Tous au pôle ! de Wolcott Gibbs

Par Litterature_blog
Herbst, un magnat de la presse, engage le commandant Christopher Robin pour mener une expédition scientifique au pôle sud. Enfin, « scientifique » est un bien grand mot puisque le but de l’opération se révélera au final purement marketing, l’idée étant de faire un maximum de buzz pour vendre un maximum de journaux. Le pauvre commandant Robin se voit donc imposer la présence d’un journaliste prêt à transformer chaque non-événement se passant à bord en scandale retentissant et d’une starlette écervelée, invitée pour faire de jolies photos et qui, à son retour, publiera un livre où elle racontera ses impressions de voyage (« Écrire un livre ? Bon sang, j’peux même pas écrire une lettre, alors un bouquin vous pensez ! »).
Un régal de parodie où l’absurde le dispute au mauvais esprit. Publié en 1931, ce roman hilarant était clairement en avance sur son temps. Dénonçant avant en l’heure les excès du grand cirque médiatique, il narre l’improbable expédition d’un équipage manipulé à distance par un patron de presse prêt à tout pour faire parler de son entreprise. C’est drôle, mordant et d’un cynisme à toute épreuve. Presse spectacle, dévoiement du journalisme, envahissement de la publicité, tout y passe avec un art consommé de la farce et du burlesque.
Wolcott Gibbs signa avec Tous au pôle son unique roman. Alcoolique, dépressif, misanthrope, ce pilier du New Yorker y dépeint une caricature cinglante de l’héroïsme des grands aventuriers qui ont ouvert la voie à un tourisme de masse dans des régions encore peu visitées. Une belle leçon de mise en scène de l’information-spectacle et de la confusion des genres qui résonne avec toujours autant de force 90 ans après sa publication.
Tous au pôle ! de Wolcott Gibbs (traduit de l’anglais par Thierry Beauchamp). Wombat, 2019. 120 pages. 16,00 euros.