L’été en poche (42): Point cardinal

L’été en poche (42): Point cardinal

En deux mots:
Laurent est marié, père de deux enfants. Mais Laurent se sent «femme». Après le travestissement en «Mathilda», il entend assumer son choix et devenir Lauren. Sa famille, et en particulier son épouse, ainsi qui ses collègues vont se voir confrontés à cette nouvelle réalité aussi déstabilisante qu’essentielle. Avec ce superbe roman, Léonor de Récondo s’attaque à un sujet délicat et le traite avec délicatesse. C’est vertigineux et c’est pourtant si simple, c’est dramatique et c’est pourtant si beau.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes
« Mathilda conduit jusqu’au rond-point, puis se gare sur le parking du supermarché. Presque personne à cette heure-ci. Elle choisit une place loin de l’entrée, éteint le moteur, insère le disque dans la fente du tableau de bord. À l’ombre de la grande enseigne, la musique surgit, le volume à son maximum. Oh Lord who will comfort me? Mathilda cale un miroir sur le volant, se regarde, se trouve belle et triste à la fois, observe son menton, son nez, ses lèvres. C’est le moment du dépouillement, le pire de tous. Elle sort de la voiture, ouvre le coffre. Sous la moquette, la roue de secours a disparu pour abriter une mallette. Elle la saisit en tremblant. Combien de temps encore? Mathilda se rassoit, la mallette en aluminium lui glace les cuisses. Elle actionne les petits clapets, qui se soulèvent avec un bruit sec. Elle prend une lingette démaquillante, se frotte doucement les yeux, puis commence à retirer ses faux cils. Son visage se déshabille. Lorsque les cils sont rangés dans leur boîte, Mathilda a presque disparu sous les restes de crayon noir, de couleurs brouillées, de mascara étalé jusqu’aux pommettes.
À ses pieds, entre les pédales, les lingettes imbibées de fard sont jetées, froissées, beige, noir, rouge, marron.
My soul is wearyng…
C’est la troisième fois que Melody Gardot entame sa chanson. Mathilda fait une pause et chante avec elle, tape sur le volant en mesure. Si elle en avait le courage,
elle sortirait et danserait. Elle ouvrirait grand les portières, ignorant passants et curieux, elle ondulerait, frapperait dans ses mains, s’exhiberait, mais elle
n’ose pas.
À moitié démaquillée, Mathilda maintenant reprend son souffle, pose son crâne sur l’appuie-tête, attend encore un peu avant de continuer, puis regarde l’heure. Il est 20 h 17. Il faut rentrer.
Alors, méticuleusement, elle enlève toute trace sur son visage. Mathilda transpire, les tempes lui brûlent. Elle retire les épingles et le filet qui retiennent sa perruque, range la chevelure dans sa pochette, vérifie ensuite ses yeux et sa bouche dans le miroir. Tout est vierge, le fond de teint s’est dissous. Elle doit maintenant se déshabiller et enfiler ses affaires de sport. Mathilda se contorsionne pour enlever sa robe de soie. Sa culotte et ses bas sont roulés jusqu’aux chevilles.
Laurent est complètement nu. Il attrape son sac à dos sur la banquette arrière et le pose sur le fauteuil passager, fouille dedans, sort un caleçon, un bas de jogging, un T-shirt, des chaussettes. Fait vite. La voiture est jonchée de vêtements, de lingettes usagées. Un chaos à l’image de son désordre intérieur. Révolté d’avoir arraché ses habits de lumière, Laurent retourne à l’ombre, jure, s’habille, se crispe, range tout ce qui doit l’être dans la mallette qui trouvera refuge dans le coffre, sous la moquette. Lui restera le mensonge.
Quelques minutes plus tard, il est prêt. Du désordre, on ne voit plus rien. En démarrant, il coupe la parole à Melody Gardot. La radio déverse les dernières informations. Il doit se concentrer, la maison n’est pas loin.
Il a peu de temps pour se calmer, pour oublier les instants de joie, Cynthia et ses amies du ZanziBar, la musique et la soie. La réalité, ce sont les nouvelles du soir, la météo et les publicités.
Laurent n’est plus qu’à quelques rues de chez lui. Il ralentit, respire profondément. »

L’avis de… Jeanne de Ménibus (ELLE)
« Dans cette odyssée singulière, Léonor de Récondo ne laisse personne au bord du chemin. Avec son assurance tranquille, elle conforte chacun de sa conviction: on peut tout traverser et tout réinventer, dès lors que l’amour circule. »

Vidéo


Léonor de Récondo présente Point Cardinal © Production Librairie Mollat

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois