Interview de Maxime Garbarini

Depuis le 3 septembre dernier, Northstar Comics a lancé sur son site la campagne de financement de Heroics, un nouveau french comics super-héroïque écrit et dessiné par Maxime Garbarini. C'est donc au cours de sa promotion que nous avons rencontré l'auteur afin de nous parler de sa création, de représentation et du do it yourself.

Heroics est un projet sur lequel Maxime Garbarini travaille depuis 2010. Inspiré des webcomics de Karl Kerschl ( Gotham Academy, Isola) et de Cameron Stewart ( Batgirl, Fight Club 2...), il décide de se lancer dans la l'aventure sous son propre label, Close Call Comics. C'est ainsi qu'il se fait repérer par Jeff Breitenbach, fan de comics et blogueur, qui devient un grand fan. Lorsque ce dernier décide de se lancer dans l'édition, il demande alors à l'auteur s'il veut voir sa grande saga publiée en album sur son label, Northstar Comics. Le projet se concrétise enfin, depuis le début du mois grâce à une campagne de financement participative qui bat son plein (plus de 300% en une seule semaine).

Heroics est pensé comme une série TV, en saison, et ce premier album regroupe la première. L'histoire de ce premier tome - ou saison, Pères, nous introduit des personnages qui obtiennent des super-pouvoirs lors la Seconde Guerre Mondiale. Mais, c'est surtout la naissance d'un univers partagé auquel nous insistons avec la genèse d'une lignée de personnages haut en couleur. L'univers de Maxime Garbarini semble riche et propice à des centaines d'histoires comme ceux qui l'ont inspiré, à savoir celui des X-Men et de celui de Legions of Super-Heroes.

C'est donc en pleine promotion de ce livre qui parait très prometteur que nous avons rencontré l'auteur afin de nous parler plus en détails de la genèse de Heroics et de tout ce qu'il a pu injecter dedans.

Mighty! : Heroics a connu une genèse assez particulière. Raconte-nous comment le projet qui était un webcomic à la base a évolué et mûri avant d'arriver sur papier ?
Maxime Garbarini : En 2010/2011 j'avais déjà envie de raconter cette histoire, la genèse de cet univers où se déroulent les (nombreuses) histoires que j'ai en tête depuis toujours. Je n'avais illustré qu'un album ( Premier Bébé, Hachette Pratique en 2009), j'étais donc encore assez débutant mais malgré tout pressé de me "tester" en solo, en tant que dessinateur ET scénariste. Plutôt que de faire le tour des éditeurs avec mes planches sous le bras, j'ai préféré me lancer dans un webcomic sur un site dédié, rattaché à un groupe Facebook. À raison d'une page de BD par semaine, j'ai publié environ 75 planches, ainsi que des nouvelles, des documents, des portraits de personnages, le plus d'éléments possibles qui pouvaient enrichir la lecture.

Interview de Maxime Garbarini

L'histoire de la BD semble reposer sur deux concepts forts : la famille et la guerre. Comment sont-ils arrivés au centre de ton récit ?
Pour la famille, c'est vrai que c'est arrivé assez naturellement. J'ai grandi en partie dans d'une famille recomposée, à l'histoire riche et complexe, et où le métissage a une place essentielle. C'était important pour moi que mes personnages aient déjà ce type de relation avant que le l'histoire ne leur tombe sur le coin de la tête. J'ai perdu mon père assez brutalement en 2010 avant de commencer la publication, et quelques années plus tard j'ai réalisé que la place du père était au centre de quasiment toutes mes intrigues. Il doit y avoir une histoire de transfert ou quelque chose comme ça. Mais, dans tous les cas, c'est un thème assez universel et qui me tient à cœur de façon aussi très personnelle.

"Là où la guerre, en tant que concept m'intéresse, c'est qu'elle pousse les gens "normaux" à faire des choses qui les dépassent"

Quant à la guerre, c'est la période choisie qui me l'a imposée. Je n'ai pas eu l'intention de faire un récit de guerre à proprement parler, je n'aurais jamais cette prétention d'ailleurs. Là où la guerre, en tant que concept m'intéresse (ça fait bizarre de dire ça), c'est qu'elle pousse les gens "normaux" à faire des choses qui les dépassent, elle libère aussi une violence tellement forte, souvent indicible, que ça touche à l'humain dans ce qu'il a de pire. Un bon contrepoids à la notion de " héros " qui est aussi au centre de l'album. À quel moment devient-on un héros, pour soi, pour les autres ?

Du coup, pourquoi avoir choisi la Seconde Guerre Mondiale comme contexte historique ?
Il était nécessaire pour mes personnages, pour ce qui les attend dans les saisons à venir, d'avoir leurs racines ancrées dans cette période de l'histoire. Et j'ai souhaité également désaméricaniser un peu cette première saison, et déplacer le principal de l'action en Europe était un bon moyen. On retrouve quelques figures propres au récit de guerre (le soldat, les résistants, les collabos) mais on est loin de The Invaders. D'ailleurs, mes personnages ont des motivations très égocentrées, et ne se battent pas pour libérer l'Europe ou mettre fin à la guerre. La guerre se fait sans eux. Ils essaient de tracer leurs chemins au travers.

Pourquoi avoir choisi une famille plus qu'une équipe "standard" ?
À la base la série s'est appelé Saga (avant que Brian K. Vaughan ne lance sa célèbre série). L'idée, l'étymologie même du mot saga, a trait à la famille, c'est le récit d'une vie, de ce qui a mené à cette vie, et de ce qu'elle laisse derrière. Ça collait parfaitement avec mon envie de raconter la vie de véritables dynasties de héros, décennies après décennies. Puis la série s'est appelé SAGAS (yay, palindrome !) pour se distinguer un peu plus, et finalement elle a pris le nom de l'équipe qu'elle mettait en scène, à savoir l' Heroic Patrol.

"Finalement, j'ai reproduit un autre type de schéma, proche de ma réalité, mais auquel on s'attend moins dans un comic qui se passe à cette période de l'histoire."

Mais, quand avec Northstar Comics, on a décidé d'en faire une version album, et non plus juste digitale, j'avais envie de reprendre mes distances avec ce concept de 1 titre = 1 équipe. Pour moi ça marche bien avec Heroics car c'est un terme reconnu, connoté, et assez générique pour abriter différents types d'histoires et d'équipes justement. Donc pour revenir à la question, la famille, une famille, est au centre de l'histoire au début, mais il y a bel et bien une équipe qui se forme sur la base de cette famille.

Je sais que la diversité et sa représentation sont importantes pour toi, comment tu as pu arriver à l'intégrer dans un tel récit ?
C'est en effet essentiel pour moi qui ne suis ni blanc et ni hétéro mais pour être franc je n'avais pas encore cette maturité au moment où j'ai commencé à imaginer cette histoire. Je répétais sans les remettre en cause des schémas qu'on a finalement déjà bien trop vu. Et puis, petit à petit, j'ai réalisé que mes personnages féminins, même si elles sont en nombre inférieur, sont "moteurs" de l'intrigue. J'ai aussi pris conscience que sans vouloir cocher une case ou atteindre un quota, l'un de mes personnages a un syndrome qu'on pourrait rapprocher de l'autisme, tandis qu'un autre souffre de dépression et de bégaiement. Et deux autres sont LGBT+. Donc, finalement, j'ai reproduit un autre type de schéma, proche de ma réalité, mais auquel on s'attend moins dans un comic qui se passe à cette période de l'histoire. J'ai encore du travail à accomplir dans ce sens et toutes les critiques à ce sujet seront les bienvenues.

Interview de Maxime Garbarini

Il me semble que tu as dans l'idée de ne pas t'arrêter à ce premier volume. Qu'est-ce que tu as comme idée ? Créer des spin-offs ? Raconter une suite ?
Tout à fait. Cet album n'est que la première saison, la porte d'entrée vers un univers que je vais essayer d'étendre et faire progresser dans le temps. L'idée est que chaque saison couvre une décennie. La saison 1 (" Pères ") démarre vers 1935 pour s'achever en 1945.
L'idée couve également de préparer une série d'anthologie, des histoires plus courtes, sur d'autres personnages de cet univers, histoires que j'écrirais mais dont je confierai la partie graphique à d'autres artistes ami·e·s.

Tu as déjà une idée de ce que tu vas faire après Heroics ?
Sans doute une cure de sommeil ou de soleil. Idéalement les deux.
Non, plus sérieusement je vais très vite me remettre au travail pour la suite et pour d'autres histoires tirées du même univers. Je ne dessine pas aussi vite que je cogite hélas, sinon vous auriez un album tous les mois ! J'ai la chance d'avoir une activité professionnelle assez souple ce qui m'a permis de prendre les mois sabbatiques nécessaires pour boucler cet album. Mais bientôt je vais reprendre du service, en continuant en parallèle à mijoter l'avenir de Heroics.

Tu as dessiné The Pride, un autre comic book de supers. Tu aimes très certainement ce genre de récits mais y a-t-il d'autres sujets ou genres de BD que tu aimerais aborder dans un futur plus ou moins proche ?
L'aventure The Pride était un super moment, dans le style mélange des genres (propos socio-politique, militant + aventures de super-héros).

"J'apprécie vraiment le côté "label à taille humaine" et "éditeur de terrain" que Northstar Comics adopte naturellement."

J'aime beaucoup la science-fiction... et les ambiances plus intimistes. C'est un peu le grand écart je sais, tout comme j'adore le travail de Tsutomu Nihei et celui de Kiriko Nananan. J'aimerais faire une incursion dans ces deux genres (ou dans un genre qui mêlerait les deux). Mais me connaissant, et pour éviter de me disperser, je pense que ces incursions se feront dans le cadre de Heroics. Le concept d'un univers avec des personnes douées de pouvoirs paranormaux n'est pas original en soi, mais il peut donner lieu a tellement de style de récits différents que c'est super excitant, limite grisant, d'en explorer chaque recoin.

Tu es un peu de l'école Do It Yourself. Du coup, est-ce que le choix de Northstar Comics comme éditeur te permet justement de garder un contrôle complet sur ta série comme si tu l'éditerais toi-même ?
Tout à fait. La team Northstar est déjà responsable de superbes albums dans des styles et thématiques complètement différents. Jeff est un fan de la première heure de ce que j'essaie de faire et c'est un plaisir de travailler avec lui. Et tant qu'on s'organise bien et que les lecteurs voudront de nous, je pense qu'on est parti pour collaborer sur de nombreux albums. J'apprécie vraiment le côté "label à taille humaine" et "éditeur de terrain" que Northstar Comics adopte naturellement. Je sais que les efforts et le travail qu'on fournit pour cet album sont décuplés par l'enthousiasme et la volonté de Jeff (fondateur du label) de nous faire vraiment rencontrer notre public. Pour mes précédentes expériences, disons qu'une fois l'album livré, j'avais été extrêmement déçu du manque de considération et de soutien des éditeurs. S'impliquer dans la vie de l'album une fois qu'il existe est autant essentiel que motivant, du moins pour moi.

Interview de Maxime Garbarini

Quels conseils pourrais-tu donner à celles et ceux qui souhaiteraient se lancer dans la création de leur propre comics (ou BD en générale) ?
J'en ai une sacrée liste, que je développe d'ailleurs au cours des ateliers Dessins & Comics du Comics Corner qui reprendront bientôt (instant autopromo !).

En vrac :

  • ne pas avoir peur de mal faire, on préfère une BD imparfaite qu'on tient dans les mains, qu'une BD " parfaite " qui ne voit jamais le jour ;
  • ne pas avoir peur des critiques ;
  • ne pas avoir peur de refaire, refaire c'est progresser ;
  • observer, observer, observer, faire des croquis, prendre des notes, rassembler ses notes et ses croquis ;
  • s'en tenir à une idée et la décortiquer dans tous les sens pour trouver l'angle le plus intéressant et pertinent pour soi, j'insiste sur le " pour soi ". si vous faites une BD pour vos lecteurs, j'ai le sentiment que vous passez à côté de quelque chose. Faites-le pour vous, faites-vous plaisir, éclatez-vous, et ensuite, invitez tout le monde à partager la fête que vous avez dans la tête ;
  • se nourrir de tout : art, films, littératures, spectacles vivants, voyages... ;
  • écrire et dessiner un peu tous les jours, garder la main ;
  • ne se comparer qu'à soi-même et apprécier le talent des autres pour ce qu'il nous apprend, pas de jalousie ni d'envie, il y a de la place pour tout le monde ;
  • savoir se féliciter, autant que s'auto-critiquer. La BD c'est dur et c'est laborieux donc ne perdez pas de temps à devenir votre propre ennemi ;
  • rythmer son récit, incarner ses personnages ;
  • penser à ceux/celles dont on ne raconte jamais les histoires.

C'est grisant de créer des personnages, une histoire, un univers de toutes pièces. C'est tentant de s'y perdre aussi et de faire du worldbuilding ou du character design, sans finalement jamais dessiner la moindre case. C'est un écueil que j'ai très très bien connu et la sortie de Heroics est totalement... cathartique en ce sens.

Interview de Maxime Garbarini

Quelle musique écoutes-tu pendant que tu écris ou que tu dessines ?
Alors le truc c'est que j'écoute beaucoup de style de musique différents, je fais régulièrement des playlists que je partage ici sur mon profil Spotify.

Sinon pour la BD précisément, j'ai une playlist par projet, où on retrouve beaucoup de trip-hop (pour les vieux comme moi qui connaissent), de l'électro, de la pop et du rock, de la soul. Ça dépend de la nature du projet ou de l'intention que j'essaie de mettre dans la scène que j'écris ou dessine.

En l'occurrence, et c'est aussi un autre hommage à mon père qui en était fan, ma playlist Heroics est entièrement composée de musiques de films composées par Philip Glass. Je vous invite à l'écouter en lisant l'album (Autant vous dire que c'est pas trop trop la fête...).

Afin de soutenir le financement du premier tome de Heroics, il suffit de vous rendre sur le site de Northstar Comics. La campagne se terminera le 4 octobre 2019.

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