Chronique « NICK CAVE – MERCY ON ME »
Scénario & dessin de REINHARD KLEIST,
Public conseillé : Ado/Adultes
Style : Roman graphique, biographie
Paru le 22 aout 2018, aux éditions « Casterman »,
304 pages Noir & Blanc, 23,95 euros,
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Ca commence comme ça…
Nicholas Edward Cave est né en Australie dans le petit village de Warracknabeal. Enfant turbulent, il cherche à tout prix à se démarquer des autres quitte à prendre des risques dans des paris aussi stupides que dangereux. Pourtant le jeune garçon n’a pas encore trouvé ce qui va le différencier de ceux qu’ils appellent les « beaufs » et se sent comme “un gros poisson dans une petite mare”. C’est alors qu’il va faire la connaissance de Michael John Harvey, un jeune musicien qui le comprend, à défaut de partager son “amour du risque”. Ensemble, ils fondent leur premier groupe “Nick Cave and the bad seeds”
Ce que j’en pense
S’il y a un parcours atypique dans le milieu de la musique, c’est bien celui de Nick Cave. Ce touche à tout de génie est entré dans ce milieu comme on entre dans la vie, c’est-à-dire quasiment « nu ». Cave ne savait pas jouer d’instrument, n’avait pas la voix d’un Joe Cocker ou d’un Léonard Cohen et n’avait même pas vraiment la fibre artistique. Sa seule motivation à l’époque était de se démarquer de la masse en devenant quelqu’un par tous les moyens. Pourtant, ce vilain petit canard va devenir l’un des artistes majeurs de notre époque.
C’est en ça que le roman de Reinhard Kleist est intéressant. Plus que de nous narrer l’histoire d’une vie, il s’attache à cette évolution artistique (et surtout humaine). Kleist n’est pas biographe, mais plutôt conteur. Cave explique même sur la quatrième de couverture que certains faits énoncés ici ne sont que pure fiction. Mais qu’importe, c’est bien comme ça que naissent les légendes, en “brodant” à partir de faits réels. Mais n’allez pas croire pour autant que le chanteur est glorifié ici. Plutôt que celle d’une icône, c’est plutôt l’histoire d’un homme en quête de spiritualité.
Cela m’amène à la deuxième originalité de cet album, son découpage. Pour renforcer cette idée d’éveil artistique, Reinhard Kleist a préféré au classique ordre chronologique des évènements quelque chose de plus audacieux. L’auteur, comme dans le désormais célèbre “Pulp Fiction” de Quentin Tarantino, se concentre dans chaque chapitre sur un personnage ou événement marquant de la vie du chanteur. Dans cette optique le scénariste n’hésite pas à réutiliser à la case près, les mêmes planches que dans le chapitre précédent. Un procédé qui permet de donner une impression de direct, comme si quelqu’un nous racontait l’histoire en se rappelant de détails au fur et à mesure qu’il progresse dans son récit. Prenons, par exemple, le personnage d’Anita Lane. Si dans les premières pages, son idylle avec le chanteur paraît quasi anecdotique, nous nous apercevons dans le chapitre qui lui est consacré que c’est elle qui a révélé Cave à lui-même.
Vient ensuite l’idée la plus brillante du scénariste, celle de mêler les chansons des artistes au récit de leur vie. Une intégration qui, à mon sens, est beaucoup plus réussie ici que dans la biographie de Johnny Cash (que j’ai lue cet été). En effet, là où les textes de l’artiste arrivent un peu comme un cheveu sur la soupe pour la star de la country, ici ils font partie intégrante de l’histoire, renforçant l’idée que la poésie est indissociable de la vie de Cave.
Ces envolées oniriques sont portées par le dessin de Reinhard Kleist qui mêle à la perfection traits réalistes et situations étranges. Le dessinateur croque « la tronche » de Nick Cave avec une précision étonnante. il s’amuse avec le chanteur le rajeunissant ou au contraire le vieillissant, il le déguise et le transforme même en cafard, le tout avec une aisance qui inspire le respect.
« Nick Cave – Mercy on me » est une œuvre unique, tout comme son héros d’ailleurs. Plus qu’une biographie, c’est une ode à l’inspiration et à ceux qui la servent. À lire absolument.