Les Mains de Louis Braille

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Les Mains de Louis Braille  Les Mains de Louis Braille

En deux mots:
La vie de Louis Braille passionne la narratrice qui décide d’en faire un film. On la suit tout au long de l’écriture du scénario et de ses découvertes avec, en parallèle, le récit de la vie de l’inventeur de l’écriture pour aveugles.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

La scénariste emportée par son sujet

Hélène Jousse résume parfaitement son premier roman en disant qu’il s’agit de l’histoire «d’une scénariste qui se met à l’écriture d’un film sur Braille et qui, en découvrant la vie de cet enfant, va voir sa propre vie transformée.»

Ce qui est formidable avec le premier roman d’Hélène Jousse, c’est qu’il nous offre plusieurs portes d’entrée, toutes aussi passionnantes les unes que les autres. Il y a d’abord celle qui nous fait découvrir Constance, la narratrice. La vie ne l’a pas épargnée puisqu’elle se retrouve désormais seule après le décès de son mari et va tenter d’apaiser sa douleur dans le travail. Une situation particulière qui va lui permettre, presque inconsciemment, de développer une sensibilité très particulière pour le sujet du film qu’elle prépare, un biopic consacré à Louis Braille, l’inventeur du système d’écriture pour aveugles qui porte aujourd’hui son nom. Et dont Thomas, le réalisateur, va profiter.
Car Constance est scénariste. En la suivant, on va pouvoir découvrir comment se construit un film, comment un scénario s’étoffe, quel travail de repérage est nécessaire et comment on tente de remplir les lacunes d’une biographie. Aurélien, jeune recherchiste, va ici s’avérer d’un précieux secours. C’est notamment lui qui va apprendre à Constance le curieux marché passé entre l’État et la commune natale de Louis Braille: son corps est au Panthéon, ses mains sont à Coupvray.
Hélène Jousse a eu la bonne idée de nous offrir un roman dans le roman. Il nous ramène au tout début du XIXe siècle, à ce jour funeste où le petit Louis s’amuse dans l’atelier de bourrelier de son père et se crève un œil avec un poinçon. Une blessure si vive qu’elle va entraîner la perte de son œil et, quelques jours plus tard, la perte de sa vue. Mais Louis est un garçon curieux, avide de savoir et à six ans, au fond de la classe, son instituteur ébahi découvre qu’il a enregistré les fondamentaux de l’arithmétique, de la grammaire, de l’histoire et de la géographie. Avec l’aide du curé, puis d’un nobliau de province, il est accepté à Paris, dans le seul établissement accueillant les jeunes aveugles. En fait, il s’agit d’un endroit insalubre où les élèves tombent comme des mouches. Mais là encore, Louis résiste aux difficiles conditions de vie et à la cruauté de l’équipe dirigeante.
Il trouve d’une part du soutien auprès de Gabriel, un collègue avec lequel il s’entend à merveille – «Les deux forment un tandem incroyablement performant. Ils se sont trouvés.» – et d’autre part auprès du concierge qui brave le règlement et sa hiérarchie pour venir en aide aux pensionnaires. Il s’arrange par exemple pour donner de l’argile à Louis lorsqu’il est mis au cachot pour qu’il puisse passer le temps en façonnant la Terre (quand on sait qu’Hélène Jousse est aussi sculptrice, on imagine le plaisir qu’elle a dû éprouver en imaginant cette scène). Mais ces petites lueurs d’espoir ne peuvent enrayer l’inexorable déclin d’une institution si mal gérée. Le miracle va se produire en 1821, avec l’arrivée d’un nouveau directeur.
Ce dernier va transformer le système éducatif en place et notamment proposer à Charles Barbier de La Serre de faire un exposé sur son système de codage par points mis au point pour l’armée.
Gabriel et Louis s’enthousiasment, mais doivent bien vite se rendre à l’évidence: «celui qui voit ne peut avoir la moindre idée de l’île noire dans laquelle ils vivent, ni des passerelles nécessaires pour rejoindre le continent des voyants.» Quelques mois plus tard le «procédé pour écrire les paroles, la musique et le plain-chant au moyen de points, à l’usage des aveugles et disposés pour eux» est créé.
Constance parviendra-t-elle à vendre son histoire? Le film Les Mains de Louis Braille verra-t-il le jour? Je vous laisse le découvrir, tout comme le destin réservé à Louis Braille à la suite de son invention. Attendez-vous à quelques surprises!

Les mains de Louis Braille
Hélène Jousse
Éditions JC Lattès
Roman
350 p., 19 €
EAN 9782709661560
Paru le 06/02/2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris, Mais aussieht à Coupvray.

Quand?
L’action se situe de nos jours. On y évoque aussi le döbut de XIXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
Veuve depuis peu, Constance, la quarantaine, auteur de théâtre à succès, se voit confier l’écriture d’un biopic sur Louis Braille par son producteur et ami Thomas. Assistée d’Aurélien, mystérieux et truculent étudiant en histoire, elle se lance à cœur perdu dans une enquête sur ce génie oublié, dont tout le monde connaît le nom mais si peu la vie.
Elle retrace les premières années de Louis Braille, au tout début du XIXe siècle, ce garçon trop vif qui perd la vue à l’âge de trois ans à la suite d’un accident. Déterminé à apprendre à lire, il intègre l’Institution royale des jeunes aveugles. Mais dans ce bâtiment austère et vétuste, où les petits pensionnaires sont élevés à la dure, nul n’entend leur enseigner la lecture. Et pour cause: il n’existe aucune méthode. Constance découvre le combat de Louis pour imaginer la lecture au bout des doigts, jusqu’à l’invention, a même pas dix-huit ans, du système qui a révolutionné depuis la vie de tous les aveugles.
Dans ce roman, hommage à ce garçon dont le génie n’avait d’égale que la modestie, Hélène Jousse entremêle les vies et les époques et explore la force de l’amour, sous toutes ses formes. Avec une question qui affleure : qu’est-ce qu’un destin, sinon une vie qui fait basculer celle des autres?

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Luchon Mag (entretien avec Hélène Jousse)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Scénario scène 1. Trois ans. Coupvray.
C’est un jour de juillet pluvieux. Un matin de l’été 1812. Depuis l’aube, les averses ont succédé aux éclaircies. Louis aime la pluie parce qu’elle réunit sa famille. Quand il pleut, sa mère renonce à aller au champ et reste à l’abri avec lui et sa sœur aînée. Parfois, son père aussi cède à l’attrait de cette intimité tendre et chaude, au cœur de sa maison. Il abandonne son atelier et les rejoint autour de la cheminée, tel l’avare s’assurant que son trésor n’a pas disparu.
Depuis le jour où sa mère, impérieuse et joueuse, a fait arrêter la diligence de Meaux en pleine campagne pour qu’il puisse écouter les gouttes d’eau s’écraser sur le plafond entoilé de la calèche, Louis raffole du bruit de la pluie. Toute sa vie, il continuera à l’aimer. Sa bonne nature ne connaît pas la rancune.
Mais aujourd’hui, malgré l’orage, sa mère n’est pas là, contrairement à son habitude. Obligée d’aller vendre ses légumes au marché, elle n’a pas voulu qu’il l’accompagne, de peur qu’il ne prenne froid. Elle l’a laissé sous la surveillance de son mari, dans l’atelier où l’enfant adore fureter.
Louis aime se lever très tôt et prendre une longueur d’avance sur le jour naissant, sur ses parents et sa sœur qui sommeillent encore. Il fouine. Les objets et leur mystérieux ballet l’intriguent. Les choses lui en apprennent beaucoup sur les gens. Tout semble lui dire quelque chose. Alors, dans son petit monde de tout petit enfant, il ne néglige rien, et tout devient grand.

M. Braille termine de coudre un harnais pour le notaire, qui ne va pas tarder à lui amener son cheval. On le dit consciencieux et habile, et les gens viennent de loin pour le faire travailler, lui, et pas un autre. Louis le voit. Il en est fier. Le bourrelier aime son métier qui mobilise ses mains mais aussi, dans la conscience que nécessite chaque geste, le meilleur de son esprit.
Le petit garçon reste là, à regarder son père au travail. Ce ne sont pas les gestes d’un artisan adroit qu’il voit mais une danse toujours nouvelle et chaque fois aussi distrayante. Le visage à hauteur d’établi, Louis observe les mains de son père s’envoler, se refermer sur un outil, puis se reposer sur le cuir tendre. Ses deux bras merveilleusement articulés se plient et se déplient en rythme pour affûter, couper, piquer, tordre, étirer, lustrer. Le buste, léger et vif, s’ajuste avec souplesse, accompagnant chaque geste. Louis contemple ce beau géant en branle au-dessus de lui.
L’enfant regarde fasciné le corps solide de son père, comme un monde en soi. Il y voit une splendide mécanique capable de reconstruire, s’il le fallait, la grande mécanique qui l’entoure. Louis, âgé de trois ans – trois ans et demi, précise-t-il –, a le regard dilaté par l’admiration qu’il ressent pour ce puissant humain qui, non seulement existe, mais par bonheur l’aime, lui, si petit. Alors, il se dit que ça n’est pas rien ce qu’il est, puisque le colosse se penche si bas et si souvent vers lui. Et cela le rend heureux, simplement et profondément heureux d’avoir le droit d’être là.
Ils ont passé la matinée ensemble dans l’atelier, – un de ces moments de l’enfance où le temps semble s’étirer, où la félicité de l’instant contamine l’instant d’après, où le bonheur nous laisse croire qu’il ne se sauvera jamais.
M. Braille quitte un instant son établi pour fixer le harnais à l’encolure du cheval de son client qui l’attend dehors, déjà trempé. Louis se retrouve seul. Seul au monde dans le monde de son père qu’il croit être déjà le sien. Après avoir longuement promené son regard autour de lui, il commence à toucher les objets de cuir fabriqués par son père. Puis les objets qui fabriquent les objets, ses précieux outils, prolongements de la main paternelle. Et puis, il se prend pour son père… Comment faire autrement ?
Debout, hissé sur le tabouret tournant, il saisit d’une main un morceau de cuir, et de l’autre le poinçon de métal que maniait l’artisan. Il va aider son papa, continuer son travail. Et il sera fier de lui. Louis entend sa voix grave dans la cour. Rassuré, il décide d’imiter le mouvement qu’il a vu faire tant de fois. Miracle, l’outil lui obéit. Il s’aperçoit qu’il reproduit sans mal le geste du bourrelier. Alors il recommence. Il en est stupéfait. Comme si sa main savait déjà. Il regarde le morceau de cuir poinçonné. Il pousse un soupir de satisfaction, se relâche, et, à cette seconde précise, le tabouret vrille et emporte son corps. Dans sa chute, la pointe qu’il serre encore dans sa main se plante dans son œil. Un hurlement déchire l’espace qui le sépare de son père. La minute suivante, Simon est là, tenant dans ses bras un petit garçon inanimé, le visage en sang. Cet enfant est le sien. Cette minute de trop, Simon ne se la pardonnera jamais. Elle va pourtant faire de la vie de son fils un destin. Qu’est-ce qu’un destin, sinon une vie qui fait basculer celle des autres? »

Extraits
« Carnet rouge de Constance
Thomas, c’est lui qui a tout déclenché. Il a toujours taillé dans le réel comme on taille dans un bloc de marbre. Jamais un coup de ciseau hésitant.
J’avais rendez-vous avec lui le lendemain de ma visite au Panthéon pour discuter de l’achat des droits de ma dernière pièce, qu’il voulait adapter au cinéma. Et là, sans doute pour parler d’autre chose que de boulot, je lui ai raconté Louis Braille, l’accident, l’infection, l’enfant inventeur, la tombe gravée en braille, la vieille dame et sa main tendre sur mon épaule, et tout ce que je sais et aime déjà de Louis. J’en avais les larmes aux yeux. Cet enfant génial me touche davantage que je ne l’aurais cru. Thomas m’a écoutée sans un mot, bouche bée, puis m’a posé quelques questions précises et inattendues, comme il en a le don.
Après notre déjeuner, Thomas m’a invitée à le suivre dans son bureau. Il est soudain devenu grave et m’a parlé comme si je n’avais pas le choix. Ne pas décider convenait tout à fait à ce moment vertigineux de ma vie. Ne rien vouloir. Que l’on veuille pour moi. J’étais prête à accepter n’importe quelle proposition décente qui me maintienne dans le courant de la vie. Par chance, ç’a été celle-ci. « Constance, faites-moi un scénario de la vie de Braille », m’a-t-il demandé comme s’il m’avait dit « Faites-moi un enfant ». Il a continué, pragmatique : « J’aurai des financements si le film est prêt pour le festival de Cannes. Il va falloir faire vite. Vous avez deux mois, Constance. C’est une vraie course contre la montre. C’est vous et personne d’autre que je veux. »

« Je ne parviens plus à écrire. Cela m’est déjà arrivé, mais cela ne m’inquiète pas toujours autant. J’y suis depuis un mois. Je suis partie bille en tête. J’ai d’abord lu tout ce que je pouvais, pas grand-chose finalement, car peu de gens se sont penchés sur son destin. Je ne me l’explique pas. Quelques-uns de ses contemporains ont parlé de Louis dans des notes biographiques: Pignier, Coltat, Roblin sont de ceux-là. Gabriel, son fidèle ami, n’en a pas eu le temps car il a suivi Louis dans la mort et pour la même raison. Ces récits nourrissent le précieux ouvrage de Pierre Henri écrit dans les années 1950 avec un soin méticuleux et un respect scrupuleux de la vérité. Depuis, un Américain C. Michael Mellor a rassemblé lettres et documents pour retracer, au plus juste, la vie de Louis. J’ai pris des notes sur les notes, j’ai gribouillé des carnets, j’ai tracé des croquis, l’ai dessiné le plan de l’Institut, j’ai résumé, j’ai extrapolé, j’ai composé des scènes, j’ai écrit un synopsis pour les mettre dans l’ordre. Puis cet ordre m’a déplu. Je l’ai reconstruit autrement et encore autrement. »

« Les Mains de Louis Braille, voilà Aurélien le titre du film, et la pierre d’angle de notre récit! Tout repose sur les mains de Louis, ce sont des mains qui voient, ce furent les premières mains à lire, c’est un morceau de corps glorieux qu’on s’arrache, c’est la nuit qu’on traverse. Elles ne lui appartiennent plus dès lors qu’elles deviennent un symbole.» Je ne m’arrêtais plus. J’étais enflammée. «Les mains de Louis Braille ne sont pas des mains, elles sont la prunelle des yeux du monde aveugle!» J’exultais. Moi aussi je me les appropriais, d’emblée, d’instinct. »

« Je venais de plonger dans un autre monde, de comprendre ce qui depuis deux ans me faisait défaut: je n‘étais pas aveugle. Pour avoir accès au braille, il faut ne pas voir. Voir empêche de lire du bout des doigts. Le code inventé par Louis est génial car il fait de la pulpe du doigt une tête de lecture. D’abord lente, elle gagne en vitesse après des mois d’apprentissage pour finir par avoir la vitesse d‘un œil qui parcourt une ligne. Le professeur aveugle m’avait ouvert les yeux sur cette évidence. C’est en me les fermant qu’il y était parvenu. »

À propos de l’auteur
Hélène Jousse est sculptrice. Elle enseigne son art aux autres, et en particulier aux enfants. Il y a trois ans, un jeune homme aveugle depuis quelques mois est venu lui demander de l’aider à sculpter. Pour elle, un monde s’est ouvert. Les Mains de Louis Braille est son premier roman. Elle vit à Paris (6e). (Source : Éditions JC Lattès)

Site Internet de l’auteur 

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