Matador Yankee

Matador Yankee

Matador Yankee  Matador Yankee
Sélectionné pour le « Prix Orange du livre 2019 »

En deux mots:
Harper grimpe dans un bus brinqueballant, direction un village mexicain où il doit se produire pour la fête annuelle. Il a dû remballer ses rêves de gloire et de vedette hollywoodienne pour des prétentions alimentaires. Le road-movie du toréador américain est aussi la chronique d’un âge d’or disparu.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Mister Gringo Torero

C’est bien hors des sentiers battus que nous entraîne Jean-Baptiste Maudet dans son premier roman. «Matador Yankee» raconte le périple d’un torero américain entre Mexique et États-Unis, entre habit de lumière et misère noire.

L’histoire ne le dit pas, mais ils ne doivent pas être très nombreux les Américains toréadors. Harper est l’un des derniers représentants de cette profession qui ne nourrit plus vraiment son homme. Aujourd’hui, il rend dans un petit village mexicain où la fête annuelle ne saurait se passer sans un spectacle dans les arènes.
Dans un bus brinqueballant et le long de routes poussiéreuses, il a le temps de réfléchir à ses rêves de gloire, au souvenir des heures de gloire qui drainaient le tout Hollywood de ce côté de la frontière. «Son père avait connu Orson Welles, Rita Hayworth, Ava Gardner, Frank Sinatra et collectionnait les photos des vedettes qui aimaient se montraient aux arènes en compagnie des grands toréros de l’époque.»
Aujourd’hui quelques retraités nostalgiques, «obèses ou rabougris», viennent grossier les rangs des autochtones pour des corridas la confrontant à des vaches fatiguées plutôt qu’à des taureaux aux naseaux rageurs et lui rapportant à peine de quoi faire bouillir sa marmite. «Cette situation n’était pas inconfortable, elle permettait de ménager de grands moments d’indifférence au monde et de liberté, sans qu’aucun fil ne le rattache à une autre existence.»
À moins qu’il ne se berce d’illusions, car la vie ne l’a pas ménagé, comme en témoigne les cicatrices sur tout son corps. Frôlé par la mort à plusieurs reprises, il ressemble à ses cow-boys qui ont fait la gloire d’Hollywood. Sa gueule de malfrat en fait le candidat idéal pour une mission risquée, retrouver la fille du maire du village du côté de Tijuana, essayant de grappiller quelques dollars pour rembourser une dette de jeu.
Jean-Baptiste Maudet fait appel à tous les ingrédients du road-trip pour construire sa chronique d’un monde en voie de disparition. La pègre, les dettes d’honneur, le sang et la mort, un trésor de guerre et, bien entendu, la femme qu’il faut essayer d’extirper d’une spirale infernale. Il y a du Thelma et Louise dans la virée de Harper et Magdalena, mais il y a aussi l’émergence d’un monde plus dur, plus violent. Au bout de la route, le géographe qu’est Jean-Baptiste Maudet nous aura dépeint le paysage d’une autre Amérique, celle de Trump qui fait la chasse à toutes sortes de marginaux et dans laquelle un Gringo Torero n’a quasi aucune chance de survivre.

Matador Yankee
Jean-Baptiste Maudet
Éditions Le Passage
Roman
192 p., 18 €
EAN 9782847424072
Paru le 10/01/2019

Où?
Le roman se déroule aux États-Unis et au Mexique, en Californie, à Los Angeles, San Diego, à Tijuana, Ciudad Juárez, Hermosillo, Cerocachi

Quand?
L’action se situe des années 60 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Harper aurait pu avoir une autre vie. Il a grandi à la frontière, entre deux mondes. Il n’est pas tout à fait un torero raté. Il n’est pas complètement cowboy. Il n’a jamais vraiment gagné gros, et il n’est peut-être pas non plus le fils de Robert Redford. Il aurait pu aussi ne pas accepter d’y aller, là-bas, chez les fous, dans les montagnes de la Sierra Madre, combattre des vaches qui ressemblent aux paysans qui les élèvent. Et tout ça, pour une dette de jeu.
Maintenant, il n’a plus le choix. Harper doit retrouver Magdalena, la fille du maire du village, perdue dans les bas-fonds de Tijuana. Et il ira jusqu’au bout. Parfois, se dit-il, mieux vaut se laisser glisser dans l’espace sans aucun contrôle sur le monde alentour…
Alors les arènes brûlent. Les pick-up s’épuisent sur la route. Et l’or californien ressurgit de la boue.
Avec Matador Yankee, sur les traces de son héros John Harper, Jean-Baptiste Maudet entraîne le lecteur dans un road trip aux odeurs enivrantes, aux couleurs saturées, où les fantômes de l’histoire et du cinéma se confondent. Les vertèbres de l’Amérique craquent sans se désarticuler.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
Blog Domi C Lire 
Blog Charlie et ses drôles de livres
Blog Le jardin de Natiora


