Kornelia

Kornelia

En deux mots:
Le corps parfait et les cheveux blonds de la nageuse est-allemande Kornelia Ender fascinent le narrateur. Voici l’histoire de cette quadruple championne olympique, mêlée aux souvenirs de l’adolescent.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:
Un amour de nageuse

Kornelia Ender a été quadruple championne olympique de natation en 1976 et le fantasme de Vincent Duluc, qui revient sur cette époque particulière.

Après nous avoir rappelé la carrière de George Best, le cinquième Beatles, puis nous avoir remis en mémoire l’épopée des Verts de Saint-Étienne dans Un printemps 76, Vincent Duluc poursuit l’exploration de sa jeunesse en délaissant son cher football pour revenir sur son idole des années soixante-dix, une sirène blonde émergeant de la piscine olympique de Montréal: Kornelia Ender.
Si ce nom ne vous dit rien, après tout qu’importe. Car au-delà de la biographie de la championne, c’est toute une époque et tout un système que l’auteur nous raconte. Grâce à lui, on va éviter le travers de beaucoup de procès portant sur une époque passée, c’est-à-dire porter un jugement avec les yeux d’aujourd’hui sur les dangereuses dérives « d’un pays qui manipulait ses athlètes au nom de la victoire socialiste. »

Kornelia
Kornelia Ender lors des championnats du monde de Belgrade en août 1973. DR

L’une des meilleures plumes de L’Équipe commmence son récit par la relation du voyage qu’il a effectué à Schornsheim où Kornelia Ender-Grummt est aujourd’hui kinésithérapeute. Dans cette petite ville de Rhénanie-Palatinat, il espère croiser l’ex-championne, lui dire toute son admiration. Mais il craint tout autant la rencontre avec cette sexagénaire qui, selon toute vraisemblance, ne correspondra plus en rien avec l’athlète qui a enflammé son cœur d’adolescent (l’auteur avait quatorze ans lors des J.O. de Montréal. Et renonce finalement à son projet pour ne garder en mémoire que les images du triomphe de la belle allemande.
Nous voici donc au commencement, du côté de Halle, en République démocratique allemande. La fille d’un colonel et d’une infirmière est reprérée par les services de détection mis en place dans tout le pays et commence à accumuler les performances alors qu’elle n’a pas encore douze ans. Aussi est-elle la plus jeune athlète sélectionnée pour les Jeux Olympiques de Munich en 1972 où elle ne fera pas de la figuration puisqu’elle reviendra de Bavière avec trois médailles d’argent (200 mètres, relais 4 fois 100 mètres et 4 fois 100 mètres quatre nages).
Mais Kornelia frappe l’imagination du narrateur en 1973, lors des premiers Championnats du monde de natation organisés à Belgrade. Ce ne sont pas tant les quatre médaille sd’or qui le subjuguent, mais le maillot de bain de Kornelia qui laisse entrevoir un corps parfaitement sculpté.
Il n’en faut pas davantage pour qu’on poster vienne égayer sa chambre au côté de ceux des footballeurs et pour qu’il se réveille en pleine nuit pour assiter au triomphe de «sa» nageuse à Montréal: l’or au 100m nage libre, au 200m nage libre, au 100m papillon et au 4 x 100m 4 nages. Elle ne devra s’avouer battue que dans le 4 x 100m nage libre, décrochant l’argent derrière les rivales américaines.
En parlant de rivalité, les pages consacrées à Shirley Babashoff, la Californienne qui ne parviendra jamais à battre l’Allemande – sauf en relais – sont édifiantes. Elles montrent la guerre que se livraient alors, au sortir de la Guerre froide, l’est et l’ouest. On comprend très vite qu’il ne s’agit pas de dénoncer un dopage que l’on soupçonne, mais de trouver les moyens de faire encore mieux. En rappelant que Kornelia a davantage été victime que participante de ce système, l’auteur ne tente pas seulement de continuer à vivre son rêve, mais réussit à nous convaincre de la bonne foi de cette étoile filante. Sans «Ostalgie» comme disent les Alllemands qui regrettent la RDA, mais avec les yeux de l’admirateur inconditionnel qu’il fût et demeure.


Ce court film retrace la carrière de Kornelia Ender, depuis ses premiers diplômes jusqu’aux Jeux de Montréal . © Production Sportsreference.com

Kornelia
Vincent Duluc
Éditions Stock
Roman
256 p., 18 €
EAN : 9782234083417
Paru le 28 février 2018

Où?
Le roman se déroule d’abord dans un pays qui n’existe plus, la République démocratique allemande – RDA – à Halle, Leipzig, Berlin-Est, mais aussi dans les villes-hôte des Championnats du monde de natation et des Jeux Olympiques, telles que Belgrade, Munich, Montréal ainsi qu’en France, à Bourg-en-Bresse et Paris.

Quand?
L’action se situe de 1953 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« J’ai retrouvé une photo de Kornelia au fond d’un carton de souvenirs dans le grenier de mes parents. Sur une des fiches cartonnées des héros olympiques, elle sortait de l’eau, ses cheveux blonds plaqués en arrière, parce que les sirènes ne
reviennent pas à la condition terrestre avec une frange qui leur tombe sur les yeux. Elle avait dix-sept ans et à cet âge tout battait la chamade, son coeur d’artichaut et ses ailes musculeuses qui rythmaient le papillon.
Je l’ai cherchée comme on part sur les traces d’un amour de jeunesse, dans l’empreinte d’une époque qui avait sacré sa blondeur blanchie par le chlore, dans les archives d’un régime qui avait tout consigné, même ce qu’elle avait oublié. J’espère que je l’ai trouvée.»

Les critiques
Babelio
Valeurs actuelles (Mickaël Fonton)
France-Inter (Le journal pop de Joy Raffin)
France Bleu (1 livre – Frédérique Le Teurnier)
EPJT (Valentin Jamin)
Blog Lire le sport

Les premières pages du livre:
« J’aimerais beaucoup la croiser mais je ne veux pas la rencontrer. Elle a passé sa jeunesse à être surveillée et écoutée, je me contenterais de la regarder depuis ma timidité. Je préférerais qu’elle reste un mystère, ne pas savoir si elle est Greta Garbo ou Odette Toulemonde. Bien sûr, il reste à déterminer si Garbo a voulu qu’on l’oublie, ou qu’on ne l’oublie pas, après avoir tourné son dernier film à l’âge de trente-six ans, en 1941. Elle sortait emmitouflée, son rire de divine avait cessé de tomber en cascade, ses yeux masqués de verres fumés cachaient leur lumière, et l’on ne pouvait tenir que c’était pour n’être pas reconnue : cette mise en scène même d’une notoriété camouflée la singularisait, entretenait l’ancienne flamme, ce mythe auquel elle se confrontait en glissant à petits pas sur les trottoirs de la Cinquième Avenue, que des reines sans prénom et des femmes sans couronne arpentaient en costume de scène à la tombée du jour sans parvenir à rivaliser avec un souvenir. Dès 1950, à New York, elle avait cessé de paraître en public pour fuir la compagnie des hommes, des femmes aussi, parfois. Kornelia, elle, est restée dans la vie. C’est le monde qui s’est retiré.
Un après-midi d’avril, du soleil des vignes de la Rhénanie-Palatinat aux premiers dégradés sombres des forêts de Bavière, j’ai mis deux heures et quarante ans pour aller de Kornelia Ender à Roland Matthes, dans l’Allemagne qui n’était pas leur pays du temps qu’ils formaient un couple idéal aux yeux de l’époque, et des amoureux. J’ai suivi la route qui éloigne désormais les enfants séparés d’un pays disparu. La RDA aura existé pendant quarante ans, dont trente-sept années de séparation, ce qui épouse à peu près leur vie de couple depuis 1976. Ils se sont éloignés de l’or des piscines olympiques et rapprochés de l’oubli en suivant des vies parallèles qui ne se rejoignaient plus.
J’ai traversé Schornsheim, un village en pente ; sur l’autre colline dévalaient les vignes. Je me suis rangé le long du trottoir opposé, à quelques mètres de l’entrée du cabinet de kinésithérapie de Kornelia, j’ai vu la plaque portant son nom de jeune fille héroïque accolé à celui de son deuxième mari, Kornelia Ender-Grummt, j’ai vu les stores orangés accrochés aux fenêtres, dans l’angle d’une maison de village massive. C’était un après-midi de printemps traversé de douceur immobile. Quand la porte s’est ouverte sur des patients qui laissaient à l’entrée une poussette ou un déambulateur, j’ai vu la salle d’attente et considéré le dernier sas qui me séparait d’elle. J’ai toujours su que je n’irais pas plus loin, que je préférerais deviner, comme les antihéros des films américains observent depuis une voiture garée en retrait un amour de jeunesse dans son jardin sans clôture avec ses enfants et son nouveau mari. Le scénariste organise la scène à l’instant même où l’homme rentre du travail, ce qui sous-tend d’une part que la femme ne travaille pas, ou moins et qu’elle a pu rentrer plus tôt, et d’autre part sème chez le spectateur l’espoir subliminal qu’elle finira par s’ennuyer de ces rituels banlieusards et se retournera un jour, en refermant la porte, vers l’homme de la rue. C’est ainsi qu’ils nous tiennent, par l’ambiguïté entraperçue.
Nous sommes tous revenus sur les lieux d’amours anciennes, en simple pèlerinage, sans rien chercher ni attendre, juste pour revoir l’endroit et se revoir soi-même, en comptant sur le hasard de dix secondes sur une période de vingt ans pour croiser celle ou celui qui passerait dans la rue, irait prendre son courrier sur le palier, taillerait ses roses dans le jardin, glisserait comme une silhouette dans un décor familier, ou comme un fantôme. La seule issue souhaitable de la quête est de demeurer une illusion, parce que le hasard serait un embarras, si difficilement justifiable qu’il faudrait se cacher pour voir sans se montrer, et ainsi éviter exactement ce que l’on faisait semblant de chercher, la rencontre.
Lorsqu’elle advient, par préméditation ou par hasard, il y a peu d’émotion comparable à ce qu’embrasse le premier regard, trente ou quarante ans plus tard. Nous avons du mal à retrouver la trace des femmes, elles suivent les hommes et changent de nom, pour la plupart, brouillant les pistes et suggérant que celles qui ont gardé le leur seraient celles qui ont raté leur vie de famille ou réussi leur divorce. Les hommes qui cherchent à retrouver les femmes sont indifférents au bilan comparé et narcissique des rides et des défaites, indifférents aux ombres : le matin, dans la glace, ils cherchent ce qui change, mais chez elles, quêtent ce qu’il reste, les traces de lumière.
Nous avons croisé dans les rues piétonnes d’anciennes amours que nous n’avons pas reconnues. Nous avons constaté l’érosion sur les visages de nos premiers flirts, mais notre premier regard d’après, une vie plus tard, nous a tiré du côté du déni ou de l’aveuglement, superposant deux époques et deux images au détriment de la vie réelle, de la vie qui a passé. Ce n’est plus le constat qu’il ou elle a changé qui nous prend par surprise, ce sont les stigmates qui créent l’émotion, c’est l’évidence d’une longue vie sans nous qui nous prend par la main et par les sentiments, nous laissant avec un vertige dont on ne sait pas quoi faire.
La conscience du vide, dans lequel les années de l’intervalle se sont engouffrées, s’éprouve un samedi soir d’insomnie en regardant Donna Summer sur YouTube chanter « MacArthur Park » ou « Last Dance » au début des années 2000. Elle a une ride profonde sur le front, qui n’existait pas trente ans plus tôt, là, entre les sourcils, elle a un peu plus d’ampleur dans une magnifique robe blanche, la gorge un peu plus remplie, la voix qui tient moins longtemps les aigus ; lorsque l’on clique sur la version originelle de 1976, elle est d’une beauté parfaite, et sa voix casse à chaque rupture harmonique, et elle danse comme on ensorcelle en arpentant la scène de ses longs compas bottés de cuir. 1976 nous plonge dans une nostalgie attendue, acceptée, peut-être recherchée, mais c’est la Donna crépusculaire qui nous emporte, par ses manières d’accepter d’être regardée pour ce qu’elle était et de nous livrer les traces du combat qu’elle a mené jour après jour pour retenir ce qui était en train de s’en aller, une grâce qui s’éventait comme une poussière d’or par le chas du sablier. »

Extrait
« Cependant que la lumière éclairait encore la blonde Kornelia, de Leipzig, enfin juste à côté, à Halle, l’ombre avait déjà commencé d’envelopper la blonde Shirley, de Los Angeles, enfin juste à côté, à Huntington Beach. Shirley Babashoff avait un sourire californien de beach girl, des taches de rousseur qui en faisaient la fille next door, et, chaque fois qu’elle comptait ses médailles pour s’endormir, trouvait tardivement le sommeil. Elle comptait son or et il en manquait ; Kornelia Ender et la RDA avaient décidé qu’une vie américaine s’écoulerait à l’ombre de ses rêves.
J’ai connu ces filles fantasmées, je les évoquais à voix basse, nous avions sur elles de longues théories qui présupposaient le mystère et, en retour, il leur arrivait de nous demander l’heure. C’était leur manière de n’être jamais banales, leur vernis sacré se serait craquelé dans l’instant si elles s’étaient intéressées à nous… »

À propos de l’auteur
Vincent Duluc est l’auteur chez Stock de deux récits très remarqués et salués par la presse (George Best, le cinquième Beatles et Un printemps 76). Il est le leader de la rubrique football de L’Équipe et intervient régulièrement en tant que consultant sur La chaîne L’Équipe et RTL. (Source : Éditions Stock)

Site Wikipédia de l’auteur
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