Janvier

Janvier

En deux mots :
Janvier est employé d’une grande entreprise qui ne lui confie plus de dossier et finit par l’oublier. Payé à ne rien faire, il va pouvoir prendre des initiatives et changer de vie.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Le vrai faux travail

Le monde du travail prend, sous la plume de Julien Bouissoux, une dimension aussi cocasse que dangereuse.

Commençons par lever toute ambiguïté : le titre de ce roman est celui du patronyme du narrateur et non celui d’un mois de l’année. Est-ce un hommage à Simenon? Toujours est-il que la psychologie de ce monsieur Janvier va recourir toute notre attention. Janvier vit seul, employé d’une grande entreprise. Seulement voilà déjà six mois que dans son bureau au fond d’une impasse il «n’avait reçu aucun nouveau dossier. Première étape avant qu’ils ne suppriment son poste, il en était persuadé. Pourtant, les semaines avaient passé, et ce qui n’était à l’origine qu’une hypothèse improbable s’était peu à peu imposé comme une évidence: ils l’avaient tout simplement oublié. Avec les restructurations, les déménagements successifs et les changements d’organigramme, Janvier avait fini par glisser sous le radar, petit point scintillant dont la lueur s’était estompée jusqu’à ce que plus personne n’y prête la moindre attention».
Mais comme il touche régulièrement son salaire, il continue régulièrement à venir au travail. Et comme il lui faut bien trouver de quoi s’occuper, une fois effectuée l’observation de son environnement du sol au plafond et après l’entretien méticuleux de sa plante verte, il feuillette une revue et notamment un article consacré à la Chine, usine du monde.
Il y découvre une photo de la chaine d’assemblage de sa photocopieuse et décide d’écrire à l’ouvrier qui l’a fabriquée : « Cher Wu Wen, D’avance pardonnez-moi si je ne suis pas le premier à vous écrire. Mais j’ai l’impression de ne pas avoir le choix. Quelque chose m’y pousse et ne me laissera pas en paix. Ce matin, chez le coiffeur, j’ai découvert que l’imprimante que j’utilise a été fabriquée par vous, ou du moins qu’elle est passée entre vos mains. Cher Wu Wen, j’ignore quel poste vous occupez dans la grande usine du monde mais – c’est indéniable – quelque chose fonctionne ici grâce à vous. » Un début de correspondance qui va lui ouvrir de nouveaux horizons. En prenant la plume, il se fait aussi poète à ses heures, en imaginant le travail du Chinois, il se voit déjà lui rendre visite. Mais il ne pousse pas seulement la porte d’une agence de voyage, mais aussi celle d’une agence immobilière, car il a envie d’un appartement plus petit, comme celui qui donne sur les voies ferrées et qui correspond davantage à ses modestes envies.
Car il s’imagine bien qu’un jour son aventure de salarié clandestin prendra fin. Quand arrive Jean-Chrysostome, un ex-collègue, il croit bien que c’est pour lui signifier la fin de la récréation. Mais il n’en est rien. Ce dernier lui offre simplement de partager son bureau le temps de retrouver du travail. Une belle occasion pour Janvier de montrer combien il est devenu un as de la simulation.
On l’aura compris, derrière la fable sociale, c’est la notion même de travail qui est ici interrogée. On pourra aussi y voir une illustration de la deshumanisation grandissante de nos sociétés où l’humain est relégué au rang de numéro, où la digitalisation, le rendement, la robotisation finissent par rendre possible de tels «oublis». Tel Don Quichotte, Janvier serait le grand pourfendeur de ce système, à la fois aussi inconscient et aussi idéaliste que le héros de Cervantès.
Bien entendu le pot aux roses va finir par être découvert, mais je vous laisse vous délecter des conséquences de la chose.
Julien Bouissoux a réussi, avec délicatesse et tendresse, à mettre le doigt sur les dérives d’un système et à démontrer par l’absurde que l’humain reste… humain, c’est-à-dire imprévisible et capable de se transformer et de s’adapter. Dérangeant au départ, Janvier s’avère au final plutôt réjouissant et toujours très divertissant.

Janvier
Julien Bouissoux
Éditions de l’Olivier
Roman
176 p., 16,50 €
EAN : 9782823611830
Paru le 4 janvier 2018

Ce qu’en dit l’éditeur
Au cours de la restructuration de la grande entreprise qui l’emploie, Janvier est oublié dans son bureau, au fond d’une impasse. Plutôt que de rester chez lui et être payé à ne rien faire, il décide de continuer à se rendre au travail pour y mener, enfin, une vie sans entrave. S’occuper de la plante verte, amorcer une correspondance avec un fournisseur, bénéficier de l’équipement pour s’essayer à la poésie… Mais combien de temps Janvier pourra-t-il profiter des charmes de la vie de bureau avant que la société ne retrouve sa trace ?
L’écriture sobre et précise de Julien Bouissoux explore la métamorphose d’un homme qui, par un étrange concours de circonstances, s’adonne enfin à l’existence idéale qu’il ignorait vouloir mener.

Les critiques
Babelio
En attendant Nadeau (Sébastien Omont)
Maze (Mathieu Champalaune)
Viveversa littérature.ch (Romain Buffat)
Le Temps (Julien Burri)
L’Usine nouvelle (Christophe Bys)
RTS (émission Versus-lire – Jean-Marie Félix)
Un livre, un jour 
Blog froggy’s delight 


Présentation de Janvier de Julien Bouissoux par Stefane Guerreiro et Stéphanie Roche © Production Librairies Payot

Les premières pages du livre:
« Six mois que Janvier n’avait reçu aucun nouveau dossier. Première étape avant qu’ils ne suppriment son poste, il en était persuadé. Pourtant, les semaines avaient passé, et ce qui n’était à l’origine qu’une hypothèse improbable s’était peu à peu imposé comme une évidence: ils l’avaient tout simplement oublié. Avec les restructurations, les déménagements successifs et les changements d’organigramme, Janvier avait fini par glisser sous le radar, petit point scintillant dont la lueur s’était estompée jusqu’à ce que plus personne n’y prête la moindre attention; les quelques employés qui avaient eu affaire à lui avaient été mutés ou remplacés par des plus jeunes. Personne ne se rappelait l’existence de ce bureau situé dans une impasse loin du siège acheté lors d’un creux de l’immobilier d’affaires et où l’on avait délégué une des innombrables activités de soutien de la firme, activité de soutien dont on venait de perdre la trace à l’occasion du dernier redécoupage.
Janvier le savait. Un jour quelqu’un pousserait la porte de cette ancienne boucherie et emporterait la lampe halogène, les classeurs métalliques, les deux fauteuils, la plante verte. Quelqu’un muni d’un papier où tout serait décrit: les numéros de série, le modèle d’ordinateur. Une lettre de licenciement suivrait, ou précéderait avec un peu de chance.
En prévision de cette dernière journée de travail, Janvier avait pris soin de ranger et d’étiqueter tous les dossiers, ce qui permettrait à un éventuel successeur de ne pas s’y perdre et faciliterait la tâche des déménageurs. Le jour en question, il n’aurait qu’à se lever et se diriger vers la porte, les adieux n’en seraient que plus faciles; il avait déjà rapporté chez lui ses rares effets personnels, plus quelques objets utiles comme une agrafeuse, des ciseaux, deux ramettes de papier, sa prime de licenciement en quelque sorte.
Au matin de chaque jour ouvrable, sans savoir si celui-ci, plutôt qu’un autre, serait son dernier au sein de l’entreprise, Janvier retournait à ce bureau fantôme, s’asseyait, sortait chercher un sandwich, éteignait ou allumait son ordinateur, sans fin, sans ordre, sans but.
Combien de temps passa ainsi? À quand remontait le dernier mémo envoyé? Le dernier rendez-vous reporté, agendé, puis reporté de nouveau? La dernière voix au téléphone? »

Extrait
« C’était un lundi et Janvier remarqua que ses cheveux avaient poussé. Il attrapa une mèche et tira dessus pour voir jusqu’où elle allait. Il pensa: « Il faut que j’aille
chez le coiffeur. Peut-être samedi », et puis il se reprit, presque étonné de cette pensée qui venait de surgir: et s’il y allait maintenant? Lundi était le jour de fermeture
de son coiffeur, mais il en connaissait un autre, juste en face de l’arrêt de bus et à côté de cette vitrine dans laquelle il avait lu la veille « Voyagez hors-saison: 50% sur toutes nos destinations ». Était-ce le salon de coiffure ou l’agence de voyages? Le monde était rempli de nouvelles possibilités. Le cœur de Janvier se mit à battre. »

À propos de l’auteur
Né en 1975, de nationalités suisse et française, Julien Boissoux a vécu successivement à Clermont-Ferrand, Rennes, Paris, Londres, Toronto, Seattle, Budapest, avant de revenir à Paris puis de s’établir en Suisse. Ecrivain et scénariste, il est l’auteur de plusieurs romans publiés au Rouergue, Fruit rouge (2002) et La Chute du sac en plastique (2003), puis Juste avant la frontière (prix Grand-Chosier 2004), Une Odyssée (2006) et Voyager léger (2008).
Auteur d’une douzaine de scénarios et d’adaptations pour le cinéma, il a notamment signé Les grandes ondes (à l’ouest), co-écrit avec Lionel Baier, qui fut son premier scénario porté à l’écran. Il est, par ailleurs, lauréat du Prix de la Fondation Edouard et Maurice Sandoz (FEMS) pour un projet dont les jurés ont relevé « la qualité du style, ainsi que l’originalité et la liberté de ton de l’extrait soumis à leur attention. En observateur attentif de ce qu’il nomme la tribu humaine, Julien Bouissoux s’abstient de juger notre société mais il entend en explorer certains aspects qui le passionnent, un peu à la façon d’un cinéaste ». (Source : romandesromands.ch/ et Éditions de l’Olivier)

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