Louise Chennevière : Par où commencer?

Louise Chennevière : Par où commencer?

Difficile de trouver un domaine de l’histoire des idées où les prescriptions des philosophes ont été plus fidèlement appliqués par l’homme du commun, où l’on observe une plus grande proximité entre les faits et les discours, que la tradition misogyne. Dans le livre de Louise Chennevière, l’exergue de La Philosophie dans le boudoir, du marquis de Sade, tient lieu d’art poétique : « La destinée de la femme est d’être comme la chienne, comme la louve : elle doit appartenir à tous ceux qui veulent d’elle. »

Ce « premier roman » est en réalité un recueil de nouvelles brèves et rythmées, voire des Microfictions, pour reprendre le titre de Régis Jauffret. Avec un esprit systématique, l’autrice explore successivement, pour chaque âge de la vie féminine, les servitudes volontaires et involontaires à la violence masculine, les cul-de-sacs patriarcaux. Âmes sensibles s’abstenir. « Je veux rendre justice à la réalité, simplement », annonce une narratrice (p. 99) : mais la réalité n’a rien de simple ; elle serait plutôt du genre impitoyable. Le critique du Parisien qui a trouvé ce livre « sensuel », au point de l’intégrer à sa sélection de « Quatre livres pour faire monter la température », je lui souhaite d’être célibataire à jamais !

En un sens, il rappelle les œuvres de Claire Castillon, experte à donner vie à la domination masculine. La grande différence avec Claire Castillon réside cependant dans un dogmatisme assumé – tant mieux, car la littérature militante vaut mieux que ce qu’on en pense généralement. C. Castillon met mal à l’aise par la violence de son ambiguïté ; L. Chennevière met mal à l’aise par la violence de ses certitudes. La lectrice ou le lecteur instruits de questions féministes n’apprendront rien de cette réécriture en forme de monologues intérieurs : ces situations sont des cas d’école, déjà bien analysés par Andrea Dworkin, Monique Wittig ou, plus proche de nous, Virginie Despentes. Sans doute aussi – qu’on nous pardonne cette hypothèse – le jeune âge de l’autrice explique-t-il le recours à des figures et des jeux de mots usés jusqu’à la corde par la littérature féministe : être une femme, « ce n’est pas rose », à moins de « faire mauvais genre », etc..

Il demeure très émouvant de voir une nouvelle plume, au style personnel et original, « stream into the unfinished » – entrer dans le courant sans fin, comme l’écrivait Adrienne Rich. Bientôt, Comme la chienne fera partie des lectures citées dans des articles comme celui d’Ada, « Comment suis-je devenue féministe? », ou dans des vidéos comme celle de Hajar Reads, « Féminisme: par où commencer? ».

D’ailleurs le temps pourra venir ensuite de compléter ce paysage dévasté de la féminité : par exemple en y intégrant la sisterhood du féminisme américain, ou le soin de soi célébré par Mona Chollet dans Chez soi, deux notions absentes de ce recueil torturé. Attendons voir le prochain Louise Chennevière.

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Voir ailleurs à propos de ce recueil : l’interview de l’autrice sur Diacritik, le podcast de « La Dispute » sur le site de France Culture, la critique de Libération, et la revue de presse sur le site de l’éditeur.

Louise Chennevière, Comme la chienne, P.O.L., avril 2019, 250 p., 18,90€.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois