"Mom, I'm a refugee"

Ali Talib.


Aliette Griz.

Ali Talib est né en Irak en 1991. Il a grandi dans les guerres successives. Il a beaucoup lu, beaucoup réfléchi. Ali est un esprit ouvert, défendant ouvertement la liberté de penser, rétif aux obligations "par tradition". Il n'hésite pas à se distancier de la religion quand il le juge nécessaire. Ado et après, il s'est battu pour son pays. Adulte, il a finalement dû le fuir. Trop de morts autour de lui, trop de menaces. Il a quitté l'Irak en août 2015. Turquie, Grèce, le chemin habituel des réfugiés irakiens. Ali Talib est arrivé en Belgique comme demandeur d'asile, parce qu'il voulait venir en Belgique, pays pluriculturel. Très vite, il a rencontré au célèbre parc Maximilien Aliette Griz, Française habitant Bruxelles, mère de famille engagée aux côtés des migrants. Très vite, Ali lui a fait part de son envie d'écrire à quatre mains son histoire, d'en faire un livre. Aussitôt, Aliette a embrayé. Ali-Aliette, trois lettres qui ont leur importance.
Le projet s'intitulait alors "Mom, I'm a refugee", des mots qu'Ali a adressés en pensée à sa mère une fois arrivé sur une plage grecque. Le livre s'est construit petit à petit, pièce par pièce, en parallèle au film "Ali et Aliette" que le duo a coréalisé avec Anne Versailles (voir ici). Mais après trois ans de galère en Belgique où ses demandes d'asile ont été rejetées et où les pourvois en appel durent des éternités sans garantie de meilleur statut, Ali est rentré chez lui, dans son Irak toujours en guerre. La crainte de devenir fou ici, de ne plus être lui-même, un vétérinaire-mécanicien-guerrier. Il n'en pouvait plus d'être un jeune type à qui l'état belge refusait même de faire du bénévolat.
Le livre s'est malgré tout écrit, version 1, version 2, version 3 et a enfin trouvé preneur aux éditions Academia qui, nous assure la responsable Sidonie Maissin, ne pratiquent plus que le compte d'éditeur. "Maman, je suis un réfugié" est un témoignage terrible et nécessaire sur la vie des civils plongés dans la guerre en Irak, en route sur les chemins de l'exil et sur l'expérience belge d'Ali. Même quand on fréquente des réfugiés, qu'on connaît leurs histoires violentes et leurs parcours atroces, on ne peut qu'être pris par les mots qu'Ali et Aliette couchent pour nous. On est avec ces enfants, ces ados, ces jeunes adultes. Ces hommes et ces femmes, pour ou contre ce qui se passe. On est dans la guerre, dans les combats, dans les embuscades, dans les attaques. On vole, ou on ne vole pas. On va à l'université sans savoir si on reviendra entier, on garde armé les check-points, on échappe aux enlèvements. A côté de cela, la vie continue, l'amitié, l'amour quand la tradition l'autorise...
Bien sûr, ce livre est l'histoire d'Ali Talib, mais combien d'autres Ali n'existent-ils pas? Broyés dans une logique qui les dépasse, qui nous dépasse. Les auteurs ont choisi le récit à la première personne et ont eu la superbe bonne idée de mélanger la chronologie. Un procédé littéraire qui fait zigzaguer le lecteur dans la vie d'Ali. Sans le perdre. Chaque chapitre est titré, souvent de façon concise, et daté. A chacun de remettre le puzzle en place. Et de gérer ses émotions car on prend ce récit en pleine figure. Même si les mots choisis ne tolèrent aucun apitoiement sur soi-même. La simple relation des faits suffit, tout comme ces phrases en caractères italiques, celles qu'Ali le réfugié adresse à sa maman restée au pays.
"Maman, je suis un réfugié" se parcourt d'une traite et s'imprègne profondément par la justesse de son ton et l'évidence de ses propos. A lire absolument, par exemple un café à la main car tant Ali qu'Aliette adorent le café fort, fraîchement préparé.

Le film et le livre.



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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois