Grands carnivores

Grands carnivores

Grands carnivores

Sélectionné pour le « Prix Orange du livre 2019 »

En deux mots:
Ils sont frères, mais tout les oppose. L’un vient d’être nommé directeur d’une grande entreprise, l’autre est peintre. Et quand le cirque s’installe en ville, l’un y voit une source de trouble, l’autre un moment de réjouissance. Alors quand la rumeur court que les cages des fautes ont été ouvertes…

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Les frères ennemis

C’est sous la forme du conte que Bertrand Belin nous revient. Il imagine que les cages des «Grands carnivores» ont été ouvertes et que les animaux du cirque errent en ville…

Les deux frères pourraient s’appeler Caïn et Abel, mais dans le conte imaginé par Bertrand Belin, ils n’ont pas de nom. On comprend toutefois que tout les oppose. Dans ce petit Empire, qui n’est pas situé non plus, le premier occupe une position privilégiée. Il vient d’être promu nouveau directeur des entreprises de boulons et autres fabrications métalliques du même genre. Très vite, l’auteur va le parer de toutes les plumes du paon: patriarche, notable, arriviste, «asservisseur patenté», serviteur de l’ordre et de la discipline et haïssant par conséquent les «parasites» dont fait partie son «barbouilleur» de frère.
On l’aura compris, le second est artiste-peintre. De joyeuse nature, se souciant peu du lendemain et préférant l’amour à la discipline, la fête à la rigueur, il se réjouit de l’arrivée d’un cirque en ville.
Mais le spectacle n’est pas celui qui est au programme des saltimbanques. L’information qui court dans la ville est que les cages du cirque ont été ouvertes et que les animaux se sont enfuis. Les grands carnivores erreraient en liberté dans les rues.
Face au danger, le premier réflexe est de rester sagement chez soi. Mais très vite la curiosité devient la plus forte. Chacun a envie de savoir comment et qui viendra à bout de ces bêtes.
Le directeur entend s’appuyer sur la peur pour faire régner l’ordre, édicter des lois sévères, interdire tous les fauteurs de troubles. Il n’est pas besoin de regarder bien loin pour trouver des correspondances avec l’actualité, y compris dans les dérapages verbaux. À moins que les outrances ne finissent par se retourner contre ceux qui les profèrent… Car à y regarder de plus près, il semble bien que les grands carnivores ne soient pas seulement en voie de disparition, mais qu’ils aient bel et bien disparu.
Bertrand Belin joue avec subtilité sur la dichotomie, celle des frères ennemis, celles de ces animaux aussi menaçants que menacés pour nous offrir une jolie réflexion politique baignant dans un climat très troublé.

Grands carnivores
Bertrand Belin
Éditions P.O.L
Roman
176 p., 16 €
EAN 9782818046739
Paru le 03/01/2019

Ce qu’en dit l’éditeur
Lui est récemment promu à la tête des entreprises familiales, personnage sinistre et cynique, jaloux de son frère peintre, cultive l’art de soumettre et de se soumettre, de servir l’Empire et ses valeurs. Il n’a d’autre ambition que la restauration de ce qu’il appelle « la grandeur du pays » quand son frère rêveur fait l’artiste, aime, désire. Cultive ainsi de vaines activités, néfastes à l’ordre général. La joie de l’un éveille l’irritation voire la détestation de l’autre. De cette faille entre les deux frères naît inévitablement un déséquilibre, et beaucoup d’imprévu. Surtout si un cirque s’installe en ville…
La population apprend qu’un groupe de fauves s’est échappé durant la nuit. Introuvables, les bêtes sont au centre de toutes les conversations et objet de toutes les craintes. Les habitants seront entièrement tournés vers la défense et la préservation de leur intégrité individuelle, leur attention exclusivement dirigée vers ce danger inédit. Le climat de terreur où les fauves ont plongé la population, constitue l’occasion formidable de l’apparition d’un discours jusque-là souterrain.
Bertrand Belin réussit une étrange fable romanesque, dans un contexte imaginaire, à une époque à la fois lointaine et très proche de la nôtre. Cette situation de crise présente beaucoup d’analogies avec le climat auquel sont soumises aujourd’hui comme hier les populations, climat où la peur, amplifiée par les discours politiques opportunistes, tient lieu de carburant à l’Histoire. Bertrand Belin dépeint un monde dominé par la peur de l’autre et la cruauté, les soupçons, et qui soudain bascule dans un rêve éveillé. L’inquiétude se propage avec la rumeur. Qui a peur, à présent, d’être dévoré? Et par qui?

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Libération (Sabrina Champenois)
En attendant Nadeau (Jeanne Bacharach)
L’Obs (Sophie Delassein)
Charybde 27 : le blog 
Lelitteraire.com (Jean-Paul Gavard-Perret)


Bertrand Belin lit un passage de Grands carnivores © Production Jean-Paul Hirsch

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Il a des responsabilités. Il est le récemment promu. Il devra garantir la bonne marche des entreprises cependant que son frère empilera des croûtes. Lui seul prendra sa part des efforts qu’un citoyen reconnaissant doit à l’Empire. Ce n’est encore que le début mais sa réputation va grandissant. On le reconnaît à l’opéra, par exemple. À l’opéra, ce soir, tu as vu? j’ai vu. L’opéra où il admet qu’il est indispensable de se rendre quelques fois dans l’année, à l’occasion des premières, bien qu’il ne soit pas allé jusqu’à se rendre compte que les décibels et les gesticulations qu’il doit y supporter entretiennent un quelconque rapport avec le monde des arts qu’il a quoi qu’il en soit à cœur de cordialement mépriser. Il ne décèle, il va de soi, dans les tableaux « sinistres et déséquilibrés » de son frère, pas autre chose que de vagues traces laissées par l’agitation d’un de ses membres supérieurs, preuves en couleur assurant que du temps précieux a bien été gaspillé, ces merveilles n’étant à ses yeux que fatras de tentatives risibles et ridicules espoirs attendant dans une soupente le tribunal des flammes. Lui construit tandis que son frère pille. Il ensemence quand l’autre dilapide. Il lustre leur nom cependant que son frère le souille. Un tel frère ne peut lui être d’aucune utilité décidément, pense-t-il. Sa clique, ses frasques, sa mise, tout le navre. Le navre et lui nuit. Nuit à sa respectabilité, se dit-il. Avec tous ceux qui pourraient aujourd’hui ou demain mettre de l’huile dans la mécanique de l’ascension à laquelle il se considère promis, le récemment promu sait se montrer bon et daigne même faire preuve de patience et d’intérêt. Des autres, sachant en épargner quelques-uns aux moments opportuns, il ne pense qu’à se faire craindre. Les mouvements de son humeur, la façon qu’ils ont de lui comprimer puis de lui dilater la poche à venin, l’imprévisibilité de ses morsures, horripilent et navrent mais il y a toujours un délégué ou un décideur de seconde catégorie pour se compromettre en génuflexion devant ses plus mesquines toquades d’asservisseur patenté. Il y en a pour le craindre et le révérer, d’autres pour s’en méfier seulement et qui le méprisent. Ces derniers méprisent d’ailleurs autant les premiers, écœurés des comportements dégradants qu’ils adoptent dans le feu toujours nourri des humiliations servies par le récemment promu. Objets de sa méticuleuse cruauté, moqués, au rang de risée, ces subalternes par nature, comme les qualifierait le récemment promu, n’en sont pas moins fiers d’avoir été à leur tour, serait-ce un instant, au centre de son attention recherchée et ne trouvent pas mieux à faire que de s’en trouver flattés, certains ne renonçant pas à déclarer, allons-y, qu’ils l’aiment bien. Cela a pour conséquence, suivant un principe hélas déjà fort bien connu, que ceux qui ne comptaient pas parmi les admirateurs du récemment promu finissent par en vouloir davantage à ses victimes qu’à sa majesté elle-même, à laquelle ils reconnaissent, après tout il faut le lui concéder, un certain talent dans l’art de soumettre utilement et sans l’inquiéter la corolle de subordonnés qui l’orne. L’art de soumettre… qualité dont le cœur le plus pur, l’âme la mieux mise, est capable de reconnaître les avantages, parfois, au cours de son chemin d’honneur et de bonté. Certains, donc, l’aiment en l’aimant, les autres en ne l’aimant pas. »

Extrait
« Ce qu’il faut à l’Empire unifié, c’est un homme providentiel. C’est ce que pense le fondateur d’âge avancé, c’est aussi ce que pense le récemment promu nouveau directeur, et c’est ce que pense son épouse. C’est exactement ce que pense la gouvernante et c’est l’opinion du fumeur de harengs, celle aussi d’une partie des clients de la Brasserie Centrale et de son propriétaire. Un homme sous le règne duquel aucun lion ne se serait par exemple échappé d’un cirque pour la raison évidente qu’aucun cirque ne saurait être toléré dans l’Empire. » p. 158-159

À propos de l’auteur
Bertrand Belin est musicien, auteur et compositeur. Né à Auray en 1970, il arrive à Paris en 1989. Depuis de nombreuses années, parallèlement à une carrière de chanteur, il travaille avec le théâtre, la danse et le cinéma. (Source : Éditions P.O.L)

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