Regarder grandit : Aurélie Foglia

Regarder grandit : Aurélie Foglia

Les Ils, les longtemps, les harbres : matière de ce recueil en six sections, ils recevront bien des noms au fil des pages… Ce sont les arbres. Non pas les herbes, ni les arbustes, mais bien les arbres, qui « nous couvrent » (p. 10), qui nous donnent « la grandeur » (p. 13). On ne trouvera pas, dans Grand-Monde, l’humilité minimaliste qui magnifie le microcosme, mais au contraire un « règne » végétal (p. 98) plein d’êtres célestes, « monu/mentaux » (p. 72). Nous avons à apprendre de la grandeur des arbres : en matière d’arbres, « regarder grandit » (p. 49). Belle invite ! Mais elle demande une patiente contemplation. Ars longa, vita brevis, et Aurélie Foglia n’est sûrement pas de ceux qui croient que « l’ar/bre est bref » (p. 58). La feuille écrite (foglia, en italien) doit mûrir longtemps avant que de penser se détacher :

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Dans les forêts denses et obscures se découpe, petit à petit, un autoportrait automnal en apôtresse-hamadryade : « je suis feuille/et sur cette feuille… » (p. 93). La poète s’y montre inquiète des signes d’une déperdition, d’un départ, des indices qui annonceraient discrètement l’extinction des arbres (« Ils vont s’éteindre », p. 11), comme les « diront-elles » qui volent bas annoncent la tempête (p. 26). Le livre lui-même participe à la découpe : « un écrivain dévore/sa forêt sans le savoir » (p. 21), et le « cou coupé » d’Apollinaire devient ici un « ciel scié » (p. 59 ; on pense à la paronymie allemande sagen/sägen). Ce monde qui « s’émonde » aboutit à l’hypothèse d’un soi-meuble : « Peut-être ne suis-je qu’une / table à deux pieds » (p. 138, ultima verba du recueil).

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« On oublie de tenir à toi arbre » : A. Foglia semble avoir prêté l’oreille à l’écopoétique portée, entre autres, par Michel Deguy. Mais elle sait aussi que que le livre ronge la matière même de l’arbre (les mots : ligne, feuille, en sont les traces dans notre langue). Ainsi « les feuilles impri-/ment leurs ombres sur/les feuilles » (p. 102). La poète répartit les sciures de mots comme autant de facules du soleil qui se dispersent sur la page, lorsqu’on lit à l’ombre d’un arbre : disposition que nous partageons volontiers, ce mois de mai 2018.

On peut lire sur Poezibao le compte-rendu détaillé, section par section, du recueil, par Antoine Emaz.

Aurélie Foglia, Grand-Monde, Éditions Corti, 2018, 140 p., 18€.


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