Le dernier gardien d'Ellis Island - Gaëlle Josse **

J'ai lu ce roman pour trois raisons :
1) sa courtitude (155 pages) : un argument de poids pour moi
2) découvrir la plume de Gaëlle Josse
3) répondre à la contrainte du moment du sieur Philippe (je suis à fond !)
Et là, vous vous dites "Oh, les arguments de ouf pour choisir un bouquin !" Quand certains et certaines vont passer des heures dans une bibliothèque ou une librairie à sélectionner le livre de leurs rêves, je sors des motifs très prosaïques et plutôt terre à terre. En général, cela passe ou ça casse : si cela casse, j'en suis arrivée à arrêter illico presto la lecture, je n'insiste plus et en général, je ne chronique pas : mon temps est trop précieux, le nombre d'articles de ce blog se réduit à peau de chagrin mais au moins je ne déverse pas mon fiel suite à la non digestion d'une trop grande frustration (littéraire, je précise).  Tout cela pour vous dire que Le dernier gardien d'Ellis Island a été lu en totalité, que je n'ai éprouvé ni plaisir ni exaspération, que si j'avais à résumer en un petit mot l'écriture de l'auteure Gaëlle Josse dans cette œuvre, l'adjectif "clinique" conviendrait le mieux ! 

Le dernier gardien d'Ellis Island par Josse

Image captée du site Babélio

Le dernier gardien d'Ellis Island propose l'exploration de neuf jours (du 3 novembre au 11 novembre 1954) du carnet intime de John Mitchell, dernier directeur du centre d'immigration de l'île avant la fermeture de celui-ci.
A partir d'une bibliographie dense quoique non référencée, Gaëlle Josse relate l'histoire de l'humanité, celle qui fuit la guerre, la misère ou la persécution pour un potentiel mieux-être. Sous les traits de ce fonctionnaire pragmatique représenté par la figure de John Mitchell, l'auteure résume les étapes de sélection, la semblante monotonie des cycles et des arrivées, ponctue le récit par l'intervention de personnages désirables et vertueux (Liz, Nella) ou d'autres peut-être plus véniels (Lazzarini, Kavàcs, Sherman) et rend presque attendrissant un sombre salopard oublieux du désir de l'autre avant d'assouvir le sien. 
Nier le style méthodique et efficace de Gaëlle Josse serait pure malhonnêteté intellectuelle. Certaines phrases claquent, certains mots sonnent juste et il y a des réflexions extrêmement retentissantes et touchantes :
page 24 : "... l'exercice d'un pouvoir, d'une autorité, si minime et dérisoire soit-elle, s'accompagne de silence, de solitude et de réserve quant à l'expression des sentiments."
pages 35-36 : "Peut-être cela l'amusait-il, mais je le soupçonnais de suivre avec plus d'attention qu'il ne voulait le laisser paraître l'évolution de mon histoire avec cette jeune sœur (Liz) qu'il adorait. J'ai pris conscience plus tard que cette affection qu'il savait rendre légère et moqueuse recélait en fait une tendresse inquiète. J'avais compris qu'il me faisait confiance en me laissant tourner autour d'elle, mais aussi que notre amitié n'aurait pas résisté aux larmes de Liz si j'en avais été la cause."
page 145 : J'avais omis les accents sur son nom. Il m'en fit le reproche avec douceur et fermeté, et ses mots sont encore présents en moi. Nous n'avons plus rien, monsieur, sinon la certitude de demeurer des exilés jusqu'à notre dernier jour, loin du monde qui nous a vus naître et grandir, loin de notre langue natale. Faut-il encore que vous nous priviez des accents sur notre nom ? Je n'avais pa ssu quoi répondre, et m'étais contenté de rectifier l'erreur, comme un écolier pris en faute.
L'auteure choisit l'intimité d'un carnet pour décrire une époque révolue mais continuellement sous le feu de l'actualité avec le traitement réservé aux migrants. 
Alors, pourquoi cette si basse note ? Gaëlle Josse le clame parfaitement dans son A propos de... Les personnages annexes ont pris possession de l'intrigue, intervenant dans le récit comme un cheveu sous la soupe, diluant le propos, le rendant moins linéaire. On peut apprécier cette liberté de ton. C'est ce côté fourretout qui m'a dérangée. Je n'y ai pas trouvé la construction judicieuse qui s'avère juste une accumulation d'anecdotes, certaines bien évidemment reliées entre elles, tantôt historiques tantôt oniriques. Bref, cela part dans tous les sens. Le style clinique et propret de l'auteure développe un héros peu attachant, des protagonistes qui n'arrivent pas à m'émouvoir. Ce n'est pourtant pas faute de malheurs cumulés. Leur traitement à distance par Gaëlle Josse éloigne toute forme d'émotion, de compassion. La fin est miraculeusement sauvée par une pirouette féerique. Je ne suis pas sûre qu'il me reste de grands souvenirs de cette lecture d'ici peu. Sincèrement, c'est bien dommage car il y avait matière à un autre livre, plus fort, avec les mêmes personnages et finalement le même discours mais avec une mise en scène mieux travaillée.  Décevant donc.
Editions Notabilia
emprunté à la biblio
autres avis : Clara, AsphoKathel, Aifelle Zazy, Sylire, Alex et MTG
Et un de plus pour le challenge de Philippe Dester : son en "è" (grâce à dernier)
challenge Lire sous la contrainte

 

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois