Comment remplir un verre brisé avec Pascale Bouhénic

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Lorsqu’il fut de retour enfin : qui, il ? Ulysse, bien sûr. Oui, encore. Mais Ulysse raconté du côté de Pénélope, dans un Paris d’aujourd’hui. L’absence d’Ulysse bouleverse la routine de Pénélope, cartographe de profession, spécialiste des îles (y a-t-il seulement un mot pour une telle spécialité? ou bien n’y en a-t-il pas, tant le métier est rare…).

« Hier l’eau savait se tenir dans un verre » (p. 12). L’absence d’Ulysse entraîne mille petites cassures du quotidien ; les verres se brisent dans la prose de Pascale Bouhénic. Par la brèche, Ulysse et l’eau se sont échappées. Le roman devient un fond sans forme, un extérieur sans intérieur. Aucune frontière n’est plus fiable : l’appartement haussmannien de Pénélope est mal isolé, les voisins ne cessent d’y laisser entendre des bruits inconvenants, qui narguent sa solitude.

De cette absence de frontières, de cette absence d’Ulysse, Pénélope tire un excès de liberté : « ma nuit est agitée, à cause du vide qui provoque le mouvement. La présence d’Ulysse m’immobilisait dans le lit, et je dirais même, la présence d’Ulysse m’immobilisait dans la vie » (p. 48). Pénélope, dans L’Odyssée, aurait-elle été la première « femme libérée », à son corps défendant ?

Le délitement du mythe homérique sert peut-être, in fine, à « retourner comme un gant » (p. 105) intérieur et extérieur, féminin et masculin. Au sortir de ce livre, on sent que le style de Bouhénic a bel et bien inventé une nouvelle forme, un nouveau « verre » qui contienne, tout entier, un certain Ulysse.

Comment remplir un verre brisé avec Pascale BouhénicLeopold Bloom, le héros d’Ulysses de James Joyce, dessiné par l’auteur en 1926

Ailleurs : LeLittéraire, encore plus affligeant que d’habitude, y voit un « roman parfaitement féminin » ; L’Humanité garde un certain suspense : « le monde va-t-il reprendre son cours d’avant ? » ; Libre-Critique a trouvé cette élégante formule : « un roman aqueux qui ignore l’eau de rose » ; voyez encore l’avis de Dominique Dussidour pour remue.net.

Pascale Bouhénic, Lorsqu’il fut de retour enfin, L’arbalète/Gallimard, mars 2017, 144 p., 17€.


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