Tandis que j'agonise · William Faulkner

Tandis que j'agonise · William Faulkner
J’ai lu Le bruit et la fureur au début de ma vingtaine. Je me souviens de m’être dit, juste après, qu’il me fallait à tout prix lire l’œuvre complète de Faulkner, parce que le roman que je venais de lire était grandiose, époustouflant. Eh bien, mieux vaut tard que jamais: une vingtaine d’années plus tard, je poursuis ma découverte de l’œuvre du grand Faulkner avec Tandis que j’agonise. Tandis que j'agonise · William FaulknerL’intrigue tient en peu de mots: Addie Bundren, la matriarche, se meurt. Avant de pousser son dernier souffle, elle a demandé à Cash, son aîné, de lui fabriquer un cercueil. Elle a aussi fait promettre à Anse, son mari, d’être enterrée à Jefferson, auprès des siens. Addie morte, la famille Bundren se met en route pour la porter en terre.

Ça, c’est pour les grandes lignes. Évidemment, l’intrigue est beaucoup plus enrobée. Ça se passe dans l’Amérique des années 1930, quelque part au Mississippi,dans un comté fictif au nom imprononçable: Yoknapatawpha.Tandis que j’agonise… L’agonisante du titre, c’est Addie. Son agonie ouvre le roman. Une fois morte, elle réapparaît au milieu du roman dans un monologue hypnotisant. Addie a un œil sur tout, même sur la fabrication de son cercueil. Elle na pas grande estime pour son mari, ni pour ses enfants. En somme, elle naime qu’un de ses fils: Jewel. On comprendra pourquoi…Une fois le cercueil fermé, les mules attelées, le cortège funèbre se met en branle. Et le trouble commence…Chaque membre de la famille Brundel prend la parole et se révèle au fil des chapitres.

· Anse, le paternel, le taiseux paresseux. Édenté depuis ses quatorze ans, il ne rêve que d’une chose: se procurer un dentier dès qu’il arrivera en ville afin de manger enfin à son goût.· Cash, l’aîné charpentier. Lui, il ne pense qu’à ses outils. Victime d’un accident en cours de route, il passera son temps à scander que tout va bien malgré sa jambe gangrenée.· Darl est considéré comme le simplet de la famille. Et pourtant… cest le seul qui parvient à éprouver des sentiments. Après avoir mis le feu à une grange, il prendra le chemin de l’asile.· Jewel, le mystérieux… Lui, il n’a d’yeux que pour son cheval.

· Dewey Dell, la seule fille du lot, s’est retrouvée en cloque pour une histoire d’un soir. Personne n’est au courant, sauf un de ses frères. Avec les 10$ en poche laissés par Lafe, son amant de passage, elle cherche à tout prix le moyen de se faire avorter.

· Vardaman, c’est le petit dernier. Il pêchait lorsque sa mère est morte. Il a pris un beau gros poisson. Ce poisson le hantera tout au long du roman, au point que dans son esprit, le poisson et sa mère se confonderont.

Aux voix de la famille Bundren viennent s’en greffer d’autres: celles des voisins Tull (Cora et son mari Vernon), celle de Peabody, le docteur, et celle du prêtre.

La route qui mène à Jackson est longue et semée d’embûches, sans compter le corps de la défunte qui se décompose, la chaleur et l’odeur pestilentielle qui s’intensifie. Les busards tournoient dans le ciel, attirés par les effluves. La ville, au loin, sera-t-elle le lieu de leur délivrance-rédemption? Ça reste à voir...


·  ·  ·         ·  ·  ·         ·  ·  ·Pourquoi donc ce roman est-il si extraordinaire? Si le roman choral est aujourd’hui monnaie courante, exploité à toutes les sauces, ce n’était pas le cas en 1930, année de publication de Tandis que j’agonise. Le concert de voix mis bout à bout est magnifiquement orchestré. Chaque voix résonne différemment, avec son propre vocabulaire et ses tics de langage. Les chapitres défilent, les voix alternent. Les monologues intérieurs vibrent d'échos. Cela pourrait avoir des airs de cacophonie, et pourtant, le choeur sonne magnifiquement juste.
Tandis que j’agonise est-il un roman déprimant? Que non. Loin de là, même. Lhumour est noir, mais omniprésent. Ici, la farce, le grotesque côtoient sans cesse la tragédie. Plusieurs images me resteront, de celles qui marqueront ma mémoire au fer rouge: Addie, couchée à l’envers dans son cercueil afin que sa robe ne soit pas froissée; les coups de marteau de Cash; le vol des busards; un plâtre en ciment. Le style de Faulkner, majestueusement traduit, est fiévreux, aventureux et corrosif, témoignant dune rigoureuse maîtrise. La façon dont il tire les ficelles de son intrigue me laisse bouche bée.  
Ça ne prendra pas une autre vingtaine d’années avant que je poursuive. Sanctuaire sera pour bientôt.
Un chef-d’œuvre, rien de moins. Un de ceux qui résonneront encore très longtemps en moi.
Tandis que j’agonise, William Faulkner, trad. Maurice-Edgar Coindreau, Folio, 256 pages, 1973. 
Jai lu ce roman dans le cadre du challenges: 50 États en 50 romans (État du Mississippi)

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