Premières lignes #84 : Tsipora et le vengeur de sang

Premières lignes #84 : Tsipora et le vengeur de sang

Premières lignes est un rendez-vous initié par Ma lecturothèque. Le principe est simple, tous les dimanches, je vais vous citez les premières lignes d’un ouvrage.


1. Tout de suite !

– Tsipora !
La voix aiguë de ma mère s’élève dans le ciel bleu. Mais je ne répond pas. Je suis trop bien à l’ombre du figuier. Pas envie de bouger… et pas envie d’aider !
– Tsipora !!! Viens ici immédiatement !
Venir pour quoi ? Pour moudre le blé ? Cuire le pain ? Laver le sol ? Filer la laine ? Ou pour peigner mes cheveux ? Ma mère les veut sages alors qu’ils sont frisés, elle les veut couverts alors que je les aime libres. À deux mains, je fourrage dans ma tignasse et repousse les boucles brunes qui me tombent dans les yeux. Pas question de les cacher ni de les discipliner. Ni de me discipliner. J’ai beau être une fille, je n’aime pas le travail des femmes. Moi, ce que j’aime, c’est courir avec mon grand frère Ouriel sur les collines, chanter avec les oiseaux, jouer dans le petit ruisseau derrière la ferme. Ce que j’aime aussi, c’est suivre mon père aux champs, écouter ses histoires, le regarder prier matin et soir. Et ce que j’aime surtout, c’est les accompagner, mon frère et lui, pour les fêtes de pèlerinage à la grande ville, Jérusalem la belle. Notre roi Salomon y a construit un Temple magnifique. C’est un bon roi respecté de tous, et depuis qu’il a succédé à son père, le roi David, le royaume d’Israël vit en paix.
Là-bas, tout est grand, imposant, excitant, et à chaque fois j’ai envie d’y rester longtemps. Pourtant, j’aime bien aussi rentrer chez nous, après la fête, fatiguée et ivre d’images et de sons, ma main dans la main de mon père qui chantonne doucement. Devant marche mon frère, pour une fois silencieux. On traverse les villages, les « filles de la ville » comme on les appelle, situés le long des seize kilomètres qui séparent Jérusalem de Tekoa, là où se trouve notre ferme. Mon village préféré, c’est Bethlehem, à mi-chemin, où habite la soeur de mon père. On s’y arrête parfois pour passer la nuit, quand la route est trop longue pour mes petites jambes ou le soleil trop ardent pour nos pauvres têtes.
Bethlehem, ça veut dire la « maison du pain ». Mais chez nous aussi, c’est la maison du pain ! Même que c’est mon travail, et que je n’ai pas envie, mais alors pas du tout envie, d’aller pétrir la pâte, la faire lever, coller les galettes sur les parois brûlantes du four, rester à surveiller la cuisson, les décoller d’un coup… et me brûler les mains, alors qu’il fait si chaud !
– Tsipora !
Je sursaute. C’est la voix de mon père. Qu’est-ce qu’il fait là ? On est au milieu de la journée, au milieu de la semaine, au milieu des moissons ? Pourquoi est-il rentré ?
– TSIPORA !
– J’arrive ! Je crie, en surgissant de sous le figuier et en me précipitant hors d’haleine dans la cour où se tiennent mon père, ma mère et… l’oncle Samuel.

Premières lignes #84 : Tsipora et le vengeur de sang


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois