Premières lignes #97 : Grisha

Premières lignes #97 : Grisha

Premières lignes est un rendez-vous initié par Ma lecturothèque. Le principe est simple, tous les dimanches, je vais vous citez les premières lignes d’un ouvrage.


Prologue

Les serviteurs les appelaient les malenchki, Les petits fantômes, parce qu’ils étaient les plus jeunes, et parce qu’ils hantaient la demeure du duc en gloussant. Ils courraient partout, se cachaient dans les placards pour espionner les conversations et se faufilaient dans la cuisine pour voler les dernières pêches d’été.
Le garçon et la fille étaient arrivés à quelques semaines d’intervalle, deux orphelins de plus, victimes de la guerre des confins, réfugiés au visage couvert de crasse retrouvés dans les ruines d’une ville lointaine et conduits chez le duc pour y apprendre à lire et à compter, mais aussi un métier. Le garçon était petit, trapu, timide, quoique toujours souriant. La fille était différente et le savait.
Un jour, recroquevillée dans le placard de la cuisine pour écouter les conversations des grandes personnes, elle entendit Ana Kuy, la gouvernante du duc, dire :
– C’est une vilaine petit chose. Aucune enfant ne devrait être comme ça. Elle est pâle et amère comme un verre de lait qu’on a laissé tourner.
– Et elle est si maigre, ajouta la cuisinière. Elle ne termine jamais son dîner.
Accroupi à côté de la fillette, le garçon murmura :
– Pourquoi est-ce que tu ne manges pas ?
– Parce que tout ce qu’elle prépare a un goût de vase.
– Moi, je trouve ça bon.
– Tu avalerais n’importe quoi.
Ils approchèrent de nouveau leur oreille de la fissure dans la porte du placard. Un instant plus tard, le garçon chuchota :
– Je ne te trouve pas vilaine.
– Chut ! siffla la fillette.
Dissimulée dans les ombres épaisses du placard, elle sourit.

Durant l’été, ils passaient des heures à accomplir toutes sortes de tâches harassantes avant d’aller en classe dans des salles étouffantes. Quand la chaleur était à son comble, ils s’échappaient dans la forêt où ils cherchaient des nids d’oiseaux et se baignaient dans un ruisseau boueux, ou alors ils restaient allongés dans leur pré à regarder le soleil défiler lentement dans le ciel, réfléchissant à leur future laiterie, se demandant où ils la construiraient et s’ils auraient deux ou trois vaches blanches. Le duc passait l’hiver en ville, à Os Alta. À mesure que les journées raccourcissaient et que le froid revenait, les professeurs se laissaient aller, préférant rester près du feu pour jouer aux cartes et boire du Kvas. Comme ils s’ennuyaient et qu’ils ne pouvaient pas sortir, les enfants plus grands se défoulaient souvent sur les petits. Alors le garçon et la fille se réfugiaient dans les pièces non utilisées de la propriété, jouant des pièces de théâtre pour les souris et essayant de se réchauffer.

Premières lignes #97 : Grisha


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois