Et vous avez eu beau temps?

Et vous avez eu beau temps?

En deux mots:
Ces expressions du quotidien, «Il faudrait les noter». Disant cela, on souligne bien qu’on n’a pas pris le temps de la faire. Heureusement pour nous Philippe Delerm s’en est chargé pour nous.

Ma note:

★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

D’autres plaisirs minuscules

Philippe Delerm s’est fait une spécialité dans le décorticage des expressions de langage. Mises à nu avec malice, on les (re)découvre.

Depuis La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, on sait le plaisir que l’on peut prendre à tourner autour des expressions usuelles, des façons de parler, de s’exclamer, d’utiliser à plus ou moins bon escient des tournures qu’un étranger aura bien du mal à comprendre, voire à traduire.
Dans ce nouveau recueil, on partage à nouveau ce plaisir avec une ribambelle de nouvelles expressions passées au tamis du professeur Delerm. Mieux, on se régale de cette analyse aussi lucide qu’impitoyable, aussi facétieuse que profonde.
D’emblée le ton (et le temps) est donné. La duplicité de celui qui s’enquiert du climat est mise à jour: «aujourd’hui où les bulletins météorologiques affolent les sommets de l’audimat, où l’on détient l’ubiquité de la connaissance du beau et plus encore du mauvais temps, il est très pervers de sembler se soucier: « Et vous avez eu beau temps?  » Car vous le savez trop, j’ai eu un temps pourri. Grand bien vous fasse. »
Un beau bracelet de perles va suivre, de «Renvoyé de partout» à «il faudrait le noter», de «On l’a vu dans quoi, déjà à «C’est pas pour dire mais… » ce sont plus d’une cinquantaine d’expressions qui sont décortiquées avec humour et érudition, mêlées à des souvenirs, illustrées d’exemples tirés de lectures, de films, de chansons.
Je ne résite pas à piocher dans ce sémillant catalogue quelques exemples pour vous permetre, amis lecteurs, de goûter tout le sel de ces courts textes et l’étendue d’un répertoir edont chacun pourr afaire son miel.
Il y a par exemple la suffisance du sommelier avec son «Là, on est davantage sur…», sorte de porte ouverte à tout un registre où la pédanterie le dispute à la mauvaise foi.
Il y a ensuite ce «On peut peut être se tutoyer ?» Une étrangeté bien française qui donne l’illusion que les rapports vont soudain se modifier, devenir plus simples et plus directs. Un piège dont il est du reste difficile d’échapper.
Prenons encore «Je sais pas ce qu’on leur a fait, aux jeunes!» qui nous donne aussi l’occasion de rendre hommage à deux monstres sacrés de notre cinéma, Jean Rochefort et Philippe Noiret. Dans L’horloger de Saint-Paul, ils déambulent dans les rues de Lyon. «Rochefort s’assoit sur un banc. Et soudain, sans rapport direct avec l’action, cette incidente : Je sais pas ce qu’on leur a fait, aux jeunes!» C’est cette époque «qu’on peut qualifier d’après mai 68» qui s’incarne alors. Soudain, on voit ce fossé entre les générations s’ouvrir et engloutir tous les beaux discours sur la solidarité inter-générations. On entendrait presque Brel chanter Les Bourgeois où les jeunes «peigne-culs» montrent leur derrière et leur bonnes manières.
En guise de conclusion, l’un de mes passages préférés, celui consacré à «J’dis ça, j’dis rien!». Philippe Delerm voit cette expression comme «une espèce de précaution postoratoire, parfaitement ambiguë, dont la subjectivité rejaillit sur la fadeur de l’interlocuteur. C’est infinitésimal, mais celui, celle à qui l’on lance un « J’dis ça, j’dis rien » peut se sentir suspecté de ne proférer pour sa part que des opinions banales, ou politiquement correctes. »
Je vais vous laisser vous régaler à votre tour avant de préparer ma prochaine chronique. Car vous vous en doutez, «je reviens vers vous» prochainement.

Et vous avez eu beau temps ?
Philippe Delerm
Éditions du Seuil
Roman
176 p., 15 €
EAN : 9782021342789
Paru le 4 janvier 2018

Ce qu’en dit l’éditeur
Est-on sûr de la bienveillance apparente qui entoure la traditionnelle question de fin d’été : « Et… vous avez eu beau temps ? » Surtout quand notre teint pâlichon trahit sans nul doute quinze jours de pluie à Gérardmer…
Aux malotrus qui nous prennent de court avec leur « On peut peut-être se tutoyer ? », qu’est-il permis de répondre vraiment ?
À la ville comme au village, Philippe Delerm écoute et regarde la comédie humaine, pour glaner toutes ces petites phrases faussement ordinaires, et révéler ce qu’elles cachent de perfidie ou d’hypocrisie. Mais en y glissant également quelques-unes plus douces, Delerm laisse éclater son talent et sa drôlerie dans ce livre qui compte certainement parmi ses meilleurs.
Inventeur d’un genre dont il est l’unique représentant, « l’instantané littéraire », Philippe Delerm s’inscrit dans la lignée des grands auteurs classiques qui croquent le portrait de leurs contemporains, tel La Bruyère et ses Caractères. Il est l’auteur de nombreux livres à succès, dont La Première Gorgée de bière, Je vais passer pour un vieux con ou Sundborn ou les Jours de lumière (Prix des Libraires, 1997).

Les critiques
Babelio 
Le Parisien (Pierre Vavasseur)
Blog Cutur’Elle (Caroline Doudet)
Blog Lettres it be 
Blog Le boudoir de Nath 

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Alexandra Lemasson lit les petites phrases assassines de Et vous avez eu beau temps ? De Philippe Delerm. © Production France TV / Culturebox

Les premières pages du livre:
« Et. Quelle traîtrise virtuelle dans ce mot si court, apparemment si discret, si conciliant. Dire qu’il ose se nommer conjonction de coordination ! Il faut toujours se méfier de ceux qui prétendent mettre la paix dans les ménages. De ceux qui se présentent avec une humilité ostentatoire : je ne suis rien qu’un tout petit outil, une infime passerelle. Vaille que vaille je relie, j’attache, je ne m’impose en rien.
Simagrées de jaloux minuscule. Les rancoeurs ont cuit à l’étouffée dans ces deux lettres faussement serviles, obséquieuses tartuffes.
« Et vous en prenez beaucoup ? » est-il demandé au pêcheur que l’on voit relancer sa ligne en vain depuis trois quarts d’heure. « Et vous n’entendez pas les trains ? » s’enquiert-on auprès de ce couple qui vient d’emménager près de la gare. « Et ce n’est pas salissant ? » interroge-t-on le propriétaire de ce coupé Alfa Romeo d’un noir éblouissant. Si vous avez le malheur de déclarer avec un peu de flamme votre amour pour Venise, vous ne serez pas surpris d’entendre un « Et ce n’est pas trop touristique? ».
Mais la duplicité atteint son point d’orgue au retour de vacances estivales, avec ce «Et vous avez eu beau temps ?» si pernicieux qu’on s’en veut de ne pas rétorquer par l’insolence. Il faudrait avoir peut-être la morgue de Bloch, à qui le père du narrateur de La Recherche demande s’il a plu :
– Monsieur, je ne peux vous dire absolument s’il a plu. Je vis si résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier.
Mais on sait bien. Dès qu’il a le dos tourné, cette réponse le fait taxer d’imbécillité. On est d’accord. Il n’y a rien de plus important que le temps qu’il fait. Ce pouvoir de la météo donne à nos interlocuteurs une emprise exaspérante: c’est par là qu’ils nous tiennent. Et si la nature humaine ne change guère, elle a un peu évolué sur ce chapitre. Je me rappelle avoir entendu poser la question à des voyageurs à une époque où il pouvait y avoir une vraie curiosité à cet égard, voire une sollicitude expectante.
Mais aujourd’hui où les bulletins météorologiques affolent les sommets de l’audimat, où l’on détient l’ubiquité de la connaissance du beau et plus encore du mauvais temps, il est très pervers de sembler se soucier : « Et vous avez eu beau temps ? » Car vous le savez trop, j’ai eu un temps pourri. Grand bien vous fasse. »

Extrait
« Ah ! comme il est perfide, le « N’oubliez pas ! » de l’omniscient. Parfois, c’est une prise de hauteur à double détente, presque un truisme – « N’oubliez pas que l’Angleterre est une île ! » – mais dont il fait son miel avec une dramaturgie de la finesse qui contraint à réviser le stéréotype. Ah oui, dans sa bouche la phrase veut dire bien plus qu’elle ne dit ! Il a ce don de voir de si haut que les maximes à ras de terre se gonflent à l’hélium et montent au ciel de la subtilité. »

À propos de l’auteur
Philippe Delerm, né en 1950 à Auvers-sur-Oise, voue son écriture à la restitution d’instants fugitifs, à l’intensité des sensations d’enfance. Il est notamment l’auteur de Sundborn ou les Jours de lumière (1996, prix des Libraires et prix Culture et Bibliothèques pour tous), La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (1997, prix Grandgousier), Autumn (1998), Ma Grand-mère avait les mêmes (2008), et Les Eaux troubles du mojito (2015). Il est aussi professeur et vit avec sa femme, Martine Delerm, en Normandie. (Source : anneetarnaud.com / éditions du Seuil)

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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois