Aires - Marcus Malte ****

Aires, la dernière parution de Marcus Malte, m'a fait comprendre mon abandon du prix Fémina 2016, Le Garçon. C'est déjà une très haute qualité. La note **** est une moyenne de mon évaluation au fil de l'eau (de ma lecture, je devrais dire) d'Aires, arrêté momentanément au cours des cent premières pages, repris ensuite et dévoré (et mon ressenti a oscillé invariablement entre le *** et le ***** d'où un **** général et assumé). Aires - Marcus Malte ****
Dans Aires, nous regardons évoluer des personnages, tous plus ou moins "locataires" d'une voiture, chacune et chacune investissant un moment donné un tronçon d'autoroute. Les protagonistes sont repérés et  introduits par Marcus Malte par leur modèle d'automobile ou de camion : ce point de vue matérialiste étonnant trouvera toute sa signification en toute fin d'intrigue.
Dans Aires, nous avons une peinture sociale et sociétale : un couple de retraités, un ingénieur devenu routier après avoir dénoncé une vérité difficile à entendre, une bourgeoise sans foi ni loi (à part celle du marché), un psychopathe, un randonneur, un duo de jeunes amoureux écervelés, un couple en train d'exploser avec une Claire (r)éveillée et déterminée à quitter un mari pâlot et ratatiné, une Zoé-serveuse intuitive, un père et son fils en escapade fuyante, un homme émouvant qui part retrouver son amour de toujours pour un au-revoir. Certains ont déjà des liens entre eux, d'autres les découvriront au cours de l'intrigue. 
Dans Aires, Marcus Malte explore l'humain, ses dérives et ses envies. Il dresse un portrait corrosif et percutant de notre société mondialisée. C'est clair, précis, bien écrit et empli de digressions. Car outre la difficulté de suivre tous ces itinéraires de vie différents, l'auteur n'aide pas son lecteur en ponctuant son récit de ses nombreuses "dérives" littéraires : souvent brillantes et réussies, elles n'en demeurent pas moins des tests de concentration car on peut perdre vite le fil (surtout que le démarrage est délicat et loin d'être simple) ! À croire que Marcus Malte a tenté un Exercices de style à la Raymond  Queneau, (du moins le sien propre) ou bien de se prouver quelque chose ! Comme si écrire un gros pavé avec tout plein de personnalités diverses et variées (à la fois identiques dans leur humanité et différentes dans leur parcours de vie ou dans leur cheminement de pensée) n'était pas un challenge suffisant ! Certes, à travers ses "sorties" (tant dans la forme -une nouvelle dans le roman, une tentative de compte-rendu de conférence du travail, des palmarès, des slogans de pubs, des extraits de carnets, des poèmes, des tickets de caisse, un discours politique, etc- que dans le fond : du polar, de la poésie, du roman, du gore...), on (re)découvre tout le talent littéraire de Marcus Malte mais le risque est de noyer le poisson ou de rendre plus âpre la lecture d'Aires. Parce qu'en plus de ces "déroutes", il y a aussi régulièrement des digressions dans le corps du texte. À part ce bémol ou du moins cette retenue, les dialogues et les pensées intimes sont percutants et l'histoire se lit ... La preuve, je l'ai finie ! 
Mais il est clair que certains babillages m'ont paru too much et inutiles. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai apprécié de découvrir et de finir Aires : j'ai enfin compris pourquoi j'avais abandonné Le Garçon. J'aime la concision, j'accepte le surplus lorsque je le juge utile à l'intrigue. Dans Le Garçon, rien ne m'a encore accrochée (je ne dis pas que je n'y reviendrai pas).
Dans Aires, les destins de Claire ou de Sylvain m'ont interpellée entre autres. L'analyse sociologique et sociétale de Marcus Malte également : ses sauts dans la réalité attestent d'une vitalité féroce de (d)énoncer en argumentant. Tout y passe : sexualité, politique, loi du marché, harcèlement, addiction, perversité, déterminisme social, futilité du quotidien etc. Mais il y a aussi une forme de romantisme dans Aires, qui a un côté pendant contemporain d'une œuvre d'Émile Zola (enfin, c'est mon ressenti).
En bref : Aires est un livre qui ne laisse pas indifférent, qui bouscule et propose une traversée magistrale dans notre monde actuel. À la fois riche, étoffé et tortueux, son contenu exige une forte concentration de son lectorat et aussi une belle patience (pour intégrer tous les personnages, les repérer ; pour apprécier ou dépasser les moments d'"errance littéraire"). À vous de voir si cela vous dit !  (Phili ou l'art de prendre des risques...)
Éditions Zulma 482 pages - parution janvier 2020
Emprunté à la bibliothèque avant confinement.   autres avisMoka, librairie du St Christophe (29-Lesneven)
Du même auteur : Garden of love

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois