Les Oiseaux de passage d’Emily Barnett

Par Livresque78

Juliette s'attend, ce treize novembre, à vivre une soirée comme tant d'autres en allant rejoindre son ami Jean-Marc chez lui en vélo. Mais en chemin, elle tombe sur un véritable carnage au milieu duquel elle reconnaît Paul, un ami du lycée perdu de vue depuis vingt ans. Blessé indirectement par les attentats, elle refuse de le laisser seul, se sentant investie d'une sorte de mission à son égard. Au cours de leurs déambulations nocturnes, les fantômes du passé vont ressurgir, les faisant tour à tour sourire, pleurer ou se mettre en colère.

Les flashbacks qui constituent l'essentiel de la trame narrative font de ce texte un roman d'apprentissage. Juliette rencontre son " amie prodigieuse " et leur relation est tumultueuse : Diane est aussi sulfureuse, complexe et manipulatrice que pouvait l'être la Lila d'Elena Ferrante. Et tout aussi fascinante...

On pourrait s'interroger sur le lien fait ainsi entre le drame des attentats du Bataclan et des terrasses parisiennes et le suicide d'une jeune fille de seize ans, dramatique certes, mais moins lourd, moins national. Et pourtant...

Les amis qui se sont trouvés, aimés, disputés et perdus de vue en 1996 sont les mêmes qui, dix-neuf ans plus tard, ont perdu des connaissances, des amis ou même la vie en 2015. C'est un récit qui évoque l'amitié adolescente, l'amitié fusionnelle, décisive dans la construction de l'être et de l'identité, au point de pouvoir sauver ou détruire ces jeunes adultes. Mais elle y ajoute un constat un peu amer : au-delà de l'amusement, ces jeunes des années 1990 ont manqué d'un élément positif de cohésion, le seul leitmotiv de leur jeunesse, dit Paul, c'est la menace grandissante du Sida. Cette insouciance sans but tend à construire une solidarité éphémère, autour de l'ironie, du cynisme, de la rébellion par la prise de distance face à tout.

Une ironie et un détachement qui déclenchent la colère de Juliette à la fin du roman. A force de ne rien prendre au sérieux, personne n'a cru au danger du terrorisme, personne n'a jamais pensé risquer sa vie en se rendant à un concert ou dans un café. Une colère que, pour ma part, j'ai trouvée déchirante. Parce qu'en effet, ici, il aura fallu deux actes d'une violence extrême pour resouder l'humain, pour redonner un sens à l'amitié, au réconfort que l'on peut s'apporter les uns aux autres.

Le récit est finalement très pudique sur les attentats en eux-mêmes et je pense que c'est plutôt positif. Il est encore délicat d'écrire une fiction sur ce sujet : la cicatrice est, à mon humble avis, encore trop à vif, mais les fictions viendront. Pour illustrer l'impact de ces horreurs sur des destinées, des vies, des histoires encore à écrire...

Ce roman rappelle l'importance de la communication, de la volonté de dépasser cet aveuglement qu'on impose et qu'il est très facile d'accepter, tant dans la vie personnelle que le reste. Nous rencontrons des lambeaux d'êtres, des fragments de passés qui tentent de se reconstituer malgré le sang, la mort, omniprésents.

Le message est-il positif ou négatif ? Je l'ignore. Y a-t-il seulement un message ? Je ne saurais le dire. Mais j'ai lu ce roman en quelques heures, j'étais fascinée par les personnages, leurs relations et le lien fait entre la tragédie parisienne et la tragédie personnelle. C'est, en outre, un texte au style fluide et agréable, parsemé de notes de culture générale, que je trouve toujours plaisantes, et d'une vraie sincérité, celle qui touche le lecteur.

Vous l'aurez compris, ce roman est disponible en librairie depuis jeudi et je vous invite chaleureusement à le découvrir !