Chronique cinéma : La Chasse

Par Guillemette @Guillemette_AB

Vous l’aurez peut-être compris, j’ai passé un long moment sans vraiment me consacrer au cinéma. J’ai toutefois fini par y revenir avec La Chasse.

Ce film danois a attiré mon attention du fait de la présence de Mads Mikkelsen, que je connaissais de la formidable série Hannibal. Je l’ai ici retrouvé dans un rôle tout à fait différent, mais qu’il incarnait avec autant de talent.

La Chasse traite d’un sujet très plus délicats : une accusation de pédophilie. Son personnage principal, Lucas, est employé dans une école. Très apprécié des petits, il est particulièrement proche de Klara, la fille de son meilleur ami.

L’enfant ressent envers lui un attachement d’autant plus fort qu’elle semble à part cela assez isolée. On la voit souvent seule, en décalage par rapport aux autres, notamment ses parents, aimants mais pris par d’autres préoccupations. La petite, souvent mutique, observe le monde de ses grands yeux graves, entendant de loin les disputes familiales. Pas aidée par son frère adolescent, dont les amis s’amusent à lui mettre sous le nez des images pornographiques en la croisant chez eux.

Dans cet environnement, Lucas est pour elle un repère exceptionnellement attentif, qu’elle retrouve souvent pour qu’il la ramène à la maison, l’emmène promener son chien. Jusqu’au jour où son affection pour lui franchit une limite dont elle n’a pas conscience : au petit cadeau fabriqué avec soin succède un baiser innocent. L’adulte lui fait alors comprendre, avec douceur mais fermeté, que ce type d’attention doit être réservée à un camarade de son âge.

C’est là que se noue le drame, dans cette enfant blessée dont le regard se ferme, dont l’esprit repousse ce rejet perçu — comme un abandon de plus. « Ça ne vient pas de moi », affirme-t-elle du cadeau qu’il lui rend. Ce soir-là, retrouvée toute seule dans le noir par l’une des enseignantes, elle a des mots d’hostilité envers Lucas. Dans sa tête, la douleur se mêle aux images et aux paroles choquantes auxquelles les amis de son frère l’ont exposée. « Il a un zizi tout dur. Il me l’a montré », affirme-t-elle.

C’est un engrenage tragique qui s’enclenche. Rapidement, Klara est confrontée à un psychologue qui cherche à établir les faits. Dans une scène assez effrayante du point de vue du spectateur, les questions s’enchaînent, soucieuses de préserver l’enfant, mais de plus en plus précisément orientées vers ce qu’on suppose être arrivé. La petite fille ne fait que hocher la tête. Les adultes la félicitent de son courage, alors même qu’ils construisent leur propre interprétation de son histoire. Elle s’y trouvera bientôt comme prisonnière : à chaque tentative pour revenir en arrière, on la rassure, lui explique que ses souvenirs sont flous, que c’est normal, que son jeune cerveau cherche à se protéger. Au final, elle-même ne semble plus sûre de ce qui s’est passé.

La machine est lancée, Lucas désigné coupable d’un crime parmi les plus odieux qu’on puisse imaginer. Les autres parents sont invités à être attentifs au moindre signe inhabituel chez leurs enfants, les interroger sur tout événement suspect. Les comportements décrits comme des signes d’alerte nous semblent terriblement flous, et très vite, les témoignages se multiplient. Dès le début du film, la tension était présente chez le spectateur avisé de l’intrigue dès que le personnage prenait un enfant dans ses bras, l’emmenait aux toilettes — autant de gestes anodins mais qui apparaissent dès lors sous une tout autre lumière.

Une atmosphère de psychose s’installe, la suspicion, puis la haine ouverte faisant régner une chape pesante sur le film. Lucas perd son emploi bien sûr, est montré du doigt, banni des commerces locaux. Son meilleur ami, père de Klara, est déchiré entre incrédulité et rage. Pire encore, son fils adolescent Markus — avec qui il avait déjà une relation complexe suite à la rupture avec sa mère — en subit de plein fouet les conséquences.

Nous-mêmes avons parfois des doutes sur le personnage de Lucas. On sait, de manière voilée, que son divorce a été conflictuel et que son ex-femme semble lui interdire de l’approcher ; lorsque sa nouvelle petite amie en vient à lui demander ouvertement s’il s’est rendu coupable d’attouchements envers une petite fille, il aura un moment de violence, la mettant à la porte avec rudesse. Je n’aurais pas détesté de voir cette face d’ombre à peine sous-entendue recevoir un peu plus d’exploration — dans l’état actuel des choses, elle pose question mais ne soulève visiblement rien d’important, juste un homme qui a ses faiblesses et ses défauts tout en restant innocent du crime dont on l’accuse.

***SPOILERS SUR LA FIN DU FILM***

Le film n’aboutit pas à la conclusion tragique qu’on pourrait attendre au vu de sa progression : après un long calvaire, les témoignages de divers enfants sont finalement reconnus comme contradictoires et la petite Klara, perturbée par les persécutions envers Lucas auxquelles elle assiste de loin, avoue ouvertement à son père qu’il n’a rien fait. Cette facette de la résolution est peut-être un peu rapide pour une intrigue bâtie sur une tension aussi forte, aussi oppressante.

Dans les dernières scènes, Lucas est officiellement réintégré dans la communauté, en un contraste frappant avec les confrontations précédentes. Son regard s’attarde sur des hommes qui l’ont mis à la porte de leurs magasins ou tabassé, à présent attablés pour célébrer la première chasse de son fils (moment d’importance au Danemark). Au cours de la soirée, il portera la petite Klara dans ses bras pour l’aider à surmonter une peur enfantine : traverser une petite étendue de carrelage sans marcher sur les traits.

Une page pareille peut-elle vraiment être tournée de la sorte ? Sans doute pas. Lors de la partie de chasse qui s’ensuit, une balle apparemment perdue manque Lucas de peu. C’est son expression de bête traquée qui nous restera à la fin du film. Un homme pris dans une mécanique qui le dépasse, un drame qui n’a ni sens ni responsable, juste la cruauté du sort.

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