La Fontaine de Tir Na Nog

Par Wolkaiw

LECTURE DÉTENTETitre : La Fontaine de Tir Na Nog     Auteur : Renaud Crepel     Sorti le 3 septembre 2017     Lu en avril     Sarah Arcane Éditions     Genre : fantasy | jeunesse
4eme de couverture
Après une journée de cours particulièrement ennuyeuse, Agatha Howlett, adolescente gothique de 14 ans, reçoit la visite d'un corbeau doué de parole. Ce dernier a un message pour elle et la plonge dans une nouvelle aventure. Convoquée par les dieux de la Mort pour la deuxième fois de sa courte existence, elle se verra chargée d'une mission périlleuse : Empêcher Rohe – la directrice d'une firme de produits cosmétiques – de s'emparer de l'eau de la fontaine de jouvence.Avec ses compagnons Wyatt, Leifr, Thomas et Katherine, la jeune fille vogue donc en direction de Tir Na Nog, la patrie des elfes immortels. Malheureusement, ce voyage féerique va devenir des plus hasardeux alors que Rohe et son équipe de mercenaires la talonne. Parviendra-t-elle à sauver les mondes des Morts et des Vivants de la destruction ?
J’ai rencontré Renaud Crepel, pour la première fois, à Maing, ne résistant pas à la tentation de découvrir les aventures d’Agatha Howlett. Je me suis procuré le tome 2 à Somain, avec en prime une superbe dédicace ! 

« Debout ma chérie, il est l’heure !- Quoi ?! Une nouvelle mission pour moi ?- Tu vas être en retard pour l’école, lève-toi sinon tu vas rater ton bus. »
L’adolescente, les yeux encore pleins de sommeil, peine à retrouver ses esprits. Une fois de plus, elle a fait ce rêve étrange, ce doux songe dans lequel le royaume des morts a besoin d’elle. Tout était si… réaliste, palpable ! Elle s’y serait cru ! Quel dommage que sa mère l’ait réveillée, pour aller en cours et rejoindre sa stupide classe qu’elle ne supporte plus. 
Depuis qu’elle a emménagé dans la superbe maison de son oncle, la jeune femme a la sensation étrange de vivre une autre vie, d’exister dans un autre monde. Rêve ou réalité ? Illusion ou réel ? La frontière est parfois si mince qu’on ne peut la distinguer clairement. Agatha Howlett est une ado rebelle et mature, le genre de jeune fille au caractère bien trempé qui s’affirme de jour en jour. Nous avons fait sa connaissance dans Le Cerbère Enchaîné, souvenez-vous. Cette Mortelle possède la capacité de voyager dans le monde des morts, elle y a d’ailleurs fait de chouettes rencontres. Il n’est pas rare que, dans son sommeil le plus profond, elle prononce des noms tels que : Leifr, Wyatt, Thomas et même Anubis…
Ce qui est amusant avec ce second livre, c’est de constater que comme le lecteur (ou tout du moins comme moi), Agatha a fait des recherches sur les figures historiques - et accessoirement mortes - qu’elle a rencontrées. Elle a googlé et mené sa petite enquête pour en apprendre plus sur chacune, ce qui fait sans doute que l’on se sent plus proche d’elle, sa nature curieuse facilite l’identification. J’ai pris plaisir à suivre le fil de ses pensées, à découvrir l’histoire de chaque personnage, Wyatt le cow-boy, Leifr l’explorateur ou encore Thomas le bretteur. D’autres viennent se greffer et c’est à nous de partir à la recherche des informations, de recoller les morceaux et assembler les pages du journal. J’aime ce genre de lecture interactive, ces références disséminées un peu partout et qui piquent la curiosité. 
« Tu es encore le nez plongé dans des bouquins ! C’est une chose que tu cherches à t’instruire mais je m’inquiète pour toi… Je ne te connais pas d’amis dans la région, ce ne sont pas tes livres qui les remplaceront…- Ah si tu savais maman… Marmonna l’adolescente entre ses dents, plus pour elle-même que pour sa mère. »

