Mes nuits apaches

Mes nuits apaches

Mes nuits apaches

Sélectionné pour le « Prix Orange du livre 2019 »

En deux mots:
Un peu perdu dans son village de l’Ariège, Jonas apprend à se défouler en tapant fort sur la batterie offerte par son frère. Dès lors, il sait que la musique, que le rock, vont l’accompagner durant toute sa vie et n’hésite pas à partir pour Paris, quitte à laisser derrière lui son ami Henri et la belle Barbara.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Sauvé par le rock

Plus qu’un livre sur le rock, davantage qu’une riche playlist, au-delà des illustrations de Marc Topolino «Mes nuits apaches» est un formidable roman d’initiation. N’hésitez pas à suivre Jonas!

Commençons par dire deux mots de l’objet. Ce livre fait partie de la collection «Les Passe-Murailles» dirigée par Emmanuelle Dugain-Delacomptée qui entend «revisiter les mondes immuables des classiques littéraires, entrer dans des tableaux qui s’animeraient soudain, débattre avec des philosophes disparus, s’égarer dans des films ou séries que rien ne destinait à se rencontrer, ou bien simplement évoquer l’influence de ces œuvres sur nos vies». À la fois par le sujet proposé, la découverte et l’influence de la musique rock et les illustrations de Marc Topolino qui parsèment le récit, l’objectif est atteint.
On prend beaucoup de plaisir à suivre le parcours de Jonas, même si son enfance et son adolescence n’ont pas été des plus joyeuses. Après avoir perdu son père – celui qui emmenait la famille Espagne sur l’air de Machucambos – et sa grand-mère, il voit son grand-frère quitter le domicile familial pour ses études et se retrouve seul avec sa mère. «Elle me trouvait malheureux alors que je n’étais que le reflet de son propre malheur.»
Dans cette ambiance lourde ce n’est pas le psy roumain auquel il va rendre visite qui lui sera d’un quelconque secours, mais Henri et Barbara. Encore, c’est le copain d’enfance, celui avec lequel il joue au foot. «Nos solitudes s’étaient prises en affection». Barbara, c’était autre chose. C’était le visage de l’amour, le fantasme absolu.
En attendant un hypothétique premier baiser, la vie de Jonas va changer lorsque son frère, de retour pour Noël, va lui offrir une batterie sur laquelle il va pouvoir lâcher toute sa colère. «À présent, j’étais armé. Il ne pouvait plus rien m’arriver. Le rock avait déboulé dans ma vie.»
Un vent de liberté souffle alors, qui le transforme du tout au tout. Ses fringues, sa dégaine et même ses rêves changent à mesure qu’il découvre cet univers musical. Il n’hésite pas à monter dans la camionnette des trois filles qui vont donner un concert à quelques kilomètres de là et s’improvise batteur de la blonde, la rousse et la brune.
À 17 ans, il lâche tout pour s’installer à Paris et pour, peut-être, oublier Barbara.
Il écume les concerts, sort avec Betty, oublie ses études en chemin. Il n’aura pas Lisa, mais décrochera finalement son bac au rattrapage. Il n’envisage son avenir que dans la musique, mais s’inscrit en fac d’anglais pour rassurer sa mère. Avant de devancer l’appel pour se débarrasser au plus vite du service militaire et oublier son ancienne vie. «Je prenais l’armée pour une sorte de machine à laver».
Mais c’est à La Réunion, sur «des effluves d’épices, de gingembre, de curcuma, de curry» qu’il va trouver sa voie. En entendant Kenyan et sa voix qui «venait vous attraper par le col et ne vous lâchait plus». La suite – et la fin – du livre va se jouer un registre d’intenses émotions, avec quelques surprises et, en complément d’une riche playlist, une bibliographie tout aussi intéressante.
Car désormais, c’est dans les livres et l’écriture que Jonas cherche son paradis.

Mes nuits apaches
Olivier Martinelli
Éditions Robert Laffont
Coll. «Les Passe-Murailles»
Roman
200 p., 20€
EAN 9782221219348
Paru le 03/01/2019

Playlist
LOS MACHUCAMBOS ✶ THE SPECIALS ✶ THE SMITHS ✶ BÉRURIER NOIR ✶ THE CRAMPS ✶ THE GUN CLUB ✶ THE CLASH ✶ MIOSSEC ✶ BUKOWSKI ✶ BOB DYLAN ✶ MARY MY HOPE ✶ JULEE CRUISE ✶ THE VELVET UNDERGROUND ✶ THE JESUS AND MARY CHAIN ✶ THE LIMIÑANAS ✶ PIERRE VASSILIU

Où?
Le roman se déroule en France, dans un village de l’Ardèche, puis à Paris, à Nîmes et Montpellier, avant un voyage à La Réunion.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Je me sentais indestructible. J’étais fort, rapide et coureur de fond. C’était comme si toute la matière qui me constituait entrait en résonance avec la musique. Et ce soir, j’étais prêt à pardonner à tous ceux qui m’avaient fait du mal. Par leur absence, leur façon de m’oublier. Je crois bien que j’étais prêt à me pardonner moi-même.
Jonas traverse sa jeunesse et son adolescence comme un long tunnel jalonné de déceptions, de pertes et de frustrations. Jusqu’à ce qu’une lueur éclaire son chemin. Celle, éblouissante, du rock.
Désormais, tout va changer. Son look, les filles, les nuits, l’avenir…
Mes nuits apaches est le premier roman rock de la collection «Les Passe-Murailles», où la voix brûlante du jeune héros, impatient de vivre, jaillit dans l’air de soirées saturées de décibels, pour venir résonner à l’intérieur de votre poitrine.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« De petites choses
Tout allait bien pour moi, au début. Je me sentais pas tellement différent des autres. Et puis mon père a décidé de tout gâcher. Aujourd’hui, j’ai compris que rien n’était de sa faute, qu’il n’avait rien décidé. Mais je lui en ai beaucoup voulu d’avoir foutu ma vie en l’air.
J’ai longtemps enfoui au fond de moi les souvenirs qui le concernaient. Quand ils se pointaient, je sentais deux mains puissantes tordre mon estomac comme on essore une serpillière. Ça me coupait la respiration. Et je mettais de longues minutes à retrouver mon souffle. Alors j’ai appris à les repousser, à les fouler au sol avant de les recouvrir de terre jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Aujourd’hui, je les laisse venir plus volontiers. J’ai renoncé à renoncer.
À propos de mon père, ce que je garde de lui, ce sont des petites choses. Des choses de rien. Ses cheveux gris, ses sous-pulls, le parfum de sa transpiration, ses emportements devant les infos, sa main sur ma tête, son rire et la façon dont il provoquait celui de ma mère. J’étais si jeune que tout s’embrouille parfois… les photos, les anecdotes racontées par mon frère et les vrais souvenirs. Ceux qui m’appartiennent vraiment.
Dans les vrais souvenirs, il y avait sa nuque. Ou plutôt, la tension qui habitait cette nuque alors qu’il nous conduisait vers l’Espagne. Le soleil de plomb qui cognait la carrosserie de la vieille 504 Peugeot. Le radiocassette qui tournait, la musique des Machucambos qui emplissait l’habitacle et nous donnait l’impression d’avoir déjà passé la frontière. Ses doigts qui martelaient le volant en rythme. Ses doigts qui se souvenaient d’avoir tenu la cadence dans des groupes de reprises, à la fin des années cinquante, dans les dancings d’Oran.
Je devais avoir huit ou neuf ans. J’étais coincé entre ma grand-mère et mon frère aîné. J’ignorais où se situait la frontière. Mais je la devinais. Je la flairais. Il suffisait d’observer la nuque de mon père, son relâchement soudain, les plis nouveaux qui striaient sa peau, l’affaissement de ses épaules.
Je me souviens de sa voix aussi, de son accent espagnol un peu heurté quand il reprenait les paroles de « Cuando calienta el sol », de celui de ma mère quand elle venait soutenir ses efforts, du fredonnement de ma grand-mère dans mon oreille d’enfant.
J’avais dix ans quand il est parti. Les gens disaient qu’il était parti pour ne pas m’annoncer qu’il était mort. Je suppose qu’ils utilisaient cette image pour me protéger. Mais pour moi, le résultat était le même. En partant, mon père avait foutu ma vie en l’air.
Entre eux, les adultes employaient aussi le mot « crabe » pour éviter d’avoir à parler de « cancer ». Cette image, par contre, ne me protégeait en rien. J’imaginais mon père pris de convulsions. Je voyais son corps infesté de bestioles, rongé de l’intérieur. C’était effrayant. J’en faisais des cauchemars la nuit.
Pour ma grand-mère, c’est arrivé peu de temps après. Mais ça a été plus net, plus brutal. Je n’ai pas eu à la visiter à l’hôpital. Je n’ai pas vu ses cheveux et ses sourcils tomber. Je l’ai vue tomber, elle, et sur le coup, j’ai cru qu’elle me faisait une blague. C’est pas tellement qu’elle était farceuse, ma grand-mère. Mais j’ai trouvé sa façon de tomber si grotesque, corps en avant, tout raide, comme au garde-à-vous, sans même essayer de mettre les mains devant en protection…
Nous revenions de la messe où je l’accompagnais tous les dimanches. Le curé de la paroisse était plutôt barbant. Je ne saisissais pas grand-chose à ses sermons. Même quand j’essayais de me concentrer. Il était gâteux et parlait à côté du micro. Parfois, il entrait carrément en transe en remuant la tête de gauche à droite. Ce qui fait qu’on n’entendait qu’une syllabe sur deux. Même les anciens n’y comprenaient plus rien. Tout le monde se regardait en attendant que ça passe, que sa crise se termine. Il m’est arrivé aussi de m’endormir. Des microsommeils dont j’émergeais la honte aux joues. Certaines images ne me parlaient pas. Le buisson ardent, le péché originel, et cette pomme, symbole de tentation et de mal. Tout ça me dépassait. J’aimais bien les pommes.
Comme d’habitude, j’ai patienté sagement alors que ma grand-mère, debout à mon côté, me couvrait de son amour. La messe, c’était le prix à payer. Je savais que ma récompense n’allait pas tarder. À la fin de l’office, on a franchi les grandes portes en bois clair. Mes doigts courts calés dans sa paume, on est sortis en clignant des yeux à cause du soleil qui venait de se jeter sur nous. Elle a salué certains voisins, des commerçants chez qui elle avait ses habitudes. Mais elle ne s’est pas éternisée. En s’éloignant, elle m’a soufflé : « Ces gens nous détestent. Ne te fie pas à leurs sourires de politesse. » Elle s’est écartée à petits pas nerveux avant d’ajouter : « Ils vont à l’église et ils sont incapables de bonté. »
Je ne lui ai pas demandé pourquoi elle pensait que ces gens ne nous aimaient pas. J’avais peur de sa réponse, peur qu’elle me condamne, moi aussi, à ne pas être aimé des autres. Mais au fond de moi, je savais. Je savais qu’ils détestaient notre accent, qu’ils détestaient les mythes et les fantasmes qu’il transportait.

Extrait
« Quand mon frère a eu son BAC, ça a été un drame pour ma mère et moi. On pressentait que la vie ne serait plus la même. La joie de Fred était un couvercle posé sur nos blessures. En désertant la maison, il allait emporter le couvercle avec lui. Les plaies de ma mère et les miennes s’ouvriraient de nouveau.
On a pris la route tous les trois pour l’installer à Bordeaux où il devait rentrer à l’école normale. La 504 émettait des cliquetis inquiétants. Le pot d’échappement percé vrombissait comme celui d’une Porsche. Avec plus de 150 000 kilomètres au compteur, elle était au bout du rouleau. Ma mère était muette. Elle conduisait, les yeux rivés à l’asphalte devant nous. Elle était tendue, son corps menu collé au volant. Elle avait toujours conduit comme si une planche de fakir était posée sur le dossier de son siège. »

À propos de l’auteur
Olivier Martinelli est né en 1967 et vit à Sète. Auteur de plusieurs romans et de nombreuses nouvelles, il a été lauréat du prix des Lecteurs de Deauville en 2012 avec La nuit ne dure pas et a obtenu le prix de la ZEC avec L’Ombre des années sereines en 2016. L’Homme de miel, son dernier roman, a été «coup de cœur» de quarante librairies en France et en Belgique.
Marc Topolino est né à Sète quelques jours après la mort d’Otis Redding. Depuis, il ne cesse de dessiner sur les feuilles et les arbres, de peindre sur les tableaux et sur les toits. (Source : Éditions Robert Laffont)

Site Wikipédia de l’auteur

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