Jean-Baptiste Maudet présente Matador yankee © Production Librairie Mollat

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« 1. Un serpent brodé
Son sac pesait sept kilos en comptant son épée. Harper s’essuya les pieds avant de monter dans le bus. Tout le monde ne le faisait pas. Le conducteur incurva sa bouche de poisson, admettant qu’il avait des manières. Harper s’installa contre la fenêtre, en exposant côté couloir la cicatrice qui lézardait son cou. Ça permettait de ne pas dire un mot à son voisin sur des centaines de kilomètres. Il regardait les gens avancer dans le couloir. Celui-ci allait ronfler, celui-là allait manger des chips, la gamine ferait du bruit avec sa paille plantée dans son soda ou tirerait dans la nuit sur les plumes des poules. Une vieille femme qui debout n’était pas plus haute que les rangées de sièges finit par s’asseoir à côté de lui, une Indienne. Elle sentait le beurre frais et l’herbe d’altitude. Ils passeraient la nuit l’un à côté de l’autre comme beaucoup de gens sur terre, sans rien se dire ou presque, mais pas tout à fait seuls. Cette femme s’était présentée, Ana, sans doute pour montrer qu’elle était bien là malgré son âge. Elle abaissa l’accoudoir en demandant la permission et y laissa retomber son avant-bras. Il convenait de respecter les frontières. Ana le regarderait dans la nuit et penserait, elle aussi, à quel point il était étrange de dormir à côté d’un étranger. Harper n’aimait pas dormir, il ne trouvait pas facilement le sommeil, mais les fenêtres des bus et leur défilement d’images l’apaisaient bien davantage que la voix d’une mère. On était parfois contraint de se laisser porter dans l’espace sans aucune prise sur le monde alentour. Ana regarda la cicatrice de cet homme pour l’apprivoiser, c’était mieux que de s’en empêcher. Cette peau rapiécée était bien vivante et continuait, à sa manière, à renouveler ses cellules.
La ville de Hermosillo brillait dans le soir, les néons colorés, les lumières aux fenêtres, les écrans des télévisions qui papillotaient, les rivières de phares sillonnant les banlieues, puis l’obscurité tombante qui recentrait peu à peu la vie intérieure des passagers sur le miroir des vitres. Le bus prenait de la hauteur sur la ville pour bientôt ne plus laisser pâlir qu’un rougeoiement lointain déjà percé par des étoiles. Le bus grimpait, se retournait sur lui-même à chaque virage pour s’enfoncer dans les montagnes. Il n’y avait plus de place mais des familles entières continuaient à monter dans la nuit et s’entassaient avec leurs bagages qui leur servaient de couche. Ana s’était endormie et murmurait dans son sommeil. Chacun se réveillait, regardait la lune, chacun pensait à sa vie, mobile et immobile. Un homme dessinait avec son doigt un trou plus sombre sur la condensation des vitres, duquel ruisselait un filet d’eau fragile. Le fleuve grossissait dès qu’il croisait des gouttes. Dehors tout était noir, on apercevait parfois la blancheur d’un sommet, on s’y accrochait aussi longtemps que possible et rien ne prévenait de sa disparition soudaine, masqué par un autre relief, noir à nouveau, puis scintillant plus loin, sans que l’on sache s’il s’agissait du même ou d’un autre ou si les yeux s’étaient fermés sur les taches d’un rêve.
À l’aube, des montagnes plus hautes encore dépassaient de la brume. Des arbres en retenaient des bribes et des chaos de roche nue venaient crouler jusqu’à la route. Le bus roulait vite à présent, soulevant la poussière, comme sorti de la nuit miraculeuse. Les passagers se réveillaient dans l’odeur de sueur et de volailles. La lumière du matin était pâle et la vitesse estompait la broussaille des bas-côtés. À la sortie d’une longue courbe, le bus freina en projetant une pluie de graviers de part et d’autre de la chaussée. Le conducteur secoua la cloche. Une vierge métisse servait de battant.
– Cerocachi, Cerocaaaaaachi.
Le conducteur en saisit la robe pour étouffer le son et coupa le moteur. De l’autre côté de la route se tenait un homme appuyé contre une jeep militaire. Il portait un costume clair, des lunettes de soleil et lustrait ses bottes derrière ses mollets. Il tenait une pancarte pour ne pas rater Mr. Gringo Torero, écrit en lettres majuscules. Il semblait apprécier la plaisanterie. Des familles se hâtèrent à l’extérieur du bus, chargées de cages et de sacs tressés. Elles finiraient à pied par des sentiers que personne ne voyait. Ana se leva pour laisser passer son voisin et lui indiqua d’un mouvement de tête qu’elle continuait la route, des heures encore à contourner des ravins jusqu’au prochain col. Elle se gratta le cou en le dévisageant. L’homme qui attendait Harper écarquillait les yeux et pointait la pancarte avec son doigt tendu.
– Mister, je vois que vous avez fait bon voyage, toujours un peu de retard. Il vaut mieux ça que les précipices. Vous avez vu ? Vertigineux. Vous avez soif ? Vous avez faim ? Les deux peut-être ?
La luminosité était plus forte que derrière les vitres teintées du bus et l’air était plus sec. L’altitude et le bourdonnement du moteur avaient bouché les oreilles de l’Américain. Les deux hommes se tenaient l’un en face de l’autre et le bus avait déjà repris sa route. À quelle question convenait-il de répondre en premier ? À aucune.
– Bon, vous avez l’air en forme en tout cas, c’est important ça. Il y a un changement de programme, je vais vous expliquer en chemin, allons-y, ne perdons pas de temps.
Le mot programme sonnait faux et n’était pas prononcé comme un mot de tous les jours. Mister Gringo Torero préféra rester silencieux. Tant qu’il ne parlait pas, rien de tout ce qui existait autour de lui n’avait de consistance et le parfum d’Ana devenu étrangement familier continuait de l’accompagner. Il monta dans la jeep de son chauffeur particulier aucunement perturbé par le silence de l’Américain. L’homme au volant pensait peut-être lui aussi que ne rien dire avait du bon et le barouf de la jeep qui filait sur la piste permettait de s’en contenter. Les programmes étaient faits pour changer. On n’allait pas lui annoncer le branchement de l’eau courante ni l’inauguration d’une autoroute. Profitant d’un tronçon moins défoncé et regardant dans le rétroviseur comme s’ils pouvaient être suivis, le chauffeur finit par prendre les devants.
– Vous verrez, rien d’embêtant. Simplement, il n’y aura que vous à l’affiche demain, car les autres ont eu un empêchement. Ils n’ont pas pu franchir le col, sûrement à cause des éboulements sur la route, ou pire. Les gens tombent souvent dans les ravins par ici. Rassurez-vous, ce ne sont pas toujours les mêmes.
L’homme était content de son astuce. Il la répéta à voix basse pour s’assurer qu’elle faisait rire et reprit sur le même ton.
– Une année, nous sommes restés sans personne. Ils étaient tombés, tous les passagers du bus, écrabouillés dans cette boîte en fer, un roulé-boulé jusqu’à la rivière, trente-cinq morts.
Il marqua un temps d’arrêt.
– Non, je plaisante, simplement du retard, une crevaison, deux jours de retard et pas moyen de prévenir qui que ce soit. Alors on a décalé la fête. Exceptionnellement, on s’arrange.
La piste redevenait chaotique, les ravinements plus profonds, et rien ne semblait désormais freiner le flot des mots.
– Du coup, vous n’aurez qu’un seul taureau, on vous a gardé le plus gros et quelques vaches. Mais ne vous inquiétez pas, il y a probablement des gens au village qui seront prêts à vous aider d’une manière ou d’une autre. Et le maire va tout faire pour vous mettre à l’aise. Le maire, c’est mon frère, Don Armando. Et s’il y a un problème, je suis là, je suis médecin et chirurgien.
L’Américain préférait pour l’instant ne rien relever et ne comprenait pas comment son chauffeur, quelles que soient ses qualifications, parvenait à conduire le corps de profil, ne quittant pas des yeux son passager.
– On ne connaît pas votre nom. Comment vous appelez-vous ? Gringo Torero, c’est mon idée. On l’a écrit sur les affiches. Il faut prendre les choses avec le sourire ici, sinon vous allez mourir d’ennui. C’est important que vous ayez un nom, comme ça les gens pourront vous soutenir ou vous insulter, vous comprenez ?
– Je m’appelle Juan. Mais mon nom de torero, c’est Harper. Pour les précipices, j’ai voyagé de nuit, je n’ai pas vu grand chose.
– Juan, soyez le bienvenu. Moi c’est Miguel. J’ai un fils qui s’appelle Juan, comme vous. Et un autre qui s’appelle Miguel, comme moi. C’est amusant non ? Juan, c’est le petit. Ils vivent à Hermosillo maintenant, avec leur mère. Ne croyez pas tout ce que les gens du village vous disent. Ils sont particuliers, c’est la montagne.
– Je connais un peu la région.
– On a modifié les affiches pour signaler qu’il ne restait plus que vous. Les villageois sont déçus, c’est toujours plus amusant quand vous êtes plusieurs à vous tirer la bourre. Ne vous attendez pas à des merveilles, les gens sont pauvres ici, mais ils ont besoin de vous. Personne ne vient jamais nous rendre visite, il y a toujours une excuse, toujours un truc qui va de travers.
Tout en bloquant le volant entre ses cuisses, Miguel lui tendit une carte de visite plastifiée et tapota sur sa photo en souriant.
– Docteur Miguel. C’est moi, vous voyez ? Je n’avais pas la moustache à l’époque et puis un jour, je me suis dit, tiens, ça pourrait bien m’aller la moustache à moi aussi. Alors je l’ai laissée pousser. Ça me change. Maintenant on me connaît avec la moustache. Juan, ce n’est pas vraiment un prénom américain ?
– Ça peut arriver.
Le docteur se mit à rire, la moustache à l’horizontale. On aurait dit que de petites larmes lui montaient aux yeux, le début d’un spasme qui pouvait tout emporter.
– On m’appelle aussi John, John Harper. Ça dépend qui, ça dépend où.
– John ! Ah c’est bien John, ça va leur plaire, John Wayne, John Travolta, John Rambo. Ça ne fait pas très torero mais ça va leur plaire. Vous savez que John Rambo, à y réfléchir, ce n’est pas un violent. On le voit bien au début du film, il ne cherche pas les ennuis, il marche le long d’une route, c’est tout. C’est la société qui fait de lui un sauvage.
Miguel fit un écart avec la voiture, probablement pour contourner une mine ou éviter un tir de roquette, puis il dérapa avec le frein à main, à hauteur d’un talus.
– On s’arrête là. Laissez-moi porter votre sac. On va finir à pied. On a pensé vous installer à la mairie. Il y a une chambre pour les gens de passage. Vous y serez tranquille, vous dormirez bien, mieux qu’en ville, vous verrez. C’est important de bien dormir, l’altitude ça coupe les jambes et vous en aurez besoin.
Encore ces petites larmes menaçant l’équilibre du monde. Cet ultime conseil médical finit de rassurer Harper sur les compétences du docteur. Il refusa de lui laisser porter son sac, mais il accepta tout le reste qui avait l’air sensé. Au-delà du talus, ils marchèrent encore vingt minutes jusqu’au village, annoncé par des champs désordonnés de courges, de maïs et de haricots. Dans une cuvette, une place centrale divisait quelques maisons d’adobe autour desquelles, de collines boisées en collines sèches, dépassaient d’autres toits. La mairie était la maison du maire et le mot mairie était peint en ocre sur le mur sombre. Un agave extravagant dépassait du balcon et pointait des piquants hostiles vers le mur de l’église. Ils entrèrent dans la mairie par l’arrière, où un escalier montait jusqu’au premier étage. »

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Maudet est géographe. Il enseigne à l’université de Pau.  En 2019, il publie Matador Yankee, son premier roman. (Source : Éditions Le Passage)

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