Source : Ralph Horsley, The Golden Air


La Fontaine de Tir Na Nog, comme l’opus précédent (ils peuvent se lire indépendamment les uns des autres), est très ancré dans la mythologie mais aussi les contes et légendes issus de divers horizons. Il fait bon de s’arrêter sur les noms des personnages, principaux comme secondaires, et de mener quelques rapides recherches afin de mieux comprendre l’histoire. Ovide, Shakespeare, Edgar Allan Poe, les clins d’oeils sont nombreux et savoureux , offrant une autre dimension au livre pour les lecteurs curieux. La fontaine dont il est ici question n’est pas sans rappeler ce que nous connaissons sous le nom de fontaine de jouvence, apportant la jeunesse éternelle ainsi que l’immortalité… Nombreuses sont les personnes qui voudraient bénéficier de ses bienfaits, cédant à la tentation de s’abreuver à la source d’eau… aussi fascinante qu’irrésistible. Jusqu’où un groupe d’individus est-il prêt à aller pour s’approprier les vertus de ce puits magique ? C’est ce qu’Agatha va découvrir ! 
« Ah et aussi, n’oublie pas de mettre ta crème pour te donner bonne mine, tu ferais peur à un mort !- Oui maman… C’est très drôle...»
Aussi cher que cela lui en coûte, elle doit reconnaître que sa mère a raison. Son teint, plus que blafard, lui confère une allure fantomatique. Force est aussi d’admettre que lors de son premier séjour dans le royaume des morts, et bien, comment dire… Des morts avaient eu peur d’elle! La jeune fille sourit en y repensant avant de se laisser envahir par une douce mélancolie. Les souvenirs de ses amis refaisant surface, elle doit lutter pour contenir ses larmes. Au cours de ses périples, elle en apprit davantage sur eux, sur leurs histoires et personnalités mais aussi sur elle… Alors que le monde de la surface ne lui réserve que mépris, incompréhension et rejet, le monde des morts lui apporte la confiance dont elle manque cruellement. D’adolescente discrète et seule dans son coin, elle se transforme en superstar, de quoi vous perturber ! Agatha possède ainsi deux faces, deux visages, créant une certaine forme d’équilibre, ajustant l’ombre et la lumière. Un épais voile de mystère persiste toutefois autour de son père, nous ignorons tout de lui et cela semble peser sur ses épaules. Cette absence de figure paternelle constitue un manque et je suis curieuse de voir ce que l’auteur nous réserve à ce sujet!
« Je viens tout juste de recevoir un coup de fil du travail. Je vais devoir m’absenter quelques jours, tu veux que j’appelle quelqu’un pour rester avec toi ?- Ne t’en fais pas, je suis grande, je gère ! - D’accord, je te fais confiance, mais pas de bêtise. »
Agatha sourit en pensant à tout ce qu’elle allait pouvoir faire sans avoir son cerbère de mère derrière elle, que de belles journées en perspective.
Le monde des morts et celui des vivants, plus qu’intimement liés, doivent faire face à une menace commune. Il ne s’agit pas de reproduire les exploits réalisés dans le premier livre, le danger et les enjeux qui les guettent sont autrement différents. Une épée de Damoclès se dresse au-dessus de leur tête, fière et inébranlable; il faut faire vite avant qu’il ne soit trop tard ! Agatha ne peut rester de marbre face à la situation et s’embarque volontiers dans cette nouvelle aventure. La fontaine de Tir Na Nog est en danger ! Une expédition se prépare, aussi bien chez les morts que chez les vivants, leurs motivations sont différentes, leurs moyens d’action aussi. J’ai trouvé cela amusant de voir les points qui connectent et relient les deux mondes, les nombreuses ramifications qui permettent aux personnes décédées de bénéficier de certains objets et ainsi rester - presque - à la pointe de la technologie et du confort. Les habitudes ont la peau dure et il n’est pas rare qu’un mort reste attaché à un semblant de bien-être.

Source : Caspar David Friedrich, L'Arbre aux corbeaux, 1822


L’univers des cosmétiques et la beauté sont au cœur des débats. Une firme, aussi influente que riche, souhaite proposer des produits d’une qualité exceptionnelle, sans nulle autre pareille… Une entreprise dont les motivations, plus que douteuses, vont l’entraîner sur une pente très glissante. À travers la volonté de cette dernière et son désir de s’approprier les vertus de la fontaine de jouvence, toute une réflexion est menée sur l’apparence, le physique et la popularité. Les hommes et les femmes cherchent toujours à être les plus beaux, à se présenter sous leur meilleur jour aux yeux du monde. Ils veulent encore et toujours être plus beaux, plus lisses, plus brillants, à la pointe de la mode à tel point qu’ils tombent facilement dans l’excès. Dans une société qui juge énormément sur le physique et sur les apparences, faire illusion est presque devenue une nécessité, un moyen de se frayer une place dans le foule. Toutes ces réflexions nous amènent à reconsidérer notre façon de voir les autres. Bien souvent, nous jugeons les individus au travers de filtres pré-établis, oublions qu’au-delà du masque se cache un être de chair et de sang, un être doté d’une personnalité propre qui dépasse la simple tenue vestimentaire ou le maquillage pour paraître à son avantage.
« Ah et j’oubliais, avant que tu ne prennes le bus ; j’espère que ta chambre sera bien rangée à mon arrivée ! Je ne tiens pas à la retrouver en désordre comme si la troisième guerre mondiale avait eu lieu jeune fille !- Oui maman….grommela-t-elle entre ses dents. »
Une bataille est donc engagée, une course contre la montre ; c’est à celui qui arrivera en premier. Les uns pour s’emparer de la fontaine, les autres pour la protéger. Au fil des pages, une certaine forme de violence se dévoile, toujours justifiée, jamais excessive. Cette dernière permet de prendre conscience de l’ampleur des conflits (physiques, intérieurs…) qui déchirent les personnages. Loin de vivre dans un monde de bisounours, Agatha réalise que les morts, eux aussi, peuvent engendrer des drames et semer la zizanie. L’endroit où est caché la fontaine, loin des curieux et des personnes malveillantes, ressemble à un îlot de paix gouverné par des hippies. Nous y rencontrons certains peuples et pouvons observer leur évolution ; entre choc et confrontation, la réalité n'est pas toujours aussi douce qu’il n’y paraît. Les bisounours vont affronter les truands, à armes et forces inégales. Les ressources déployées par chaque camp sont ingénieuses et témoignent de la richesse des manières de combattre et de se défendre. 
Alors que la porte d’entrée se refermait dans un grand fracas, Agatha en profita pour monter dans sa chambre et reprendre sa lecture de L’étrange vie de Nobody Owens de Neil Gaiman, un petit garçon très particulier avec qui, elle en est persuadée, elle se serait très vite liée d’amitié. 
La plume de Renaud Crepel est toujours aussi belle et limpide, nous entraînant dans les profondeurs des contes et de la mythologie en un claquement de doigt. Mon seul regret est que le livre soit court, j'aurais voulu rester un peu plus longtemps avec toute la joyeuse troupe. Je suis donc plus qu’impatiente de découvrir les nouvelles aventures d’Agatha Howlett, la couverture du prochain livre a déjà été dévoilé ! L’ambiance a vraiment l’air incroyable, il me tarde de plonger dans L’Amiral des Abysses !

Les autres livres de l'auteur : 
• Le Cerbère Enchaîné• Emmy Zenith contre l'Eclipseur