Débâcle · Lize Spit

Débâcle · Lize Spit
Débâcle titillait ma curiosité depuis sa parution. Impossible de rester indifférente devant cette couverture. J’ai lu des avis ici et là, sans arriver à me décider. J’ai finalement succombé, voulant constater par moi-même de quel bois se chauffait le premier roman de Lize Spit. J’ai été bien servie.

Débâcle · Lize SpitIl y a le présent. Eva vit à Bruxelles, menant une vie terne et solitaire. Les liens qu’elle entretient avec sa famille sont quasi inexistants. Elle fait des gâteries à son voisin, machinalement, lorsqu’il en a envie. Lorsqu’Eva reçoit une invitation d’un ami d’enfance pour assister à un rassemblement à la mémoire de Jan, mort treize ans plus tôt, et découvrir les nouvelles installations de la ferme laitière familiale, elle n’hésite pas longtemps. Avant de se mettre en route, elle embarque un énorme bloc de glace dans le coffre de sa voiture. Eva a des comptes à régler…

Il y a le passé: en 2002, à Bovenmeer, un village de Flandre, Eva, Pim et Laurent vont vivre un été inoubliable, qui mettra un terme à leur enfance. L’ennui et les montées d’hormones les poussent à inventer de nouveaux jeux. Les deux garçons conçoivent une nouvelle activité: un jeu de striptease à énigme. Ils se servent d’Eva pour mettre les filles en confiance. Une à une, des filles notées selon leur beauté doivent résoudre l’énigme inventée par Eva. À chaque mauvaise réponse, un vêtement doit tomber. L’arrivée au village de la belle Elisa mettra à mal le trio. Et si les jeux de touche-pipi tournaient au vinaigre?Entre le passé et le présent, il y a des chapitres d’anecdotes qui font remonter à la surface les souvenirs d’Eva, permettent d’ajouter des fils à la toile: la moule, Windows 95, le bogue de l’an 2000, Encarta 97, la fosse à purin, etc.

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Il faut tout de même le faire: tricoter l’intrigue d’un roman de 430 pages autour d’un bloc de glace et d’une énigme. Du début à la fin, la tension est palpable. Le découpage du roman contribue à maintenir cette tension. En alternant le passé et le présent, entrecoupé d’anecdotes, Lize Spit sème de petits cailloux qui tracent un chemin qu’on ne peut sempêcher de suivre, même s’il mène tout droit à la maison de logre sanguinaire. Dès les premières pages, j’ai su que ça allait mal tourner.La famille De Wolf n’est pas des plus reposante… Des parents alcooliques et dépressifs, un frère nerd et une soeur fragile. Eva est plutôt bien entourée! Le personnage de Tessie, la sœur d’Eva, m’a particulièrement fascinée. Eva fait de son mieux pour comprendre et aider sa soeur bourrée de TOC, anorexique et souffrant de troubles du sommeil. Mais elle a dautres chats à fouetter: son amitié avec Pim et Laurent est prioritaire. La Eva du présent peut sembler terne et éteinte, mais à découvrir son passé, tout s’explique. Si plusieurs personnages secondaires restent dans le flou, certains sortent du lot, comme la maman de Laurent avec ses gros genoux. 

Le roman devient par moment trop bavard, traînant en longueur. Certaines intrigues secondaires auraient pu être retranchées sans en affecter l’ensemble: la visite de vendeurs de vent et le traitement anti poux à la mayonnaise, quoique fort bien décrits, semblent boucher des trous. Au final, mieux vaut trop que pas assez.Le style de Lize Spit ma harponnée dès le début. Cru, froid, hyperréaliste. Des phrases chocs bien tournées ici et là, certaines fins de chapitres percutantes. Le rythme lent (parfois trop) permet de bien s’imprégner de l’ambiance lourde et poisseuse.La dernière fois qu’un roman m’avait à ce point mise mal à l’aise, c’était Impursde David Vann. Lambiance y était aussi malsaine et sordide. Si je ne comprends toujours pas pourquoi My absolute darlingde Gabriel Tallent fait autant de bruit, je comprends parfaitement pourquoi Débâcle ébranle à ce point. Assez pour faire friser le poil des jambes!

Lize Spit a réalisé un véritable tour de force en accouchant d’un premier roman aussi fort et maîtrisé. Une histoire qui prend à la gorge, dérange et déstabilise. On ne le lit pas Débâcle pour passer un agréable moment de lecture. C’est autre chose qu’on y cherche - et trouve! Dommage que le titre flamand n’ait pas été conservé. La fonte est à mon avis beaucoup plus appropriée que Débâcle.

Débâcle fait partie des rares romans que je mettrais sous les verrous afin de le tenir loin de ma sauterelle adolescente. Des fois que ça lui donnerait des idées...
Débâcle, Lize Spit, trad. Emmanuelle Tardif, Actes Sud, 432 pages, 2018.
Quoiqu’on en dise, la photo de couverture réalisée par le Belge Frieke Janssens ne laisse pas indifférente. Il n’y a pas lieu de dire si elle est belle ou non. L’enjeu se passe ailleurs: plus du côté de la réflexion que de la moralité ou de l’esthétisme. Cette photo fait partie de la série «Smoking Kids».
Débâcle · Lize Spit

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