La Tour de Babylone, de Ted Chiang

La Tour de Babylone, de Ted Chiang La Tour de Babylone, de Ted Chiang

La Tour de Babylone, de Ted Chiang, traduit par Pierre-Paul Durastanti et Jean-Pierre Pugùi, Folio SF, 2016 (originale : 2002), 407 pages.

L’histoire

À Babylone, la construction de la tour touche à sa fin. On va bientôt atteindre la voûte du ciel et découvrir les secrets de Jéhovah. Une mathématicienne aurait trouvé une démonstration capable de mettre à mal les mathématiques, sa vie de couple… et sa vie, tout court. Le premier contact avec les extraterrestres aura également des répercussions inattendues sur le quotidien d’une linguiste réputée. Le destin de Neil Fisk bascule le jour où sa femme est tuée par la visitation d’un ange…
Huit nouvelles qui constituent l’intégrale des œuvres de l’auteur entre 1990 et 2002. Huit textes d’une puissance inégalée, lauréats pour la plupart des principaux prix du genre : Hugo, Nebula, Theodore Sturgeon, Sidewise… Huit occasions de découvrir le talent d’un nouveau grand de la science-fiction mondiale.

Note : 5/5

Mon humble avis

J’avais absolument adoré le film Premier contact et un collègue m’a demandé si j’avais lu la nouvelle dont le film s’est inspiré. Quand j’ai répondu que je ne savais même pas qu’une nouvelle en était à l’origine, ni une ni deux, je me suis retrouvée avec cette anthologie dans les mains et wow. Alors, les nouvelles sont très, très diverses. Dans les sujets qu’elles abordent mais aussi dans le style et les idées qui sont présentées. Du coup, ça me semble impossible de chroniquer cette anthologie sans m’attarder sur chacun des textes.

« La tour de Babylone », nouvelle éponyme donc, présente un univers où tout un village a entamé le projet un peu fou, il y a des siècles de cela, de construire une tour qui atteigne la voûte céleste afin de pouvoir la percer et y découvrir ce que Jéhovah leur réserve derrière. Un travail acharné, et l’on suit des mineurs qui entament l’association de cette tour afin d’être au sommet lorsque cette dernière atteindra la voûte, où ils devront creuser pour aller encore plus loin. Ted Chiang parvient, avec ses descriptions détaillées du ressenti des personnages et de la situation, à nous transmettre l’immensité de ce projet, voire à nous donner le tournis ! La fin est toute aussi inattendue que renversante, de quoi vriller le cerveau.

« Comprends » s’intéresse à la surintelligence : en ramenant les personnes qui sont dans le coma, voire en arrêt cardiaque grâce à une nouvelle substance, les médecins se rendent compte que ces personnes – dont le narrateur fait partie – commencent à devenir de plus en plus intelligentes. Si le narrateur accepte d’être le cobaye d’expériences au début, il commence vite à s’ennuyer et à avoir des ambitions bien plus grandes.
Dès le début, on sent que ça ne va pas très bien se passer, l’auteur arrive à instaurer une ambiance très pesante, j’ai rapidement redouté ce qui allait passer par la tête du narrateur. Cette nouvelle est beaucoup plus « scientifique » que la première, dans le sens où il est question de chimie dans le cerveau, de calculs physiques et mathématiques hallucinants (qui m’ont perdu très rapidement, mais il n’est pas nécessaire de comprendre de quoi il s’agit pour apprécier l’histoire).

« Division par zéro » reste dans cette veine très « technique » puisqu’il est ici question de mathématiques. Enfin, pas seulement, mais on suit un couple dont la femme est une mathématicienne très réputée, et qui découvre un peu par hasard que toutes les mathématiques peuvent être remises en question. Cela aura une influence sur sa perception de la vie toute entière.

« L’histoire de ta vie » est la nouvelle qui a inspiré Premier contact ! On suit donc une linguiste recrutée par l’armée afin de communiquer avec les heptapodes, des extra-terrestres venus du jour au lendemain, sans qu’on ne sache pourquoi. Plus elle comprend leur langage écrit, plus sa perception du temps change, au point qu’elle parvienne à se souvenir du futur.
Cette histoire est plus centrée sur les personnages que les deux précédentes, un vrai plaisir à lire.

« Soixante-douze lettres » reprend le mythe du Golem de la religion hébraïque, dans laquelle chaque vie existe grâce à un mot qui donne du sens : c’est ainsi qu’on peut insuffler la vie à une statue d’argile. Le personnage dont on suit l’histoire entend bien trouver le moyen d’utiliser des Golems pour en créer d’autres, ce qui ne lui attire pas que des amis puisque bien sûr, les humains qui font actuellement ce travail y perdraient beaucoup. Là-dessus s’ajoute une menace qui pèse sur l’humanité, et qui pourrait être contrée grâce à ses découvertes.
J’ai du mal à comprendre pourquoi je n’ai pas été emballée par cette nouvelle : les sujets m’intéressent complètement mais j’ai trouvé le traitement, l’écriture et l’intrigue très lourdes en descriptions, en fioritures qui rendent le tout plus confus que nécessaire. Dommage.

« L’évolution de la science humaine » est très courte, il s’agit d’un article scientifique imaginé à une période où des méta-humains auraient fait leur apparition sur Terre. Ces derniers auraient un système de compréhension et de communication de la recherche en science humaine drastiquement différent des simples écrits, ce qui rend la recherche inaccessible à toutes les personnes qui ne sont pas méta.
Il s’agit bien sûr d’un commentaire sur l’ère numérique où la recherche continue sous d’autres formes, des revues numériques aux bases de données. Mais je trouve la comparaison peu pertinente, puisqu’au contraire, la présence d’articles, livres, découvertes scientifiques (que ce soit en sciences humains ou techniques et médicales) en ligne permet au contraire un accès beaucoup plus « simple » pour mutualiser la recherche à travers le monde. Même si, effectivement, cela nécessite des maîtriser un minimum d’outils numériques…

« L’Enfer, quand Dieu n’est pas présent » suit le personnage de Neil Fisk dans un monde où, de temps en temps, des anges descendent sur Terre pour des « visitations » qui ont des conséquences diverses : certains connaissent des miracles, d’autres des malédictions ou simplement y trouvent la mort. Quand sa femme est témoin d’une de ces visitations la vie de Neil va changer et il va tout faire pour la rejoindre.
Le principe des anges qui se manifestent sur Terre et dont le pouvoir est si grand qu’il peut être mortel pour les humains, est très intéressant ! Il est rapidement fait mention d’anges déchus qui ne provoquent plus de visitations et pour lesquels j’aurai aimé en savoir plus, mais la nouvelle est déjà bien complète ainsi.

« Aimer ce que l’on voit : un documentaire » parle d’une invention, la calliagnosie. Cette dernière permet de ne plus « reconnaître » la beauté d’un visage : en effet, notre cerveau interprète les visages comme beaux ou laids et cela peut porter préjudices ou privilèges aux personnes. Pour effacer tout ça et lutter contre la discrimination, les publicités à outrance, la calliagnosie a été créée, elle permet de ne pas faire attention à la beauté ou la laideur des autres, ou de soi-même.
Tout l’intérêt de la nouvelle est dans les points de vue divers : celui d’une adolescente qui a vécu toute sa vie avec la calliagnosie et décide dès qu’elle le peut, à ses dix-huit ans, de l’arrêter ; celui de militants contre la calliagnosie (poussés par des lobbies de cosmétique ou autres) et également des gens qui s’y intéressent peu mais qui se retrouvent dans le débat qui anime le campus au sujet de la mise en place systématique ou non de la calliagnosie.

Dans cette édition, on trouve à la fin des commentaires de l’auteur sur chacune des nouvelles, ce que je trouve tout à fait précieux, et je pense qu’il est bienvenu de les placer à la fin, pour laisser les lecteur·rice·s libres dans leur découverte des textes, avec la possibilité d’en savoir plus ensuite.

Si vous aimez la science-fiction, nul doute qu’au moins une de ces nouvelles saura vous séduire =)


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