Batman: White Knight #2

Sean Gordon Murphy nous emmène dans "Elseworld" dans lequel Joker vient à devenir gentil et Batman méchant. Ça s'appelle Batman: White Knight. Ce numéro m'a gêné, du coup, il est difficile pour moi d'écrire une critique complète. Voici donc une démonstration que l'appréciation d'une lecteur est subjective.

On peut excuser à n'importe quel auteur un écart de langage, un discours un peu bancal ou une analogie douteuse. En effet, personne n'est parfait et n'est à l'abris de jugement hâtifs ou de ne pas avoir toutes les cartes en main pour comprendre que ce qu'elle écrit peut faire du mal. Hormis s'il s'agit d'un comportement répété ou qu'il est associé à un discours douteux de la part dudit auteur, nous ne le pouvons blâmer d'avoir été maladroit. En revanche, en tant que lecteur, lorsque cette bourde nous explose en plein dans la figure, sur le moment, il est difficile de passer outre et, donc, d'apprécier le reste de l'œuvre. Cela nécessite au mieux un temps de gestation.

Vous l'aurez compris : Sean Murphy a donc fait une maladresse qui m'a mis mal à l'aise, à tel point que je n'arrive plus à être objectif à propos de cet épisode, impossible de voir quelque chose de bien dans son histoire : Batgirl est stupide, la relation entre Harley Quinn et le Joker semble très malsaine, les souris qui meurent de vieillesse en laissant des gerbes de sang c'est ridicule, le nœud-papillon de Bruce Wayne est mis de travers... Oui, cette bourde m'a dérangé jusqu'au point de me contrainte à analyser chaque case afin de trouver la moindre imperfection ou, au contraire quelque chose afin de me rassurer.

Cela arrive au début de l'épisode, Joker - qui se fait appeler Jack Napier - se défend lui-même au tribunal et tient un discours le disculpant. Soyons francs, c'est déjà pas très subtile comme approche, il reconnait des crimes mais pas ceux dont on l'accuse, du coup, il est relâché. Il faut mettre en parallèle que les habitants de Gotham ont vu le Joker se faire agresser par Batman à la télévision. Le Chevalier Noire est un représentant de la justice et travaille de près avec le GCPD, l'affaire devient donc compliquée. Mais, nous lecteurs, nous savons que dans son discours, Napier ment en trafiquant quelques vérités. Bien que l'action se déroule dans un monde parallèle - ce qui pourrait expliquer qu'il n'ait pas commis de meurtres, nous découvrons ensuite que le Joker a peut-être tué Jason Todd. Quoiqu'il en soit, sa mémoire flanche et, donc, il se défend sans grande sincérité. En gros, cela pourrait être un coup du Joker profitant de l'occasion pour se faire passer pour qui il n'est pas. En tout cas, dans le récit - et si on oublie le pitch de la série, rien ne certifie le contraire. Nous avons vu très souvent le Joker se faire passer pour ce qu'il n'est pas afin d'arriver à ses fins.

Quoiqu'il en soit, la page d'après, nous découvrons donc que Jack Napier est relâché et, forcément, ça déplaît à beaucoup... Tout simplement parce qu'il s'agit d'un criminel, et que la place des criminels est en prison et que ce n'est pas parce qu'il ne porte plus de maquillage qu'il devient automatiquement un mec bien. Il doit donc faire ses preuves. Mais, le texte dit que les "Social Justice Warriors" en ont fait un héros déplorant une sorte d'injustice sociale. Et, là, la maladresse commence...

Il est important de savoir ce que c'est les Social Justice Warriors, ou SJW, afin de continuer. À la base, il s'agit d'un terme désignant les activistes de justice sociale combattant la discrimination dans toutes ses formes, sauf que le terme est galvaudé et, comme souvent, il est devenu péjoratif. Ainsi, pas mal de monde parle de SJW comme des "nazis" qui sont contre la liberté d'expression souhaitant une société "bien-pensante". Souvent, on présente ces guerrier*ère*s de la justice sociale comme des extrémistes souvent opposé*e*s à l'extrême-droite mais à chaque fois présenté*e*s comme néfastes. Ce qui est assez drôle, c'est que ce sont des actrices et des acteurs de l'extrême-droite - je pense notamment à un certain dessinateur raciste français - qui aiment abuser de ce terme et en ont fait une insulte alors que, techniquement, ces trois mots réunis désignent simplement des gens qui nous souhaitent de mieux vivre ensemble.

Moralité, les SJW évitent maintenant de s'auto-proclamer de la sorte et, très clairement, le terme est péjoratif. De ce fait, dans les pages de cet épisode, nous avons l'impression que Murphy les dépeint comme des Don Quichote qui combattent des moulins à vent mêlés à des conspirationnistes persuadés que la Police leur ment pour défendre Batman. C'est donc pour ça qu'ils décideraient de soutenir Napier alors que celui-ci n'a pas prouvé son innocence. Ils le protègent bêtement sans même prendre un peu de recul sur la situation. Vu la situation, il aurait, me semble-t-il, été normal de critiquer vivement Batman sans pour autant faire du Joker une incarnation des bavures policières.

Certes l'expression "Social Justice Warrior" est utilisée dans le comic book par un mec qui n'a pas l'air sympathique, mais difficile de passer outre le fait que l'auteur présente les SJW comme des gens bêtes et qu'ils sont prêts à défendre n'importe qui par simple esprit de contradiction, même un criminel - ce qui devrait faire plaisir à celles et ceux qui se sont battus contre la couverture d'un magazine mettant en avant un homme inculpé pour violences conjugales.

Mais, cette histoire n'aurait pu que froisser mon ego, après tout, même si je n'accepte pas l'appellation, je me sens proche de la définition initiale de Social Justice Warrior. Mais, la maladresse est bien plus gênante que ça puisque sur la même case, il associe une image à des gens qui protègent un ancien criminel, celle-ci :

Batman: White Knight #2

Il s'agit d'une image bien connue puisque représentative du mouvement Black Lives Matter.

Batman: White Knight #2

Ce n'est pas qu'un simple hasard : les postures sont les mêmes. Cette image est devenue un symbole de paix avec une symbolique forte. Black Lives Matter est un mouvement né après la mort d'un adolescent noir Trayvon Martin, tué par un responsable d'un groupe de surveillance parce qu'il avait la peau noire. Le mouvement s'est alors intéressé à de nombreuses bavures policières racistes envers des innocents mais qui avaient en point commun leur couleur de peau.

Le fait d'associer Black Live Matter à des Social Justice Warriors est donc normal sauf que le terme est bien plus régulièrement utilisé de manière péjorative. Mais, le plus grave dans tout cela, c'est que de montrer des SJW soutenir un criminel - Napier se présente même ainsi dans le texte - en utilisant CETTE image est une idée incroyablement stupide. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que Black Lives Matter soutient des criminels ?! Par extension, que les gens tués par des bavures policières ne sont pas complètement innocents ?

Ce qui est encore plus gênant en soit c'est que rien ne vient désamorcer cette analogie : à ce stade de l'histoire, Napier est un criminel, il n'a pas prouvé le contraire et puis, même si l'homme qui utilise le terme SJW est présenté pour ne pas mâcher ses mots, il reste néanmoins que depuis le début, il ne dit rien de trop stupide. Je le vois plus comme un vieux du Muppet Show qu'un Eric Zemmour ou un chroniqueur de Fox News - donc très à droite.

Tout ce qu'on sait, c'est que Sean Gordon Murphy a prévenu que son Batman n'était pas un social justice warrior mais ce n'est pas péjoratif, selon lui, car il a des amis SJW - un peu comme la meilleure amie "plus noire qu'une arabe" de Nadine Morano. À ça, je me dis qu'il présente son récit comme politiquement correcte (dans le vrai sens du terme) et qu'il présente des choses qui font partie du folklore de son monde créé de toutes pièces sans avoir de parti pris, ni prendre de position. Malheureusement, flirter avec ce genre de sujets d'actualité va donner l'impression qu'il s'agit d'un engagement de n'importe quelle sorte.

Je veux bien croire en la sincérité de l'auteur, qu'il a une intention louable, tout ça, après tout la maladresse peut être tout simplement une véritable lacune causée par un manque de technique d'écriture - comme je le disais sur l'épisode précédent c'est loin d'être parfait. Par contre, dans les faits, moi, ça m'a bloqué et je ne suis même plus capable de vous écrire une véritable critique sur cet épisode. Si cette maladresse ne vous a pas gêné, je ne vous intenterai pas un procès, tout cela est une histoire de ressenti, après tout, l'appréciation d'une œuvre, quel qu'elle soit, est avant tout subjective.

Batman: White Knight #2


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Tous 2, le roman de Testu est philosophique et spirituel à la fois