Beloved · Toni Morrison

Beloved · Toni Morrison
Après mon coup de cœur pour L’œil le plus bleu, le premier roman de Toni Morrison, je voulais poursuivre l’exploration de son oeuvre. J’ai entamé Beloved, son roman phare.Beloved · Toni MorrisonPour ceux qui ne l’auraient pas lu, un petit résumé est de mise. Ça se passe autour des années 1870, près de Cincinnati, en Ohio. Sethe, la trentaine, vit avec sa fille Denver et sa belle-mère Baby Suggs au 124 Bluestone Road. Howard et Buglar, les deux garçons de Sethe, ont quitté la maison à treize ans pour aller on ne sait où. Un fantôme vit dans la maison…

Le 124 était habité de malveillance. Imprégné de la malédiction d’un bébé. Les femmes de la maison le savaient, les enfants aussi. Pendant des années, chacun s’accommoda à sa manière de cette méchanceté; puis, à partir de 1873, il n’y eut plus que Seth et sa fille Denver à en être victimes.Cette présence fait trembler les objets, brise des meubles, fait fuir amis et voisins. Sethe ne sen inquiète pas trop, Denver encore moins. L’arrivée de Paul D, un ancien esclave qu’a connu Seth dans la plantation du Bon-Abri, apaise le quotidien.Il s’installe au 124 et devient lamant de Sethe.«Il a envie d’accoler son histoire à la sienne.» Il exorcise en un tour de main le fantôme de la maisonAlors que le calme pourrait enfin régner au 124, une mystérieuse adolescente fait son apparition. C’est Beloved.Le même nom que Sethe a fait graver sur la pierre tombale de sa fille morte. Elle a la jeune vingtaine, fraîche comme une rose, malgré le long voyage qu’elle vient de faire. Et si elle était une revenante, lesprit incarné de la fille morte de Seth?Ce présent «paisible» et routinier recouvre un passé traumatique. Retour en arrière.

Sethe s’est échappée du Bon-Abri dix-huit ans auparavant, enceinte jusquau cou. N’ayant pas pu attendre son mari Halle, elle a atteint le Nord avec ses trois enfants pour aller retrouver sa belle-mère Baby Suggs. Maître d’école, le «propriétaire» de Sethe, se pointe avec des officiers pour récupérer les évadés. Pour Seth, pas question que ses enfants vivent la vie de soumission qu’elle a vécue. Elle commet l’irréparable. Elle sera jugée pour ce geste, fera un temps de prison, avant de rentrer au 124.

·  ·  ·         ·  ·  ·         ·  ·  ·J’avoue avoir pataugé, au début. Il m’a fallu me rendre à la moitié du roman pour me sentir comme un poisson pris dans le filet. À partir du chapitre 16, j’ai été scotchée. Le passé et le présent alternent au fil des chapitres. Tombés dans les craques du temps, cadenacés, les souvenirs surgissent, exorcisant le passé. Si la touche de surnaturel m’a dabord déboussolée, le fantôme vaporeux a fini par prendre tout son sens, devenant une présence dévorante et troublante.

Le style est hypnotique, d’une justesse implacable, témoignant dune maîtrise rigoureuse. Dans un subtil va-et-vient entre le passé et le présent, Toni Morrison radiographie la barbarie raciste et les horreurs de l’esclavage. Certains passages sont très éprouvants. Et pas juste un peu... 

Dans Je ne sais pas quoi faire des gentils Blancs, un essai publié récemment aux éditions Autrement, Brit Bennett soulève un point fort intéressant:


En 2013, Laura Murphy, une mère de Virginie, a fait les gros titres quand elle sest battue pour que la commission scolaire autorise les élèves à ne pas lire Beloved de Toni Morrison. Ce livre, affirmait-elle, était «trop intense pour les adolescents». Il avait donné des cauchemars à son fils de dix-sept ans. Tant mieux. Beloved devrait donner des cauchemars à votre enfant. Pourquoi le fils de Laura Murphy pourrait-il choisir de ne pas lire une histoire horrible uniquement parce que cela le perturbe? Il a reconnu que ce livre était «dur à supporter», alors il la abandonné. Par la suite, sa mère a précisé quelle nessayait pas de faire interdire le roman; elle voulait juste avec le choix, en tant que parents, de décider si ses enfants pouvaient être exposés ou non à un contenu «dérangeant». Elle espère pouvoir protéger linnocence de son enfant. [...] Linnocence de lenfance a toujours été réservée aux Blancs. Les enfants blancs souffrent. Les enfants noirs ne sont pas vraiment des enfants.
Trente-et-un ans après sa publication, le roman de Toni Morrison n’a pas pris une ride. Un roman sombre, fiévreux. Virtuose.Une lecture commune avec Hélène (@libredelire), dont voici lavis.

Toute une entrée en matière pour ma première lecture de cette auteure. Tristesse et lourdeur sont omniprésentes dans les mots de Morrison, puis tendresse et amitié dans d’autres, comme dans cette rencontre entre Seth et Amy. J’ai aimé que les horreurs soient décrites à mots couverts et qu’il y ait une certaine pudeur dans l’expression qu’elle prête à ses personnages. Quelques passages ici et là m’ont aussi charmée:

Il y a des choses qui partent. Qui passent. Il y a des choses qui restent. Avant, je pensais souvent que cétait ma mémoire. Tu sais. Il y a des choses quon oublie. Dautres quon noublie jamais. Mais ça ne se passe pas comme ça. Les lieux, les lieux sont toujours là, eux. [...]Un beau jour, tu seras en train de marcher sur la route, et tu entendras quelque chose ou tu verras quelque chose. Tellement net. Et tu penseras que cest toi qui limagines. Une image-pensée. Mais non. Cest que tu te seras cognée contre un souvenir qui appartient à quelquun dautre.

Mais ce fut loin d’être suffisant pour que j’apprécie ce roman. J’ai eu du mal à en faire la lecture, principalement parce que l’écriture manque de fluidité. C’est une lecture ardue, je me heurtais bien souvent à la structure des phrases et au style utilisé. Je me suis un peu perdue aussi dans les dédales de ses retours en arrière du temps que ses personnages étaient des esclaves et dans les liens qui unissaient les «propriétaires» et leurs serviteurs. Comme quoi, ce n’est pas parce qu’un roman est récipiendaire d’un prix prestigieux, le Pulitzer dans ce cas-ci, qu’il plaira à tous. J’aurais aimé l’aimer, mais ce ne fut pas le cas malheureusement.

Beloved,

Toni Morrison, trad. Hortense Chabrier et Sylviane Rue, 10-18, 380 pages, 2008 (1987).

J’ai lu ce roman dans le cadre du challenge: 50 États en 50 romans (État de lOhio).

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois