Le sourire du scorpion

Le sourire du scorpion
  RL2020

En deux mots:
Une expédition familiale en rafting tourne au drame. Tom et Mily perdent leur père après un chavirage. Après la choc leur mère se console dans les bras de Goran, un ami qui était aussi du voyage. Un beau-père dont le comportement va de plus en plus déplaire aux adolescents.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

L’étranger, la chute et la peste

Avec Le sourire du scorpion Patrice Gain fait d’une sortie en rafting un drame aux conséquences brutales. Aucun des rescapés ne sortira indemne de ce récit de plus en plus noir.

Ils sont six, embarqués sur un raft pour une excursion de quelques jours sur une rivière au fond d’un canyon. L’été est doux, le plaisir au rendez-vous. Tom, le narrateur est un jeune garçon accompagné de sa sœur jumelle Luna, de ses parents Mily et Alex, sans oublier Dobby, un chien trouvé mal en point au bord de la route. Le groupe est conduit par Goran, le guide qui a sympathisé avec Alex. Après le bain dans une eau revigorante et une partie de pêche à la truite, la nuit vient leur permettre de regagner quelques forces. Voilà enfin de vraies vacances pour cette famille errante – les parents sont saisonniers – qui n’a pas de domicile fixe.
Le second jour sur la rivière, l’ambiance change. Le courant se fait plus fort, le raft manque de chavirer. La peur s’installe, surtout chez Mily que les affirmations de son mari ne parviennent pas à rassurer. En bonne mère de famille, elle a l’intuition que leur virée peut tourner au drame. Après quelques chavirages sur une rivière de plus en plus déchaînée, le groupe parvient à se réfugier dans une grotte. Mais le lendemain, le raft a disparu.
Fort heureusement, après quelques heures de recherche Tom réussit à mettre la main sur l’embarcation prise dans des branches. L’expédition se poursuit jusqu’à un nouveau chavirage, fatal. Mily, Luna et Tom réapparaissent et se mettent à la recherche des hommes. Quand ils retrouvent Goran, il est bien obligé de reconnaître qu’Alex a disparu, qu’il n’a rien pu faire pour le sauver.
Les recherches entreprises resteront vaines. Commence alors une nouvelle histoire, celle de la vie sans Alex. Alors que Mily s’enfonce dans une terrible déprime Luna veut savoir ce qui s’est réellement passé avant de tourner la page, de partir étudier et faire de l’escalade. Sans sa sœur jumelle Tom est désemparé et assiste impuissant à la mainmise de Goran sur le foyer.
Un an après, il épouse sa mère lors d’une cérémonie très discrète. Les relations vont pourtant très vite se dégrader, d’autant que les nuages noirs s’accumulent au-dessus de Goran le Serbe.
Patrice Gain a construit son roman comme un château de cartes. Les étages qui mènent au sommet sont de plus en plus fragiles, le risque que tout s’écroule de plus en plus grand. Parviendra-t-il à poser les ses deux derniers atouts avant que le drame ne se noue? C’est tout l’enjeu d’un scénario à la tension croissante, au fur et à mesure que le doute s’instille dans les esprits. C’est diaboliquement efficace, c’est émotionnellement prenant, c’est joliment réussi!

Le sourire du scorpion
Patrice Gain
Éditions Le Mot et le Reste
Roman
208 p., 19 €
EAN 9782361391799
Paru le 2/01/2020

Où?
Le roman se déroule en France, mais on y évoque aussi l’ex-yougoslave, de la Serbie au Monténégro, en passant par la Bosnie.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
C’est décidé, Tom, sa sœur jumelle Luna et leurs parents descendront le canyon de la Tara en raft. Une belle étape de plus dans leur vie nomade. Pourtant, malgré les paysages monténégrins époustouflants, la complicité familiale et la présence rassurante de Goran, leur guide serbe, la tension envahit peu à peu le canyon et le drame frappe, sans appel. Du haut de ses quinze ans, Tom prend de plein fouet la violence du deuil et de la solitude. Dans l’errance qu’engendre le délitement de sa famille, il découvre la grande douleur, celle qui fissure les barrières et brise toute lucidité, ouvrant les portes à ceux qui savent s’engouffrer dans la détresse des autres. Mais, en dépit du chaos qui lui tient lieu de vie, Tom ne peut s’empêcher de retracer les événements et le doute s’immisce : ne sont-ils pas les victimes d’une Histoire bien plus grande que la leur ?

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Libération (Alexandra Schwartzbrod)
La grande parade (Guillaume Chérel)
Blog Quatre sans quatre
Blog Tasha’s Books 
Blog Tu vas t’abimer les yeux 
Blog Fondu au noir 
Blog Garoupe 
Blog La Viduité 
Blog Nyctalopes 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« On était au début de l’été et la chaleur était assommante. Le raft reposait paisiblement sur un banc de galets plats et bien ronds. Les combinaisons néoprène et les gilets de sauvetage cuisaient au soleil sur ses boudins rouges. Goran avait choisi de s’arrêter dans cette anse après seulement deux petites heures de navigation. Après tout, c’étaient les vacances et personne n’avait rien trouvé à redire, d’autant que les jours précédents avaient été éprouvants. Trois jours passés dans notre maison sur essieux, surchauffée, animée par un moteur poussif qui peinait à prendre de la vitesse. Par les fenêtres béantes entrait un air sec et poussiéreux qui avait l’odeur âcre du goudron fondu. L’herbe était jaune et les ruisseaux que l’on croisait croupissaient dans le fond de leur lit. Les paysages tout entiers avaient soif. L’ombre de la nuit ne nous apportait aucun répit.
La rivière qui coulait entre les parois vertigineuses du canyon étincelait d’une myriade d’éclats qui venaient se ficher droit dans la rétine. Des parois d’une centaine de mètres, peut-être bien le double. Quelques pins audacieux jouaient les funambules sur le fil des crêtes. D’autres, plus intrépides encore, tentaient l’aventure d’une vie suspendue dans le vide, agrippés par une racine chevillée dans une fissure ou une encoignure propice. Les rives étaient recouvertes d’une abondante végétation et de bois mort. Luna et moi sommes allés nous baigner. L’eau était glacée, ou bien était-ce au choc thermique que nous devions cette sensation, mais cela nous importait peu. Nous nous laissions glisser sur un toboggan naturel avant que le courant nous emporte. Retenant mon souffle, je plongeais pour suivre le lit de la rivière et observer le canyon à travers le filtre mouvant d’une cinquantaine de centimètres d’eau. Il me semblait alors plus profond, plus impressionnant, plus envoûtant encore. En quelques brasses nous reprenions pied sur la courte plage et remontions jusqu’au toboggan. Après une dizaine d’allers-retours, nous nous sommes installés en plein soleil, sur de grandes dalles bien lisses, pas si simples à escalader. Nos lèvres étaient bleues et la caresse des brises chaudes devenait délicieuse. Sur la face opposée au courant, des bergeronnettes chassaient sous le nez de truites, de gourmands plécoptères. Ça n’a pas échappé à Luna qui s’est empressée de monter les cannes à pêche. Nos parents étaient allés s’allonger dans l’ombre d’un bosquet d’aulnes tandis que Goran bricolait je ne sais quoi. Maman était rayonnante dans son maillot de bain dépareillé, une culotte vichy noir et blanc et un haut jaune orangé. Elle avait dénoué ses cheveux blonds qui tombaient sur ses épaules très blanches. Des cheveux qui frisaient naturellement. Maman avait l’élégance des femmes qui ne la cultive pas. Quelque temps plus tard, Goran est venu nous rejoindre.
Nous avons pêché au toc jusqu’à ce que le soleil abandonne les gorges. On a fureté autour des rochers en laissant dériver nos nymphes dans le courant pour dénicher les plus belles truites. On a prospecté la rive, la canne dans une main, le fil dans l’autre. Le temps avait filé à la vitesse des flots. L’ombre a d’abord voilé les falaises qui nous faisaient face avant de gagner le fond du canyon. Ses eaux cristallines se sont immédiatement muées en une onde sombre aux teintes gris vert. Il faisait encore bon, mais un léger vent s’était levé. Il glissait sur la surface de la rivière en remontant son cours. Nous nous étions sérieusement éloignés du camp. Nous avons plié nos lignes et fait demi-tour. Maman lisait, le dos appuyé contre le raft. Elle avait enfilé un pantalon de toile et un T-shirt. J’ai soulevé nos cinq truites à bout de bras et lancé un joyeux « Regarde ce qu’on ramène pour le dîner ! » Elle s’est levée en marquant sa page avec l’index.
— Elles sont magnifiques, mais si on continue à ce rythme, entre la sieste et la pêche, on ne sortira pas d’ici avant la fin du mois !
— On est là pour prendre du bon temps, pas vrai les enfants ?
Notre père avait émergé des taillis avec une brassée de bois mort.
— Aidez-moi à décharger les affaires, on va monter le camp sous les arbres.
Nous avions quatre jours de nourriture enfermée dans des sacs étanches, plus les tentes et le matériel indispensable pour le genre d’expédition dans laquelle nous étions engagés. Nous avons ensuite tiré le raft haut sur la berge, puis Luna et moi avons allumé un feu. Nous sommes jumeaux. De faux jumeaux puisqu’elle me dépassait facile d’une tête. Son dynamisme était communicatif et à cette époque, nous avions à peine quinze ans, rien ne pouvait nous séparer. Goran est allé vider les truites à la rivière et notre mère a préparé des nouilles chinoises. Elle était un peu tendue. Je crois bien qu’avec la nuit tombée, elle visualisait mieux ce dans quoi Goran et notre père nous avaient embarqués. Descendre un canyon pas loin d’être aussi profond que le Grand Canyon. Dévaler quatre jours durant le torrent qui coule au fond, 1300 mètres sous les plateaux calcaires. Presque de la spéléologie. Une rivière en sursis, puisqu’un projet de barrage prévoyait de faire des gorges une retenue d’eau. Voilà comment notre père et Goran nous avaient présenté les choses l’hiver dernier et l’idée nous avait enthousiasmés, Luna et moi. Sur le parking des saisonniers, Goran était notre voisin. Il logeait dans une caravane. Tout le monde l’appelait « le Yougo », à cause de son accent rocailleux. Je crois me souvenir qu’il travaillait dans un bar de nuit, en tout cas il n’émergeait jamais de son antre avant midi. Il avait ajouté qu’en juillet le débit de la rivière serait idéal pour réaliser la descente. Goran avait déjà fait ce genre de chose, diriger une embarcation dans des eaux blanches. Nous l’avions donc retrouvé dans un hameau au nom imprononçable, flanqué d’une dizaine de maisons en pierre et la journée avait été consacrée à préparer notre expédition, mais pas seulement. Nous étions en 2006 et le Monténégro avait déclaré son indépendance quelques semaines plus tôt. Goran avait souhaité fêter ça et je me souviens parfaitement de la soirée qui avait précédé notre départ. Des gars arrivaient de je ne sais où avec des tas de trucs à boire et à manger qu’ils déposaient sur une table disposée sous un érable. La plupart portaient un treillis militaire et c’était assez déconcertant, je ne saurais pas dire pourquoi, on croisait souvent dans les campagnes des fermiers ou des chasseurs affublés ainsi. Un animal que je ne pouvais identifier tournait sur une broche. Un type était occupé à alimenter les braises qui lui cuivraient les flancs. Goran nous avait présenté des cousins, des amis. Deux gars s’étaient installés près de la fontaine et avaient joué une musique entraînante aux accents un rien tziganes. Elle couvrait les conversations et c’était aussi bien ainsi parce qu’on ne pouvait en suivre aucune. Il y eut des chants, des danses et une altercation entre les amis de Goran pour une stupide histoire de scorpion que l’un d’entre eux s’était fait tatouer dans le cou. Plus tard dans la nuit, sur les tables encombrées par les reliefs du repas, les convives ont continué à boire, à chanter. Des coups de feu avaient été tirés en l’air. Maman, Luna et moi étions allés nous coucher, effrayés par le bruit des armes.
Sur la route qui nous avait conduits à l’embarquement, nous avions pu apercevoir les eaux turquoise de la Tara coulant au milieu d’une végétation luxuriante. Le coin était montagneux et sauvage. Sous la chaleur réverbérée par des roches blanches, elle nous était apparue fascinante et attirante. Goran avait demandé à un de ses amis de descendre le camion une centaine de kilomètres en aval et de garder notre chien. Le gars avait un visage émacié et torturé. Une infirmité pénible à regarder, sauf pour Luna qui disait que la beauté et la laideur étaient comme le ying et le yang. Que les deux finissaient par se rejoindre et ne faire qu’un. Fallait toujours qu’elle sorte des trucs à contre-courant de ce que pense le commun des mortels. Je ne sais pas où elle allait chercher des théories pareilles ! Goran nous avait dit que son ami avait un fils albinos, excellent joueur de banjo, qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Il s’était mis à imiter le cri du cochon et notre père et lui avaient ri sans que nous comprenions bien pourquoi. Maman nous avait parlé d’un film assez ancien tiré d’un roman américain : une histoire de descente de rivière en canoë qui avait viré au cauchemar. On espérait juste, Luna et moi, que le gars serait gentil avec Dobby. Il n’était pas possible de l’emmener.
Dobby était une femelle rottweiler. Un soir d’automne où nous traînions du côté des bennes à ordures d’un parking pour routiers, près d’une autoroute, nous l’avions trouvée dans l’un des bacs, muselée et liée avec du fil de fer barbelé. Elle attendait une mort qui tardait à venir en gémissant. C’était moche à entendre et à voir. Nous l’avions ramenée au camion, et avant que nos parents reviennent de la douche, Luna avait découpé tout le barbelé avec une tenaille. Elle avait les mains en sang. Jamais je n’aurais pu faire une chose pareille, je veux dire sortir les picots acérés de ses chairs comme on retire l’hameçon de la gorge d’un poisson. Le plus souvent je devais détourner mon regard. Après cette intervention, Dobby n’était plus qu’une plaie sanguinolente. Elle fixait Luna avec des yeux tristes et fiévreux. En relevant ses cheveux et en essuyant les larmes qui embuaient sa vision, Luna s’était également poissé le visage, si bien que lorsque maman était rentrée, elle avait poussé un cri d’effroi. Elle s’était bien remise de ses blessures, Dobby. C’était une chienne aimante et protectrice.
Nous avons mangé en écoutant le murmure de la rivière. Le vent soulevait des escarbilles qui tournoyaient dans l’air chaud comme une nuée de lucioles. Elles s’élevaient entre les murs noirs des gorges et filaient droit vers les étoiles. Goran a préparé des pics en bois et nous avons fait griller les truites au-dessus des braises. Notre père a sorti des canettes de bière et maman s’est détendue. La conversation était animée. Il était question de canicule, d’hivers de moins en moins enneigés et pendant ce temps, les truites grésillaient doucement. Leur peau craquait par endroits et laissait apparaître une chair légèrement rosée.
Goran nous a ensuite raconté des fables dans lesquelles il se mettait en scène en faisant rire tout le monde, puis il a terminé par une histoire de noyés qui quittaient le canyon les nuits de pleine lune pour partir en chasse contre ceux qui voulaient y construire un barrage. Elle nous a fait dresser les cheveux sur la tête et Luna a adoré ça. « Profitez comme il se doit de cette descente et des instants uniques qu’elle ne va pas manquer de nous offrir. » C’est ce que notre père nous a lancé à la fin du repas avec une solennité qui a semblé agacer notre mère.
Je suis allé laver la vaisselle à la rivière. Je ne me suis pas attardé. Avec l’obscurité, les gorges pesaient sur moi. En revenant, nos parents s’étaient déjà réfugiés dans leur tente. Luna et moi avons traîné autour du feu sans trop savoir quoi nous dire pendant que Goran installait son hamac entre deux hêtres: une sorte de cocon équipé d’une moustiquaire.
Avant de nous coucher, j’ai jeté un dernier coup d’œil sur la rivière. Elle avait disparu dans l’obscurité conjuguée du canyon et des bois. »

Extrait
« Je l’ai regardé entrer dans l’eau jusqu’aux genoux avec sidération. Il était torse nu et sacrément bien bâti. Goran était un peu plus vieux que nos parents, en tout cas c’est l’idée que je m’en étais fait. Il devait avoir une quarantaine d’années, peut-être bien quatre ou cinq de plus. Il s’est aspergé et frotté avec vigueur. Je n’étais pas le seul à suivre tous ses mouvements. Sur la rive en face, un rapace observait la scène avec incrédulité. Un épervier qui attendait que la brume se lève pour se mettre en chasse et débusquer quelques passereaux.
Je suis remonté au campement avant que Goran ne m’invite à le rejoindre. Je n’avais aucunement l’intention de jouer à Rambo. »

À propos de l’auteur
Patrice Gain est né à Nantes en 1961 et habite un chalet dans la vallée du Giffre, en Haute-Savoie. Professionnel de la montagne, ingénieur en environnement, les territoires d’altitudes et les grands espaces l’attirent depuis toujours. (Source: Éditions Le Mot et le Reste)

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