Campagne (9)

Tim se montra prudent tout au long de la route, ayant trop peur que la roue ne tienne pas le choc face aux routes en mauvais état de l’arrière pays d’Occitanie. Plus il se rapprochait de Narbonne et plus les villages étaient gros. La route devint plus large, les arbres moins nombreux et les voitures plus nombreuses. En rentrant dans Narbonne, il eut l’impression de renouer avec la civilisation et une drôle d’émotion l’envahit. Il trouva assez facilement le centre commercial et un dépanneur. Il se gara sur un parking quasiment désert et pénétra dans la boutique. Une dame se trouvait à l’accueil, il se dirigea vers elle et lui demanda si on pouvait lui réparer sa roue assez rapidement. La dame pianota quelques secondes sur son ordinateur. Elle se donnait un air important. Elle avait dû sentir le désarroi dans la voix de Tim. Elle lui demanda sa carte grise et sa carte d’identité et continua à pianoter longuement sur son clavier tout en plissant les yeux. De petites pattes d’oies se formaient au coin de ses yeux. Tim l’observait avec attention, guettant la moindre réaction sur son visage.

« – Nous pouvons changer votre roue de suite mais il faudra attendre 45 minutes et cela vous coûtera 200€. Pour ce prix, nous referons l’équilibrage bien sûr. Veuillez signer le devis et me remettre vos clés. Vous pouvez attendre dans le petit salon ou aller vous balader. Nous vous enverrons un SMS lorsque tout sera terminé. »

Tim s’exécuta fébrile. En effet, il n’avait pas regardé son portable depuis qu’il était arrivé à Glax- sur- Minervois car il ne captait pas mais ici, en ville, il allait pouvoir renouer avec les réseaux sociaux, les mails et tout le reste ! Aussitôt sorti de chez le dépanneur, il saisit son portable. Il avait 20 appels en absence, une trentaine de SMS et des mails à n’en plus finir. 19 appels en absence étaient de sa mère. Elle avait laissé quasiment autant de messages sur son répondeur. Les messages gagnaient en hystérie au fur et à mesure. Dans le dernier sa mère disait qu’elle appelait la police pour signaler sa disparition. Les SMS étaient du même acabit. Sa mère avait écrit les SMS en majuscule signalant qu’elle était complètement paniquée. Un appel s’imposait…

« – Allô maman ?

-Timothée ? C’est toi ?

-Oui…

Sa mère éclata en sanglots.

-Tu es vivant ! Mon Dieu, tu es vivant ! TU ES VIVAAAAAAANT !

Les sanglots redoublèrent d’intensité.

-Je te croyais mort ! Je suis allée à la gendarmerie mais ils m’ont pris pour une hystérique ! Ils m’ont même fait passer un éthylotest ! Ils croyaient que j’étais ivre ! Ils ne voulaient pas prendre ma déposition parce qu’il faut attendre 48h mais moi je sentais au plus profond de mes entrailles que tu étais en danger ! Alors, je me suis mise à hurler sur la dame de l’accueil et là c’est parti en vrille…

Un long silence s’installa. Tim écouta sa mère qui pleurait au téléphone. Il l’imagina dans son petit appartement cossu au centre de Paris, enveloppée dans son châle fétiche, les yeux plein de larmes.

-Ils m’ont mis en cellule de dégrisement et m’ont mise en garde à vue pour outrage à agent. Tim ! J’ai dû faire pipi devant des inconnus !

Les sanglots redoublèrent. Tim sourit imaginant sa mère en prison dans son tailleur chic, elle qui refusait de s’arrêter sur une aire d’autoroute.

-Je vais bien maman… Là où je suis on n’a aucun réseau, je n’ai pas pu te joindre.

-Pas de réseau ? Mais tu es où ?

-Je te l’ai dit maman, je suis à Glax-sur- Minervois. C’est un petit village de 10 habitants. C’est loin de tout… et de tout le monde…

-Tu es sûre que ça va ?

-Oui…

-J’ai un peu de mal à t’imaginer sans ton téléphone…

-Moi aussi, mais bon, je vais m’y faire.

-Courage mon chéri…Bon, je vais te laisser… Je pense que des excuses s’imposent au commissariat du coin… »

Tim sourit. Sa mère était très à cheval sur les bonnes manières. Elle avait dû avoir une sacrée peur pour perdre ainsi ses nerfs. Il raccrocha et écouta le dernier message vocal.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois