" est à charge bien entendu, au-delà de sa beauté. C'est pour cela qu'il est nécessaire de l'ouvrir et de se confronter à son contenu.



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