Racontars du silence

Racontars du silence

Les réécritures féministes de l’Iliade : une histoire qui dure depuis plus de deux mille ans. The Silence of the girls de Pat Barker promettait plus. Elle est racontée pour une grande part du point de vue décentré de Briséis, l’esclave concubine d’Achille : à la fois proche (physiquement) et éloignée (socialement) de l’intrigue principale. Elle remet en cause le point de vue masculin hégémonique ; Achille n’est plus au centre de l’action ; c’est du moins ce que promet la quatrième de couv’ et l’enthusiastic review de The Guardian. La réalité est un peu différente. Achille est omniprésent dans ce roman ; lorsque Briséis le perd de vue, Pat Barker n’hésite pas à changer de narrateur pour continuer de suivre ses moindres pas.

Certes, dès la première phrase du roman, le ton est ironique vis-à-vis des formules homériques : « Great Achilles. Brilliant Achilles, shining Achilles, godlike Achilles… How the epithets pile up » (p. 3). Mais l’ironie n’équivaut pas à la construction d’une alternative. Certes encore, la scène de première rencontre entre Achille et Briséis est réussie : elle a le soleil derrière elle, et au lieu qu’Achille exprime son éblouissement (ce qu’on rencontre souvent dans les romances à la première personne), c’est Briséis qui exprime le doute ; elle ignore s’il l’a vue ou si, ébloui, il l’a imaginée seulement.

Mais pour le reste, ce sont trois cent pages de gossip : anecdotes croustillantes de la vie sexuelle des héros grecs. Ulysse n’est pas si fidèle à Pénélope qu’il le prétend ; Achille a un complexe d’Œdipe non résolu qui l’amène à téter le sein de ses compagnes ; Hélène a été violée dans son enfance. Finalement, Briséis tente de fuguer du camp des Grecs, mais renonce au dernier moment. « I tried to walk out of Achilles’ story – and failed. Now, my own story can begin« , conclut Briséis à la dernière page du roman. Il faudrait presque un second tome.

Bref, en matière d’actualisation de la mythologie, l’extraordinaire Brand New Ancients de Kate Tempest reste un must, et si vous voulez mon avis, ce Silence of the Girls ne sera jamais traduit en français.

Racontars du silence

Pat Barker, The Silence of the Girls, Penguin Books, 2018, 336 p., 8,99£.


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois