La Danse des paons. Sharon MAAS - 2004

La Danse des paons. Sharon MAAS - 2004

La Danse des paons

Sharon MAAS

Editions J'ai lu, mai 2004

500 pages

Thèmes : Famille, Guyana, Inde, Identité, Condition féminine

Onze ans (peut-être même douze) que ce roman m'attendait dans ma bibliothèque.

La quatrième de couverture (et le titre) m'avait grandement donné envie de le lire, sans que je ne m'y décide.

Le challenge des Etapes Indiennes d'Hilde et sa Lecture Commune autour de l'autrice m'ont enfin permis de l'avoir entre les mains.

Au gré de plusieurs parties, nous faisons connaissance avec Rita, Maryline, Isabelle, Kamal, Asha, des personnages que nous suivons de manière parallèle et plus ou moins approfondie selon les uns ou les autres. Des personnages qui ont suscité en moi des émotions et attachements très divers et en évolution continue.

Ainsi les voyons-nous grandir et devenir, pour finalement se (re)trouver.

Les premières pages m'ont été difficiles.

La rencontre avec le personnage principal, Rita Maraj, 6 ans, a été à la mesure de son caractère, impulsif et rétif, mais aussi désireux de reconnaissance et d'amour.

Elle était trop sentimentale, émotive à l'excès. Elle avait les nerfs à fleur de peau. Elle ressentait trop profondément les choses; ce n'était pas comme ça qu'on pouvait faire son chemin dans un monde dur et cruel.

Rita est une fillette sauvageonne, métisse née d'un Indien et d'une mère guyanaise, décédée peu après sa naissance. D'abord recueillie par sa famille maternelle, elle a été récupérée par son père Ronnie, rêveur devenu journaliste et qui s'apprête à se remarier avec Maryline, une Indienne à la famille riche.

Ils habitent avec Mildred, la bonne, dans une maison à l'allure spéciale et décatie, dans un quartier rue Victoria Street, à Georgetown, capitale de l'état du Guyana, ancienne colonie britannique (pays d'Amérique du Sud que je ne connaissais pas).

Cette rue courbe ne regroupe que des familles issues de différentes immigrations/cultures/confessions sans que cela ne pose de problèmes à personne.

Lorsque nous rencontrons Rita, elle commence un journal, et le poursuit tout le long du roman, dans lequel elle livre ses pensées et réflexions. Aussi consulte-t-elle très souvent le dictionnaire, non pour l'orthographe mais dans une volonté d'exactitude des mots et des sentiments.

Entre les pensées il y a quelque chose et non pas rien. Les pensées recouvrent cette chose et la cachent comme un rideau, elle est au centre de moi et si j'arrête de penser elle m'avalera.
C'est un trou. Non. Un abîme.

Sa grande imagination fait d'elle la vedette de sa rue et la meneuse d'une petite troupe d'amis qui la suit presqu'aveuglément.

Avec l'arrivée de Maryline, c'est tout l'univers et la vie de Rita qui se trouvent bouleversés.

Le personnage de Rita m'a grandement renvoyée à celui de Fifi Brindacier, la force physique en moins. Bien que Rita ne s'en laisse pas compter et collectionne les bobos sans jamais se plaindre, elle est une rêveuse à la fois très mature et très fragile émotionnellement, qui n'oublie jamais les promesses non tenues de son père et les méchancetés de sa belle-mère.

Qui ne cessent pas, bien au contraire, avec la naissance d'Isabelle (prénom choisi par Rita) quatre ans plus tard. Devenue docile et grande sœur attentionnée, Rita est fascinée par Isabelle, une petite fille poupée que sa mère (Maryline) dorlote tout autant qu'elle la rejette.

Mais un jour, Isabelle, alors sous la surveillance de Rita, est victime d'un accident qui a bien failli lui coûter la vie et qui laisse planer le doute d'une lésion cérébrale.

Ainsi grandit Rita entre culpabilité sans cesse alimentée par sa belle-mère, l'école où elle ne brille pas malgré des capacités certaines, l'adolescence et les premiers émois, entrecoupés de vacances chez sa famille maternelle.

Rita se cherche.

Devenue journaliste, choisissant des sujets aussi importants que toujours trop clivants au goût de son patron, elle décide de partir à la recherche de ses racines indiennes. Isabelle l'accompagne. Comme toujours.

Entrecoupant les parties consacrées à Rita puis à sa relation avec Isabelle et à leur départ pour l'Inde, il y a celles concernant Kamal et sa fille Asha.

Lorsque nous le rencontrons, il est un jeune garçon orphelin, vivant dans le Maha Pradesh, un palais érigé par Rani, sa grand-mère paternelle, obèse et dictatoriale.

Le paon danse parce qu'il est conscient de sa beauté ; il n'y a de place que pour la beauté, dans le monde. Je veux que tu ne connaisses rien d'autre que la beauté, Kamal !

Marquée par son histoire personnelle et celle de son pays, Rani a cherché à le protéger en façonnant autour de lui une existence dorée faite de plaisirs et de beautés, mais comme Siddhartha avant lui, Kamal rêve de voir le monde au-delà des murs d'enceinte. Une escapade sera pour lui un violent révélateur de la nature humaine.

Avec le temps et un étrange mal qui atteint Kamal, Rani comprend qu'elle ne peut le garder sous sa coupe, l'autorisant à faire des études, à aller à Harvard. Ainsi s'émancipe-t-il, épouse-t-il Caroline, une Américaine, revient-il en Inde où il travaille comme ingénieur, mais loin de sa grand-mère d'abord, mais aussi de son épouse et de sa fille, Asha. Gagnée par le mal du pays, esseulée même si entourée, Caroline meurt et Kamal se retrouve face à un choix difficile.

Le résumé de ce roman centre le récit sur la relation ambigüe entre Rita et Isabelle, aussi complice que toxique, faite d'admiration et de jalousie, de don et de chantage permanents.

Pourtant, il n'est pas que cela.

Il est roman d'apprentissage, de quête d'identité et de soi, comme d'émancipation.

Une recherche favorisée lorsqu'on est le fruit d'une union métisse, attisée par l'absence d'un parent ou de la famille, nécessaire lorsqu'on est issu de l'immigration.

Les Guyanais n'aiment rient tant qu'expliquer et explorer les incroyables mélanges de races qui font de chacun d'eux un individu unique au plan ethnique. C'est une forme de quête d'identité, une façon de se situer dans la trame du tissu social, mais jusqu'à présent elle n'avait jamais eu envie de se livrer à ce jeu.
(...)
Les mélanges de sang, c'est bien, mais pas les mélanges de religion.

Il est aussi un roman puissamment féminin, car il nous livre plusieurs portraits de femmes, radicalement différentes dans leur éducation comme dans leurs choix.

Le lieu de leur naissance comme des valeurs familiales sont autant de carcans sécurisant et/ou emprisonnant que des modèles d'opposition.

Mais finalement, quelque soit l'endroit, il est des caractéristiques féminines qui toujours seront valorisées, mises en avant, conspuées, dénigrées, utilisées, déguisées par une illusion de liberté. Une liberté qui peut étouffer.

Isabelle a parfaitement compris cela.

Choc des cultures et des traditions, exploration de structure familiale, de la place des femmes et des relations entre elles, il m'a été difficile de déterminer quand se déroulait ce roman, tant les descriptions et ses thématiques semblent intemporelles. L'autrice a volontiers flouté les repères ne laissant ici ou là que de maigres indices. Cela m'a assez déstabilisée car j'aime lorsque l'époque est clairement définie.

Après un début difficile, des sentiments et attaches mitigés à l'égard des personnages, un point de bascule saisissant, et une fin apaisée et apaisante, je peux affirmer que j'ai aimé ce roman !

Il est une leçon de vie, de courage, d'amours et d'espoir.

Si les évènements de mon enfance ne sont que des images éphémères, c'est pareil pour cette abomination. Reste ce que tu es, me disais-je sans cesse, et ne te laisse pas atteindre par les images. Reste comme tu es. Reste comme tu es. Reste comme tu es. Il n'y a que ça de vrai. Tout le reste n'est qu'une image qui passe.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois